16 Décembre 2021
Les autorités locales ont décidé de faire de cette île près de Canton un paradis « écologique » écologique pour happy few. Boris Svartzman filme les huit années de résistance d’une poignée de villageois qui s’accrochent à leur île et à leurs traditions.
Un chemin gagné par les mauvaises herbes mène à un champ de ruines. Maison effondrées, gravats, détritus en tout genre. Dans ce décor cataclysmique, un groupe de familles subsiste à grand-peine. Ce sont les villageois à qui la révolution chinoise avait promis un avenir radieux, à qui on avait fait miroiter qu’ils constituaient le sens de l’Histoire. Cette même Chine a détruit leurs maisons pour les chasser de chez eux. Ils ne sont plus d’actualité. Là où se trouvaient des terres cultivées devrait s’élever une « île écologique » : un univers de béton avec parcs paysagers, immeubles de « riches » et hôtels de luxe. Pour tenter de se faire entendre, ils sont revenus vivre, dans le dénuement le plus complet, au milieu des décombres de leur village.
Des paysans qui disent « Non ! » à l’expropriation
Ils ne sont plus qu’une poignée à se battre sur les deux mille villageois qui peuplaient l’île de Guangzhou. Certains, déjà, ont accepté de céder leur terrain au dixième de sa valeur et s’en sont mordu les doigts. En dehors du peu qu’on leur a donné, ils n’ont pas été relogés, n’ont pas de travail. Ceux qui restent ont décidé de se battre en arguant des règles édictées par le gouvernement chinois. Ils rédigent, sans se lasser, protestation polie après protestation polie et plaidoyers divers pour faire valoir leurs droits. Sans suite. Ce sont eux que Boris Svartzman a décidé d'écouter. Un combat du Petit Poucet contre un Ogre qui disposerait de tous les moyens pour les contraindre et n’hésite pas à recourir à la force et à l’intimidation.
Des conditions de vie épouvantables
Ils vivent à cinq dans une chambre encombrée de matelas, au milieu des gravats. Leurs maisons ont été rasées à coups de bulldozers. Ils survivent en élevant quelques volailles, des chevreaux, cultivent des lopins de terre parfois arrachés aux cailloux dont ils tirent une maigre subsistance. Ils sont persona non grata, un furoncle dans le bel ordonnancement de la Chine moderne qui se construit derrière le mur qui les sépare des tours et des immeubles qui s’élèvent. Là-bas il y a des pelouses, mêmes si elles laisseraient à désirer aux yeux des Britanniques. Là-bas, les enfants jouent à dévaler des pentes herbeuses. Là-bas, il y a des voitures garées sur les parkings…
Les irréductibles Chinois
Ceux qui résistent, Boris Svartzman les a suivis pendant les sept ans d’un long combat contre les autorités. Descentes de police permanentes, destructions programmées de leurs maisons sous leurs yeux, sans autorisation officielle. La force brute, dans l’espoir que le découragement les prenne et qu’ils finissent par céder. Face à la caméra, ils montrent une liberté de parole confondante. Ils n’ont plus rien à perdre. On a même envoyé des gros bras pour les tabasser. Mais ils tiennent bon. Ils savent qu’il faut l’accord unanime des villageois pour que le village soit rayé de la carte. Alors ils tiennent bon, montrent les maisons des Chinois expatriés qu’on a laissées en place, comme si le franchissement de la légalité avait des limites… Ce qui frappe le plus dans tous ces témoignages, c’est le discours de la désillusion et en même temps la clarté d’analyse dont font preuve ces paysans. Même s’ils sont victimes d’un bien plus gros qu’eux et qu’il les lamine, ils ont choisi de se battre sur le terrain de la légalité et mènent envers et contre tout un combat qu’on peut penser perdu d’avance pour continuer à se penser comme des hommes. À ceux qui leur dénient toute existence, ils opposent leurs traditions, perpétuant par exemple la fête des bateaux-dragons. À ceux qui les déracinent, ils répondent par la filiation en établissant leur arbre généalogique.
Un documentaire de la confiance
Un tel reportage, avec la charge d’humanité qu’il contient, n’aurait pas été possible sans la relation privilégiée que le réalisateur a établie avec les villageois. Boris Svartzman est sociologue. Il documente, depuis les années 2000, les conséquences de l’urbanisation en Chine. Depuis trois décennies, chaque année, ce ne sont pas moins de cinq millions de paysans qui sont urbanisés et les dernières organisations collectives qui servaient de soubassement à la société disparaissent. Pendant près de dix ans, il a suivi la lutte des villageois contre l’expropriation. Ce qui se passe à Guangzhou est pour lui exemplaire et il est revenu dans le village à plusieurs reprises. C’est très sensible dans ce film, qui est aussi le premier long métrage de Boris Svartzman. La confiance que lui accordent les villageois et la manière dont ils lui ouvrent leur porte n’aurait pu se produire sans un travail de fond. La liberté avec laquelle ils expriment, la conscience aiguë des dérives du pouvoir qu’ils analysent est surprenante. Aussi, même si on imagine que l’histoire ne se terminera pas bien, le documentaire aura laissé une trace de ce que masque l’histoire officielle de la République « populaire » chinoise, de ce qui s’accomplit dans l’ombre au nom d’un « progrès » pour le moins hypothétique. Un pas sur le chemin d'une vérité occultée.
Guanzhou, une nouvelle ère - Un film de Boris Svartzman - 2019 – Documentaire – France – 71 min
Réalisation, Image, Son Boris Svartzman Scénario Boris Svartzman ; Laurine Estrade Montage Suzana Pedro ; Emma Augier Montage son Nans Mengeard Mixage N’Dembo Ziavoula Étalonnage Lucie Bruneteau Production Macalube Films ; Prima Luce Producteurs Anne-Catherine Witt ; Antonio Magliano Producteurs associés Viá Vosges ; Boris Svartzman Full HD, couleur. Langue : Chinois (Mandarin, Cantonais). Sous-titres disponibles : Français, Anglais, Espagnol.
Sortie en salle le 5 janvier 2022