8 Décembre 2021
La 17e édition du Grand Prix Animato était cette année consacrée à Frédéric Chopin. Onze candidats étaient en lice. Le plus jeune n’avait pas vingt ans, la plus âgée seulement vingt-sept ans. À écouter tous ces jeunes gens très virtuoses se mesurer dans un répertoire similaire, parfois même identique, on appréhende concrètement ce qu’interpréter veut dire et combien la manière de dire influe sur le sens même de ce qu’on veut livrer.
Du 3 au 7 décembre 2021, onze candidats ont été présents sur scène pour se livrer à une compétition en trois volets. Le premier était destiné exclusivement à un jury international de vingt membres venus d’Europe, d’Asie et d’Amérique, le deuxième se tenait en la présence du public, dont une partie, assistant à l’ensemble des présentations des candidats, était appelé à voter pour décerner un prix du public ; un finale, rassemblant les candidats permettait de clore le concours avant la proclamation des prix, des membres du jury et du public. Cinq prix étaient attribués : trois pour le concours proprement dit ; deux prix spéciaux – un pour les Mazurkas, l’autre pour le Prélude op. 28 n° 7, point de passage obligé pour chacun des candidats et le Prix du public ; le dernier était un prix décerné par le public à l’un des jeunes interprètes.
La Corée à l’honneur avec Hyuk Lee
C’est au jeune et très souriant Hyuk Lee (à peine 21 ans) qu’est revenu à la fois le 1er Prix du concours et le prix concernant les Mazurkas. Son jeu brillantissime et tout en nuances ne pouvait que séduire. Il a su associer la délicatesse infinie de la musique de Chopin aux éclats de violence qui la traversent, en souligner le rythme si particulier et la modernité qui s’exprime dans les pas de côté que fait Chopin comme s’il créait une entorse légèrement dissonante dans le cours trop huilé d’un déroulement mélodique sans accroc. Il y a chez ce jeune homme une finesse d’interprétation qui dépasse de très loin la seule virtuosité indéniable de son jeu. Le choix de son programme témoignait également d’une originalité certaine. En choisissant les Variations sur Là ci darem la mano, proposées par Chopin à partir du duo de Zerline et de Don Juan extrait de Don Giovanni de Mozart, non seulement il faisait montre de sa virtuosité mais il renouait en même temps avec la grande tradition des salons romantiques où des joutes musicales opposaient des musiciens, parfois à partir d’airs d’opéra très en vogue. Il montre s’il en était besoin que ces jeux musicaux pouvaient être autre chose que de la virtuosité pure. À ce clin d’œil à la jeunesse – Chopin a dix-neuf ans lorsqu’il propose ses Variations au Théâtre impérial de Vienne dans un programme où apparaissent Beethoven et Rossini et écrit à ses parents son soulagement de n’avoir pas été sifflé… – Hyuk Lee associe une œuvre de la maturité avec la Sonate n° 3 en si mineur op. 58 – Chopin n’écrira que trois sonates dont la dernière, monumentale et audacieuse, toute en contrastes, associe, comme une quintessence de son œuvre, lyrisme, légèreté et émotion intime en même temps qu’extrême difficulté pour l’interprète avec sa coda parcourant toute l’étendue du clavier.
Un deuxième prix plein d’énergie : le Hong-Kongais Aristo Sham
Son interprétation du Prélude op. 28 n° 7, très lent et majestueux, lui a valu le Prix du Prélude. Ce jeune homme bouillonnant aime les exécutions rapides et les effets de contrastes. D’une virtuosité époustouflante, il est tout en accélérations soudaines, qu’il alterne avec des ralentissements subits, tout en passions violentes qui tirent Chopin d’une forme de léthargie mélodique rassurante pour exprimer la fièvre qui court sous la surface. Choisir la Sonate n° 2 en si bémol majeur op. 35 est en osmose avec ce qu’il a laissé voir au long de la compétition. Pour cette œuvre, Chopin avait intégré la Marche funèbre composée deux ans plus tôt. Les contrastes semblent le maître-mot de cette œuvre hantée par la mort qui chemine sans transition entre thèmes tumultueux et doux, entre roulements implacables, mélodie lyrique respirant la beauté et la paix et insurrection tempêtueuse de la fin où mains gauche et droite se livrent au tumulte tourbillonnaire de triolets d’octaves jouées à l’unisson.
La promenade sentimentale de Michelle Candotti
C’est à une promenade intérieure que nous a convié Michelle Candotti tant elle semblait habitée par la musique. Il y a chez cette jeune femme, 3e Prix et Prix du public, quelque chose de l’Italie du bel canto, une musicalité qui court sous l’interprétation, comme une mélodie de l’être qui ne cesse de charrier des images. Très « romantique », sans l’excès nuisible et péjoratif qu’on pourrait associer au qualificatif, elle a montré ce que vivre à l'intérieur de la musique veut dire. Une nécessité vitale dans laquelle elle s’engage tout entière et que le public a plébiscitée. Dans la diversité des pièces qu’elle a proposées, alliant l’émouvant Nocturne en do mineur op. 48 n° 1 où nostalgie et regrets apparaissent traversés d’éclats violents, la très mobile Valse en mi bémol majeur op. 18 où l’ampleur le dispute à la nuance, la vénitienne Barcarolle op. 60 avec ses doux clapotements et ses reflets dans l’eau et la passion syncopée du Scherzo n° 2 en si bémol mineur op. 31, ou la vigoureuse Polonaise en fa dièse mineur op. 44, c’est d’abord l’âme qui a séduit…
Et parmi les autres…
On attend avec beaucoup de curiosité l’évolution du jeune Polonais Piotr Alexewicz dont l’interprétation inspirée, une fois dépassé le trac perceptible dans ses premiers Préludes, a su trouver des accents de lyrisme et un sentiment d’urgence de la musique qui permet d’espérer un beau devenir. De son côté, le Russe Serguey Belyavskyi a su montrer une vraie différence dans son interprétation et une originalité certaine. Son interprétation de la Polonaise en fa dièse mineur où galopent les chevaux dans la plaine et où retentissent les appels dans la campagne est un bien beau moment. On peut aussi espérer que le benjamin du concours, le Canadien Eric Guo, qui a montré de grandes qualités d’équilibre, se départira d’une forme de « classicisme » déjà très aboutie pour livrer une véritable vision. Les autres candidats n’ont pas démérité, loin de là, et montré des qualités réelles, mais la musique est aussi affaire de perception de celui qui reçoit. « La vraie musique est entre les notes », a écrit Mozart. Et, pour laisser le mot de la fin à Chopin : « Bach est un astronome qui découvre les plus merveilleuses étoiles. Beethoven se mesure à l’univers. Moi, je ne cherche qu’à exprimer l’âme et le cœur de l’homme. »
Finale du concours Animato Chopin
1er Grand Prix et Prix spécial pour la Mazurka : Hyuk Lee (Corée)
2e Prix et Prix spécial pour le Prélude op. 28 n° 7 : Aristo Sham (Chine Hong Kong)
3e Prix et Prix spécial du public : Michelle Candotti (Italie)
Jury
Sous la présidence de Madame Olga KERN (Russie – USA), lees membres du Jury • Akemi Alink (Japon) • Michel Béroff (France) • Jacqueline Bourgès-Maunoury (France) • Alain Dromer (France) • Olivier Gardon (France) • Ana Guijarro (Espagne) • Sofya Gulyak (Russie) • Andrzej Jasinski (Pologne) • Alexander Kobrin (Russie – USA) • Elza Kolodin (Allemagne) • Jorge Martins (Portugal) • Natalia Michailidou (Grèce) • Ewa Osinska (Pologne) • Ewelina Panocha (Pologne) • Irina Polstiankina (Ukraine) • Michael Wladkowski (USA – France) • Li Yun (Chine – France) • Ramzi Yassa (Egypte – France) • Stanislaw Zielinski (Pologne – Canada
Présentation des lauréats et programme
Hyuk Lee Corée. Né le 4 janvier 2000. Il étudie actuellement avec Vladimir Ovchinnikov au Conservatoire Tchaikovsky de Moscou. En 2016, il a gagné la Ignacy Jan Paderewski International Competition à Bydgoszcz, où il était le plus jeune participant de l’histoire de ce concours. Il a remporté le troisième prix du Concours de Hamamatsu (Japon) en 2018, ainsi que le premier prix et le prix du meilleur concerto du Concours Chopin pour les Jeunes Pianistes de Moscou en 2012. Il s’est produit dans des salles telles que les Salles Dvorak et Smetana à Prague, le Conservatoire Tchaikovsky à Moscou, la Philharmonie de Varsovie, la Salle Cortot à Paris, le Muziekgebouw de Eindhoven, le TivoliVredenburg à Utrecht et le Kioi Hall à Tokyo, ainsi qu’au Festival Chopin de Duszniki-Zdroj.
Première épreuve : Nocturne en do mineur, op. 48 N°1 ; Étude en la mineur, op. 25 N°11 ; Étude en do# mineur, op. 10 N°4 ; Étude en la bémol majeur, op. 10 N°10 ; Étude en do mineur, op. 10 N°12 ; 4 Mazurkas op. 17 ; Scherzo N°3 en do# mineur, op. 39. Deuxième épreuve : Prélude en la majeur, op. 28 N°7 ; Variations sur Là ci darem la mano op. 2 ; Sonate N°3 en si mineur, op. 58 Allegro maestoso, Scherzo, Largo, Finale. Finale : Fantaisie en fa mineur, op. 49
Aristo Sham Chine, Hong Kong. Né le 12 mars 1996. Il est artiste-résident à la Ingesund School of Music à Arvika (Suède). Il est Bachelor of Arts de l’Université de Harvard et titulaire d’un Master of Music du Conservatoire de Nouvelle Angleterre (USA). Il a remporté des prix dans de nombreuses compétitions internationales, incluant le Concours Alessandro Casagrande à Terni, le Concours Gina Bachauer International Artists à Salt Lake City, le Concours international de Dublin, le Concours Clara Haskil à Vevey et la Giovanni Battista Viotti International Music Competition à Vercelli. Il s’est produit avec le London Symphony Orchestra sous la direction de Simon Rattle et avec l’English Chamber Orchestra sous la direction de Raymond Leppard ; il a joué dans les cinq continents.
Première épreuve : Nocturne en do mineur, op. 48 N°1 ; Étude en fa majeur, op. 10 N°8 ; Étude en mi mineur, op. 25 N°5 ; Étude en sol# mineur, op. 25 N°6 ; Étude en la mineur, op. 25 N°11 ; 4 Mazurkas op. 30 Ballade N°4 en fa mineur, op. 52. Deuxième épreuve : Prélude en la majeur, op. 28 N°7 ; Sonate N° 2 en si bémol mineur op. 35 Grave. Doppio movimento, Scherzo, Marche funèbre, Finale ; Polonaise-Fantaisie op. 61. Finale : Scherzo N°2 en si bémol mineur, op. 31 Valse en la bémol majeur, op. 42
Michelle Candotti Italie. Née le 18 mai 1996. Elle a obtenu le diplôme du Conservatoire Evaristo Felice Dall’Abaco à Vérone dès l’âge de quatorze ans. Elle étudie actuellement auprès de Dmitri Alexeev au Royal College of Music à Londres, auprès de Enrico Pace à l’Académie « Incontri col Maestro » d’Imola, et auprès de Carlo Palese à Livorno. Elle a remporté le Concours des Meilleurs Diplômés des Collèges de Musique Italiens (un CD a été gravé) et a obtenu des prix dans de nombreuses compétitions, comme à Grosseto, Brescia, Rome et à Hastings. Elle a donné des récitals dans de nombreuses salles, incluant le Royal Albert Hall de Londres, le Teatro Verdi à Pordenone, à Hastings et dans la maison de Claude Debussy à Saint-Germain en Laye.
Première épreuve : Nocturne en mi bémol majeur, op. 55 N°1 ; Étude en fa majeur, op. 10 N°8 ; Étude en la bémol majeur, op. 10 N°10 ; Étude en si mineur, op. 25 N°10 ; Étude en la mineur, op. 25 N°11 ; 3 Mazurkas op. 59 ; Ballade N°2 en fa majeur, op. 38. Deuxième épreuve : Prélude en la majeur, op. 28 N°7 ; Fantaisie op. 49 ; Nocturne en do mineur, op. 48 N°1 ; Valse en mi bémol majeur, op. 18 Barcarolle op. 60 ; Scherzo N°2 en si bémol mineur, op. 31. Finale : Polonaise en fa# mineur, op. 44
L’association Animato
Animato a pour vocation de faciliter les débuts à la scène de jeunes pianistes d’exception. Sous la direction artistique de Marian Rybicki, elle a, depuis bientôt trente ans, organisé salle Cortot plus de 400 concerts et fait venir du monde entier quelque 800 pianistes lors de concerts mensuels. Nombre d’entre eux, depuis leur passage, ont obtenu les Premiers Grands Prix des plus importants concours internationaux du monde, y compris le tout récent XVIIIe Concours Chopin de Varsovie, dont le Premier Prix a été attribué au Canadien Bruce Xiaoyu Liu que le public d’Animato avait pu découvrir à plusieurs reprises avant son succès en Pologne. On peut citer : Concours Frédéric Chopin (Varsovie) Bruce Xiaoyu Liu (2021) Yulianna Avdeeva (2010) Rafal Blechacz (2005) Concours Reine Elisabeth (Bruxelles) Lucas Vondracek (2016) Boris Giltburg (2013) Denis Kozhukhin (2010) Severin von Eckardstein (2003) Vitaly Samoshko (1999) Concours Van Cliburn (USA) Yekwon Sunwoo (2017) Alexander Kobrin (2005) Olga Kern (2001) Concours Tchaïkovsky (Moscou) Denis Matsuev (1998) Concours Rubinstein (Tel Aviv) Juan Perez Floristan (2021) Szymon Nehring (2017) Antonii Baryshevskyi (2014) Concours Leeds (UK) Anna Tsybuleva (2015) Federico Colli (2012) Sofya Gulyak (2009) Concours Hamamatsu (Japon) Alexander Gadjiev (2015) Ilya Rashkovskyi (2012) Concours Marguerite Long (Paris) Siheng Song (2004).
L’association est animée par une équipe de bénévoles et tire son financement des adhésions de ses membres, du soutien de ses mécènes et des quêtes qui sont faites à l’issue des spectacles.
Pour adhérer : contact@animato.org et www.animato.org