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Arts-chipels.fr

Le Grand feu. Faire flamboyer la passion inextinguible de Jacques Brel.

© Leslie Artamonow

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Il ne fallait pas moins que des Belges pour proposer cet hommage impertinent, fidèle à l’esprit plutôt qu’à la lettre du Grand Jacques. Mochélan et Rémon Jr nous proposent un Brel sauce rap et slam de première grandeur, plein d’humour et d’émotion. Comme pour dire que la poésie est éternelle…

Le 29 octobre 1966, Brel faisait ses adieux à son public sur la scène de l’Olympia. Vingt minutes d’ovation et sept rappels avaient clos le spectacle. Malgré ses attaques permanentes contre les bourgeois, les manteaux de fourrure étaient de sortie et applaudissaient à tout rompre. Ce soir-là, j’étais dans la salle. Je suis rentrée chez moi en larmes, complètement bouleversée. J’avais quatorze ans. Aujourd’hui, un passage de relais s’effectue. Mochélan et Rémon Jr, à leur tour, proposent à des jeunes gens – mais pas que – la même rencontre, le même impact émotionnel. Loin de l’hommage confit en imitation servile, il s’agit de faire entendre, avec une approche de notre temps, ce qui nous parle encore dans les chansons de Brel, aussi bien textuellement et musicalement.

© Leslie Artamonow

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Deux compères pleins de conviction

Mochélan et Rémon Jr n’en sont pas à leur première collaboration. Voilà bientôt dix ans qu’ils font partie du même groupe de rap, le Mochélan Acoustic Band. Si Mochélan penche du côté de l’écriture et du texte, engagé de préférence – il se réclame d’un rap contestataire, en révolte contre les injustices sociales –, Rémon Jr, qui a eu un piano sous les doigts depuis tout petit, se passionne, lui, pour la musique électronique, en particulier le beatmaking, qui consiste à composer de la musique à partir de samples enregistrés sur un pad. Il fabriquera, durant le spectacle ses musiques en combinant des éléments préenregistrés qu’il mixe en direct. Pour l’un comme pour l’autre, Jacques Brel ne faisait pas partie de la culture de leur tranche d’âge. Il était plus une référence lointaine qu’un compagnonnage. S’intéresser à lui représente une forme de réappropriation née d’une proximité poétique et musicale.

© Leslie Artamonow

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Réactualiser le passé ou en percevoir l’actualité ?

Le Grand feu – qui tire son titre d’un écrit de Brel où celui-ci, jeune homme expose ses convictions – s’inscrit à la croisée de plusieurs préoccupations. Au désir de faire entendre la parole flamboyante de celui qui n’hésitait pas à appeler un chat un chat et à comparer les bourgeois et les cochons, ils ajoutent la volonté de faire découvrir des textes moins connus mais non moins forts et de donner au personnage toute son ampleur. C’est ainsi que le Diable, plein d’appétit, se lèche les babines des errances des hommes – guerres, terrorisme, États transformés en sociétés anonymes, hommes devenus gris dans un monde de salauds – tandis que le Troubadour, qui aurait « voulu lever le monde », vieux et désenchanté, se fait coucher par lui. Au tribun révolté que l’on voyait sur scène, sautillant, grimaçant, acerbe et prompt à fustiger mais toujours habité, ils ajoutent la silhouette de l’amoureux qui ne sait pas aimer et expose cette impossibilité dans des lettres bouleversantes, l’ivrogne qui boit pour s’oublier lui-même avec les autres, la figure du voyageur happé par le lointain, le fou de liberté, le solitaire aussi. Les textes résonnent avec justesse et acuité dans le cadre contemporain qui leur est construit par les rythmes slamés et rappés et par les textes qu’ajoute, en poète urbain, Mochélan.

© Leslie Artamonow

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Une multiplicité d’espaces

Les trois niveaux qui composent l’espace scénique apparaissent comme autant de manières de regarder, d’appréhender Brel et son apport. En fond de scène, un décor un peu kitsch, avec son canapé recouvert d’un plaid qui a sans doute quelques années de vol, son flamant rose lumineux et sa table basse, matérialise le présent, où nos deux compères travaillent et disputaillent. À l’avant des néons délimitent un espace nu, un sol laqué de noir. C’est l’espace de la scène, du spectacle, celui de Brel. Entre les deux un rideau de tulle translucide dit leur séparation en même temps que leur relation. Il n’est pas indifférent que cette barrière-ouverture entre des mondes se transforme en espace du fantasme, qu’elle prenne la forme de la rêverie d’un éden inatteignable ou soit métaphore de la tempête qui éclate dans la tête du personnage en transformant son visage en ciel mouvementé en touches concentriques à la manière d’un Van Gogh. La circulation entre ces univers est fluide, passé et présent se renvoient l’un à l’autre, on chemine dans le temps et l’espace.

D’humour et de poésie

On se glisse dans cette défroque hybride et bigarrée à l’instar du pantalon de survêtement rouge de Mochélan et de sa veste écossaise aux tons orangés. On voit passer la vieille querelle entre Wallons et Flamingants – connaissez-vous un autre pays, aussi petit, qui ait deux ministères de la culture ? On rit un peu jaune d’entendre – est-ce Brel ou Mochélan ou les deux ? – dire qu’il est monté sur scène non pour gagner sa vie mais pour ne pas la perdre. On s’amuse des facéties que s’opposent les deux comparses, des piques qu’ils se lancent. On reste pensif d’entendre « On n’oublie rien. On s’habitue, c’est tout. » et « J’ai mal d’être moi » au moment où la pluie ruisselle sur le rideau de tulle. On est entraîné dans ce mouvement qui fait la nique aux classements, étiquetages et mises en boîte. On se laisse glisser d’un texte à l’autre, d’un rythme à l’autre. On se prend à penser que ces paroles, vieilles de plus d’un demi-siècle, sont encore fichtrement actuelles et que peut-être, au fond, s’il reste un gagnant au milieu du désastre, c’est du côté de la poésie qu’il faut le chercher…

© Leslie Artamonow

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Le Grand Feu

S Conception et mise en scène Jean-Michel Van den Eeyden S Interprétation Mochélan & Rémon Jr S Textes Jacques Brel & Mochélan S Création musicale Rémon Jr S Conseils dramaturgiques Simon Bériaux S Assistanat Agathe Cornez S Coach chant Muriel Legrand S Création lumière Alain Collet S Illustrations et animations Paul Mattei & Fabrice Blin (Fabot) S Création vidéo Dirty Monitor S Scénographie Mauro Cataldo & JMVDE S Costumes Sans allure S Régie lumière et vidéo Isabelle Simon en alternance avec Arnaud Bogard S Régie son Steve Dujacquier en alternance avec Samson Jauffret S Production L’ANCRE - Théâtre Royal S Coproduction Théâtre de Poche, MARS, Mons Arts de la Scène et la Fondation Mons 2025, la Ferme du Biéreau S Soutien Théâtre des Doms S Remerciements Fondation Brel.

27 novembre > 4 décembre - Sam 27 nov à 20h - Dim 28 nov à 16h - Lun 29 nov à 19h - Mar 30 nov à 19h - Jeu 2 déc à 19h - Ven 3 & Sam 4 dec à 20h

Au Théâtre Dunois - 7 Rue Louise Weiss, 75013 Paris.  En partenariat avec le Théâtre Jean Vilar à Vitry

Réservations 01 45 84 72 00 www.theatredunois.org

Tournée 2021-2022

Du 27.11 au 04.12.2021 | Théâtre Dunois - Paris (FR)
Du 15.12 au 17.12.2021 | L'Ancre - Charleroi (BE)
Le 22.01.2022 | 20h00 | Théâtre des Sources - Fontenay-aux-Roses (FR)
Les 27 et 28.01.2022 | Centre culturel de Leuze (BE)
Le 26.02 | 20h00 | Centre culturel des Roches - Rochefort (BE)
Le 15.03 .2022 | 20h00 | Le Reflet - Vevey (CH)
Les 17 et 18.03.2022 | Nebia - Bienne (CH)
Le 01.04.2022 | 20h00 | Espace municipal Jean Vilar - Arcueil (FR)

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