5 Novembre 2021
Le passionnant débat proposé par le spectacle nous invite à nous interroger, au-delà du thème de l’agression sexuelle, sur notre manière de regarder et d’analyser d’où elle est issue et ce que son origine révèle de nos comportements.
Un professeur quinquagénaire reçoit chez lui un soir l’une de ses étudiantes en thèse. Sa femme est absente. Il n’a d’autre projet de départ que de répondre à ses questions. Mais, la partie utilitaire une fois réglée, il l’invite à boire un verre, puis deux. L’alcool lève les inhibitions. Pour elle, découvrir une face plus personnelle de son professeur est un moyen d’apprivoiser ses propres peurs face à l’écriture et de se libérer d’une tutelle perçue comme contraignante. Du côté de cet homme au physique fatigué, déjà usé par une vie peu ambitieuse et confit dans l’habitude, mais plutôt acceptable dans la lignée des mandarins à laquelle il appartient, il y a, face à cette fraîche jeune fille, le surgissement d'un trouble sexuel et l’éveil d’un désir irrépressible qui va l’amener à se comporter en prédateur.
Vivre avec la honte
La pièce tire son titre et en partie son propos du thème de la honte, développé, l'indique l'auteur, tant par Annie Ernaux que par Ingmar Bergmann – la première quant à l’infériorité de ses origines sociales, qui va marquer ses parents au fer rouge, le second dans la renonciation d'un couple à ses idéaux, balayés par la guerre. Ici la honte de soi s’enracine dans nos peurs et nos complexes, elle se nourrit de notre éducation, de notre apprentissage social. Se sentir responsable même lorsqu’on n’y est pour rien. Coupable de ce qu’on fait comme de ce qu’on ne fait pas. Sur les airs rock balancés à la guitare électrique s’écrit le spleen de cette culpabilité dont il est si difficile de s’extraire.
Une situation révélée sur la place publique
La jeune fille cependant entame à l'encontre de son professeur, quelques semaines plus tard, une action qui provoque une commission disciplinaire. Les débats ont lieu en public – les spectateurs présents dans la salle constitueront la masse des étudiants présents à ces séances. Pour la diriger, deux universitaires : une femme et un homme. Très vite, le débat porte sur le fait que cette jeune fille, majeure, se soit laissé faire. Pouvait-elle dire non ? Son comportement passif laisse place aux interprétations les plus diverses. On entre dans les détails les plus intimes du déroulement des événements, la hâte du professeur, l’attitude de l’étudiante, son comportement sexuel. On écoute les différents points de vue. Chacun « s’est cru », de son côté, autorisé à se comporter comme il l’a fait. De ce fait, comment trancher ? Les deux professeurs s’opposent en arguments et contre-arguments.
Quand les soubassements remontent à la surface
Le caractère passionnant du débat tient à ce qu’aucun des personnages qui en font l’objet – l’étudiante et son professeur – n’est tout blanc ou tout noir et que le jugement qu’on peut avoir sur les choses est ailleurs. On pourrait avoir tendance à considérer cet homme vieillissant comme un pauvre type – d’ailleurs c’est ainsi qu’il se voit – et voir dans le même temps dans l'étudiante un être dépourvu de volonté qui se réveille après la bataille. Mais prendre leurs cas personnels, individuels, comme aune de jugement n’est pas pertinent. Derrière se cachent des siècles de différenciations genrées intégrées malgré nous dans nos comportements. Il ne s’agit pas ici de dénoncer et de dresser les uns contre les autres mais de révéler, de mettre au jour un processus inconscient pour voir comment hommes et femmes d’aujourd’hui pourraient parvenir à trouver le bon équilibre. Le fait que l’auteur comme le metteur en scène soient des hommes est à cet égard éclairant sur la nécessité d’aller l’un vers l’autre. Alors, plutôt que la guerre des sexes que prônent et nous serinent quelques jusqu'au-boutistes, très en vogue aujourd'hui, quand l’intelligence et la pensée remplacent les slogans simplificateurs et l'outrance, on se sent tout à coup beaucoup mieux…
La Honte de François Hien
S Mise en scène Jean-Christophe Blondel S Avec John Arnold, Yannik Landrein, Noémie Pasteger, Pauline Sales S Musique Rita Pradinas S Scénographie Cerise Guyon Lumières Solange Dinand S Production Compagnie Divine Comédie S Coproduction Comédie Poitou Charentes, Théâtre de Rungis S Soutiens DRAC Normandie, Région Normandie, le Département Seine Maritime, l’ODIA Normandie et Dièze - Comédie de Saint Etienne S Durée 1h50 S À partir de 15 ans
Théâtre de Belleville – 16 Passage Piver – 75011 Paris
www.theatredebelleville.com • Tél 01 48 06 72 34
Du dimanche 7 novembre au mardi 30 novembre 2021
Lundi 21h15, Mardi 21h15, Dim 20h, relâche le 16 nov.
TOURNÉE 21-22
16 novembre 2021 au Théâtre de Rungis
16 et 17 février 2022 au Carré Amelot de La Rochelle
24 février 2020 au Théâtre de Lisieux Normandie
8 mars 2022 au Théâtre des Charmes à Eu
11 mars 2022 à l’Espace François Mitterrand à Canteleu
15 et 16 mars 2022 à l’Odyssée de Périgueux