20 Novembre 2021
Le Laos est aujourd’hui un désert cinématographique – ou presque – dans un pays où s’exerce une censure forte. Raison de plus pour porter attention au premier long métrage de Kiyé Simon Luang.
À bord d’un bateau à moteur plutôt poussif qui porte sur sa carcasse de bois des signes d’usure et de vieillissement certains, deux hommes discutent. Il est question d’un complexe hôtelier de grand luxe qui viendra coloniser les bords du lac que le bateau traverse. Ils ont rendez-vous, justement, avec un financeur, un entrepreneur Chinois désireux d’investir dans ce projet. Il arrive, au son d’une musique tonitruante « moderne », dans un yacht tape-à-l’œil. Les deux hommes tentent de discuter avec lui du projet, mais en pure perte : il n’a d’yeux que pour la jolie jeune femme qui assure le service. Elle vient d’ailleurs et est revenue travailler avec sa tante au maintien de la petite entreprise qui prend en charge des touristes à la recherche d’une forme d’évasion, authentique et sans chichi.
D’amour et de chansons
Le film va situer son propos dans le registre des chassés-croisés amoureux. Mister Wong, le Chinois, est épris de France qui lui préfère un coupeur de bois bientôt au chômage, que Monsieur Wong envoie travailler à prix d’or en Chine. L’employé de la tante de la jeune fille est également amoureux d’elle et espère que le départ de son rival, qui fera place nette et lui offrira la latitude de tenter sa chance. Dans ce contexte arrive un Français, parti à la recherche de la femme qui l’aime et qui l’a quitté pour venir se réfugier ici, sur une petite île au milieu du lac. Il la rencontre, elle le tient à distance, lui oppose une résistance qui le contraint à effectuer ce qui s’apparente à un voyage initiatique en apprenant à vivre avec les habitants du pays pour trouver le chemin qui mène vers elle. Ces bluettes déroulent leur parcours au milieu des chansons d’amour qu’égrène la radio ou que chantent, façon karaoké, les protagonistes et les touristes de passage. Amours contrariées, déclarations d’amour et esquives ponctuent cette intrigue quelque peu à l’eau de rose qui dégage un parfum plutôt kitsch, enraciné dans la culture populaire, n’étaient les enjeux qui se dessinent sous la surface.
La fable douce-amère d’un impérialisme masqué
Le principe qui gouverne une comédie romantique est que tout est bien qui finit bien dans le meilleur des mondes. Pourtant, la surface lisse de la conclusion heureuse masque une perspective qui s’avère bien moins riante. Ce n’est pas par hasard que le multimilliardaire qui se propose d’investir soit Chinois. Dans cette région du Sud-Est asiatique, la Chine aujourd’hui, a des visées, comme dans bien d’autres parties du monde, de mainmise économique. Une telle situation conduirait à la disparition programmée du mode de vie traditionnel des habitants qui résident autour du lac Nam Ngum et que France et sa tante, avec leurs petits moyens, essaient de conserver. Elles apparaissent, malgré les difficultés d’existence que comporte cette survivance, comme les dernières garantes d’une tradition en voie d’extinction. Et même quand le Chinois – grand, noble et généreux ? – renonce à France et permet aux amoureux de se retrouver, la jeune femme est consciente que si l’un s’en va, il y en aura beaucoup d’autres et que leurs jours sont comptés.
Un acte militant dans un contexte cinématographique difficile
Kiyé Simon Luang, quoique né au Laos, vit en France depuis l’âge de dix ans. Il dresse de son pays d’origine un portrait à la fois objectif, fantasmé et pétri d’émotion. Il dit la difficulté de trouver des acteurs professionnels laotiens pour réaliser son film – seul l’amoureux de France est un professionnel, tous les autres sont des amateurs. Il inscrit sa démarche dans celle d’un renouveau du cinéma populaire laotien dans un pays où le cinéma est devenu un phénomène marginal depuis la révolution de 1975 – il n’y a plus que trois salles de cinéma dans tout le pays. Avant, à Vientiane, la capitale, il existait quinze cinémas qui diffusaient en 35 mm des productions venues de Hong Kong, Pékin, Hollywood et de la production indienne de Bollywood ou de sa cousine égyptienne. Renouer avec la mémoire envolée de la cinéphilie populaire constitue l’un des objectifs que le réalisateur s’est fixé avec le producteur et distributeur Shellac.
Une déclaration d’amour au Laos
Ce film lui offre l’occasion de retrouvailles, pour un long métrage, avec la terre de ses ancêtres. De longs plans scrutent la surface du lac Nam Ngum tandis que dans le lointain s’étagent les pentes brumeuses des reliefs couverts de végétation. Un rythme du fil de l’eau, calme et apaisé, imprègne les personnages. Une profonde humanité se dégage de ce film où le mariage de France fait revivre des noces villageoises dans un esprit de simplicité chaleureuse et de beauté. Dans ce village, le temps semble arrêté et les efforts des deux femmes pour en conserver le suspens contribuent à renforcer cette image fantasmée et poétique. Nimbé d’une lumière très particulière, rendue plus légèrement brumeuse encore par le choix du 16 mm pour le tournage, le film semble sorti d’un songe qui nous plongerait plus d’un demi-siècle en arrière, une minute avant la destruction programmée, l’apocalypse qui le réduira à néant. En dépit de quelques imperfections – c'est un premier long métrage –, il émane cependant de ce film un vrai charme, un peu désuet peut-être, mais très attachant.
Goodbye, Mister Wong de Kiyé Simon Luang - 100 min - français, lao, chinois, anglais sous-titrés français - France, Laos – 2020 - Sortie en salle le 15 décembre 2021
S Réalisation et scénario Kiyé Simon Luang S Avec : France Nini Vilivong, Hugo Marc Barbé, Tony Wong Soulasath Saul, Nadine Nathalie Richard, Xana Khamhou Phanludeth, Mère de France Phourasamy Vilay, Toui Thongmay Niyomkham, Oncle de France Souvanlay Phetchanpheng, Tante de France Maly Inthapannya S Image Aaron Sievers S Son Pierre Alain Mathieu S Montage Frédéric Fichefet S Montage son Céline Bellanger S Mixage Ange Hubert S Etalonnage Pierre Choqueux S Régie Soulasath Souvannavong S Productrice exécutive Francine Cadet S Producteurs associés Setha Mongkhoun, Martin Derain, Mélanie Dieter, Julien Sigalas, Sandra Bigot S Producteur délégué Thomas Ordonneau S Distribution Shellac