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Arts-chipels.fr

Ailleurs, partout. Une immigration sous surveillance dans l’œil de la caméra.

Ailleurs, partout. Une immigration sous surveillance dans l’œil de la caméra.

Peut-on filmer une histoire sans en montrer aucune image ? C’est le pari que relèvent Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter dans ce film étrange mais attachant qui retrace l’exode d’un jeune Iranien parvenu jusqu’en Angleterre.

Shahin Parsa n’a pas vingt ans lorsqu’il décide de fuir l’Iran. Les réalisatrices le rencontrent dans un camp, en Grèce. Il est jeune, plein de rêves. Il sourit à l’avenir. Ils ne se perdent pas de vue. Un an et demi après, il a réussi à gagner l’Angleterre où il attend d’obtenir le statut de réfugié. Son regard s’est éteint. Il vit confiné, n’échange avec personne, a dans la bouche un goût d’amertume. Il n’a plus d’imaginaire, plus de projet. Comprendre ce qui s’est passé forme le propos du film.

© 2020 Dérives - CBA

© 2020 Dérives - CBA

Ce qu’on voit à l’écran et ce qu’il y a derrière

Ce qui saute au visage dès les premières images, c’est l’absence du protagoniste. Tandis que des vidéos de mauvaise qualité révèlent des images nocturnes, on imagine qu’il s’agit peut-être des images que Shahin a captées à son arrivée en Angleterre. Images floues, pas cadrées, pas léchées qui découpent l’espace en zones de couleur noyées dans une brume qui forme des halos autour des zones illuminées. Un charme étrange, insolite, en émane cependant, tandis qu’une voix off, féminine, raconte l’aventure de ce jeune homme parti tenter sa chance ailleurs, en Europe où forcément l’herbe est plus verte, les gens plus ouverts, la vie plus douce. Et le film se poursuit, avec toujours des images de même sorte, avec d’autres types de paysages, à d’autres heures du jour, d’autres saisons. Des paysages souvent inhabités, où les rares humains entr’aperçus semblent davantage fantômes qu’êtres de chair et d’os. Des scènes plus ou moins pixélisées, en noir et blanc ou en couleurs. Parfois on entend la voix du garçon, sans le voir – il parle déjà un anglais très correct – parfois c’est un échange téléphonique (du farsi vraisemblablement). Il s’entretient avec sa mère, demeurée au pays.

© 2020 Dérives - CBA

© 2020 Dérives - CBA

Une aventure humaine bouleversante

Peu à peu, par bribes, dans le désordre, on découvre son histoire. Les parents qui se saignent pour l’envoyer vers un autre pays, forcément de cocagne, la traversée de la Turquie, les passeurs. Cette histoire, il la raconte parce que les services de l’immigration la lui demandent dans les moindres détails. La suspicion est de règle. De quel village était-il ? près de quelle ville ? dans quelle région ? Quel est son niveau d’études ? Que fait sa famille ? Pourquoi est-il parti ? Il raconte. Le passeport emprunté pour passer en Angleterre, qu’il a détruit ensuite comme on le lui avait conseillé. Les demandes supplémentaires des passeurs, qu’il faut satisfaire. Sa différence de croyance religieuse et son opposition au père. La voix off de la femme détaille la chronique de son arrivée, sa résidence forcée dans le Nord, l’interdiction de travailler, l’absence de contact en dehors du cercle des exilés qu’on aimerait ne pas voir, le silence dans lequel on s’enferme… Et puis il y a les appels de la famille. Les histoires qu’on raconte. Des études universitaires quand on voudrait bien d’abord un travail. Les omissions, les demi-mensonges – pour ne pas les inquiéter – et l’humeur noire qui déborde parfois.

© 2020 Dérives - CBA

© 2020 Dérives - CBA

Une vie sous surveillance

Progressivement le tableau se complète. Ou plutôt celui qui regarde le complète. Il recrée ce qu’il ne voit pas, bouche les trous dans le récit, supplée par l’imagination à ce qui n’est ni dit ni montré. Les images, pourtant, sont toujours là. On comprend peu à peu qu’elles sont volées à un temps et à des lieux qui ne sont pas ceux de l'histoire, qu’elles émanent des caméras de surveillance qui scrutent aujourd’hui en permanence l’ensemble de nos vies. Elles sont partout, nous épient, nous identifient, nous suivent. À notre insu, en dépit qu’on en ait. Et peu importe que les images aient l’air de venir d’ailleurs, d’Asie ou d’Orient, qu’elles ne filment rien d’autre que le flot ininterrompu des voitures qui laissent leur tracé lumineux ou des baigneurs humains barbotant dans leur aquarium. À l’enfermement de Shahin, placé sous contrôle « en résidence » répond la surveillance généralisée du système social.

Drame individuel et dérives collectives se répondent. Ils sont les deux faces d’une même réalité, déshumanisée et broyeuse de rêves. Si l’aventure de Shahin n’en prend que plus de relief, c’est parce qu’elle est emblématique d’un système invisible mais néanmoins omniprésent dont on mesure les répercussions, concrètes, sur la vie d'un individu. Sur un semblable, sur un frère...

© 2020 Dérives - CBA

© 2020 Dérives - CBA

Ailleurs, partout - 2020 - 63’- Belgique - Couleur/N&B - VOSTFR

S Un film de Isabelle Ingold & Vivianne Perelmuter S Avec Shahin Parsa S Réalisation & montage Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter S Montage son Clément Claude I Nathalie Vidal I Mikaël Barre S Mixage Nathalie Vidal I Benoît Biral S Étalonnage Miléna Trivier S Production Dérives I Julie Freres S Coproduction CBA - Centre Audiovisuel à Bruxelles I Javier Packer-Comyn S Avec le soutien du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, du Service Public Francophone Bruxellois et de la Wallonie

Sortie en salles le 1er décembre 2021

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