L’Assignation. Voulez-vous jouer à être noir(e) avec moi ?

L’assignation, c’est l’étiquette qu’on vous colle et qui va conditionner tout votre comportement et celui des autres. Tania de Montaigne et ses comparses en explorent, sur le mode de l’humour, les attendus et leurs prolongements dans une forme participative.

Une adolescente aux cheveux crêpus et à la couleur de peau foncée, très foncée, qui voudrait faire comme les autres, se voir une chevelure souple et ondulée flottant au vent comme en montrent les publicités de jeunes filles qu’on nous projette sur scène, débarque chez un coiffeur de la région parisienne. Les coiffeuses qui l’examinent lui opposent un refus en ces termes : « On ne coiffe pas ça. » La voici assignée à passer de noire (sa couleur de peau) à Noire, avec une capitale. Devenir une catégorie...

Débusquer le racisme qui dort en chacun

Cette assignation, Tania de Montaigne l’explore. À travers les images que nous livrent les publicités, par exemple celle des biscuits au chocolat Bamboula, qui renvoie étrangement à certaine poudre chocolatée de notre enfance. En rappelant que 7 % des Américains pensent que le lait chocolaté vient de vaches à la robe marron. En projetant des numéros de l’humoriste Michel Leeb datés des années 1980, où il propose la version parfaitement caricaturale de l’Africain, narines ouvertes et mâchoire en avant, simiesque, qui fit son succès. Partant de là, elle explore tous les poncifs qui s’attachent à cette couleur de peau devenue assignation : être Noir(e). Depuis une demande d’avis sur la girafe massai en voie de disparition, faite en toute bonne foi, parce que, quoique née en France, elle est forcément Africaine, jusqu’aux talents qu’on prête aux noirs en matière d’athlétisme, qui viendraient de particularités physiques spécifiques des personnes d’origine africaine. Elle débusque la part de racisme assumé ou inconscient, héritée de siècles de colonisation et de théories raciales inventées dans le passé.

Une forme participative

Elle ne se contente pas de montrer et de raconter. Elle convie le public à participer. Elle postule que le public est devenu Noir et doit réagir en conséquence, en adoptant ce point de vue. Sur un tableau s’inscrivent les prénoms et les lieux de naissance de spectateurs interpellés dans la salle. L’occasion de s’interroger sur la manière dont on associe inconsciemment un prénom – et un nom – à une origine. Elle cite le sien : Tania de Montaigne, les questions qu’on lui pose sur ce « pseudonyme » qui n’en est pas un. Parce que forcément, ce nom blanc est un nom d’emprunt. Ses comparses dans la salle relancent le débat chaque fois dans une direction différente. Une jeune Asiatique – ou comment doit-on la considérer ? – porte une coiffure tressée à la mode africaine. En a-t-elle le droit ? Devons-nous forcément nous conformer à l’identité qu’on nous prête ou, au nom d’un « respect » de l’autre et de sa différence, nous interdire d’en adopter ce qui nous séduit ? On dérive, on dérive pour élargir le débat à l’Étranger, qu’il soit africain, noir, « jaune », juif, musulman ou hindou… Tania de Montaigne touche là la question sensible du politiquement correct et de ses limites. Dont le débat ne peut qu’être ouvert… En tout cas, à défaut de le trancher, on se prend à penser, au sortir du spectacle, que plus jamais on ne dira d’un noir qui fait de la musique : « Le rythme ? Normal, il a ça dans le sang » ou « Ce soir, je fais la bamboula »…

L’Assignation

S Texte Tania de Montaigne S Adaptation Tania de Montaigne et Stéphane Foenkinos S Mise en scène Stéphane Foenkinos S Avec Tania de Montaigne S Collaboration artistique Aymen Bouchou, Clara Choï, Florence Maury S Assistant Pierre X Garnier S Superviseur visuel Pierre-Alain Giraud S Scénographie Laurence Fontaine S Lumière Claire Choffel-Picelli S Production Arnaud Bertrand – 984 Productions, Coproduction TNB Rennes

Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris

5 – 16 octobre 2021, 21h. le dimanche à 15h30.

Réservations 01 44 95 98 21 et www.theatredurondpoint.fr

Tania de Montaigne présente aussi, du 19 au 23 octobre, le spectacle Noire, consacré à la vie de Claudette Colvin. Voir l’article publié dans arts-chipels : http://www.arts-chipels.fr/2020/09/noire.au-temps-ou-la-segregation-raciale-sevissait.html