16 Octobre 2021
Entre comédie et drame, Shakespeare dresse dans cette pièce un savoureux portrait de l’amour et des faux-semblants que la mise en scène enlevée et un brin déjantée de Maïa Sandoz et Paul Moulin emmène avec humour et vivacité.
À l’entrée du public dans la salle, toutes sortes de gens s’activent sur la scène. Les machinistes s’affairent, les acteurs discutent, boivent le café, échangent des propos. On court d’un côté à l’autre du plateau. Le décor est encore dos au public, la rampe de projecteurs n’est pas encore levée. Dans un coin, on aperçoit les loges. Bientôt c’est le rush. La pièce va commencer, ou plutôt on annonce l’arrivée de Don Pedro, victorieux de ses ennemis. Tout doit être prêt pour l’accueillie en grande pompe. Le prince est accompagné de son protégé, un valeureux jeune Toscan, Claudio, qui s’est illustré au cours des combats.
Rien ne va plus, faites vos jeux !
Les relations sont bien compliquées entre tous ces personnages. Don Pedro a un frère bâtard, Don Juan, avec qui il vient de se réconcilier au terme d’une longue fâcherie. Mais Don Juan est un vaurien, un être maléfique. En plus, l’affection que porte Don Pedro à Claudio le met en rage. Il se vengera à la première occasion. Claudio tombe raide dingue d’Héro, la fille de Léonato, le seigneur du lieu et Don Pedro – Cyrano avant la lettre, mais peut-être pas désintéressé non plus par la jolie fille – s’offre comme entremetteur pour la séduire. Finalement, tout de même, les deux tourtereaux se trouvent, s’aiment et le mariage est arrangé. Avec cette idylle, Don Juan tient les moyens de sa vengeance. Il lui suffit de salir l’immaculée pureté d’Héro… Léonato a une nièce, Béatrice, plus que rétive à l’amour des hommes qu’elle tient pour fourbes, inconstants et débiles... Pas facile de la marier dans ces conditions. Don Pedro a un autre favori, le jeune Bénédict. Celui-ci est, sur le plan amoureux, l’exact opposé de Claudio. Coureur impénitent, séducteur professionnel, il ne considère les femmes que comme des proies. Béatrice et Bénédict se détestent, comme il se doit. Il ne reste plus qu’à mettre tout cela dans le sac, à bien secouer et à voir ce qui tombe…C’est beaucoup de bruit, et finalement pour pas grand-chose…
Tel n’est pas celui qu’il voulait être
Ça fuit par tous les bouts, dans cette histoire. Don Pedro croit son frère repenti alors qu’il ne l’est pas. Don Juan fait semblant d’avoir fait amende honorable, ce qui n’est pas le cas. Claudio, convaincu de la trahison de sa belle qui n’en peut mais, dénonce sa duplicité et réussit à en convaincre Léonato qui renie sa fille. Béatrice et Bénédict jouent à cache-cache au cours d’un bal masqué pour finalement reconnaître l’existence de la carapace qu’ils ont dressée pour se protéger de l’amour. Quant aux serviteurs, ils ne sont pas en reste. Et lorsque la vérité se fait jour, c’est à l’aube d’un duel entre Claudio et Bénédict, convaincu par Béatrice de réclamer vengeance pour l’affront infligé à sa cousine dont on sait qu’il n’est que le résultat d’une fausseté. Duplicité en tout genre, mariage tragique, enterrement de comédie, le monde est sens dessus-dessous, comme toujours chez Shakespeare, et le théâtre est roi.
Des entorses, Monsieur Shakespeare ?
Dès l’abord, le spectacle se met lui aussi à jouer en même temps qu’il se joue. Don Juan, ce jeune homme aux allures de romantique atteint par le spleen, se trompe de pièce et nous débite Hamlet, le rôle qu’il aurait aimé interpréter. Claudio passe du français à l’anglais en oubliant devant quel public il se produit. Il délaisse le tambour et les fracas de la bataille pour « la lyre et le pipeau » sous l’œil attendri de ses mentors qui esquissent quelques pas de danse façon comédie musicale. Les méchants ont des allures de hard punk sur une musique rock à décoller les oreilles. Les soldats deviennent des policiers d’aujourd’hui, avec des répliques on ne peut plus contemporaines. Et lorsque le rideau tombe avant la cérémonie attendue du mariage de Claudio et d’Héro, les comédiens, surgissant à l’avant-scène devant le rideau, nous prennent à partie en affirmant vouloir meubler le temps nécessaire à un changement de décor inexistant ou quasi. De quoi parlent-ils à ce moment sinon de théâtre, de cette manière inimitable qu’il a de confondre vessies et lanternes, de dire une chose qui n’existe pas et par là même, de lui donner une réalité, de la rendre tangible, de la créer. De la force de l’imaginaire et de son partage…
Le jeu avec le public
Car le spectacle ne se joue pas que sur scène. Les comédiens surgissent du fond de la salle ou y descendent, ils prennent les spectateurs à témoin de l’évolution de l’action, leur adressent la parole, les sollicitent – de manière tronquée, bien évidemment, puisque les règles ont été fixées d’avance – à monter sur scène pour participer à la liesse escomptée du mariage d’Héro et de Claudio. Les spectateurs ne s’y trompent pas. Il battent la mesure en frappant dans leurs mains lorsque la musique se fait dansante, façon cubaine ou latino, frémissent d’effroi à voix haute devant les vilénies que révèlent les coups de théâtre. Dans cet univers où les acteurs jouent à jouer des personnages, le public est sollicité pour assumer son rôle. On se trouve projeté dans ce que représentait le théâtre de tréteaux d’antan, avec la connivence qu’il établissait entre acteurs et spectateurs. Un théâtre populaire, quoi ! C’est sans doute ce que ce spectacle jubilatoire dit avec brio. À la langue savoureuse du dramaturge, à son sens de la théâtralité, à ses reparties aussi vertes que pertinentes, aux images qui naissent sous la plume de l’immense poète, il ajoute la convivialité, et ce n’est pas rien !
Beaucoup de bruit pour rien de William Shakespeare Traduction-adaptation : Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz et Paolo Sandoz
S Mise en scène Maïa Sandoz & Paul Moulin S Avec Serge Biavan (Don Pedro), Maxime Coggio (Don Jean), Christophe Danvin (Balthazar), Mathilde-Édith Mennetrier, en alternance avec Elsa Verdon (Borachio), Gilles Nicolas (Léonato), Paul Moulin (Benedict), Soulaymane Rkiba (Claudio), Aurélie Verillon (Béatrice) et Mélissa Zehner (Héro). Comédien.ne.s L.S.F. Lucie Lataste et Patrick Gache S Assistante mise en scène Clémence Barbier S Création lumière Bruno Brinas S Création sonore et musicale Christophe Danvin S Mise en espace sonore Jean-François Domingues et Samuel Mazzoti S Coach vocal Sinan Bertrand S Scénographie et costumes Catherine Cosme S Collaboration chorégraphique : Gilles Nicolas, assisté de Stan Weiszer S Collaboration artistique : Guillaume Moitessier S Administration et production : Agnès Carré S Production et diffusion : Olivier Talpaert S Régie Générale : David Ferré S Régie Plateau : Paolo Sandoz S Durée du spectacle estimée : 1h50 S Production : Théâtre de L’Argument Coproduction : ThéâtredelaCité, CDN Toulouse Occitanie, MC2 de Grenoble, L’Équinoxe - Scène Nationale de Châteauroux, Théâtre des 4 saisons de Gradignan, Espace d’Albret de Nérac, Théâtre 71 de Malakoff et La ferme du Buisson, Scène nationale de Marne-la-Vallée-Noisiel. S Avec le soutien de l’EMC de St-Michel sur Orge, de L’Azimut Antony/Châtenay-Malabry, des 3T de Châtellerault, du Théâtre des Quartiers d’Ivry, de la Direction régionale des Affaires culturelles d’Île-de-France – Ministère de la culture, du Conseil Départemental du Val-de-Marne et de la Région Île-de-France
Présenté les 7 & 8 octobre à l’Agora, Scène nationale de l’Essonne, à Ris-Orangis, et du 13 au 15 octobre au Théâtre 71 à Malakoff.
TOURNÉE 2021-2022
Du 16 au 18 juin 2021 — Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie
23 juin 2021 — L’Equinoxe, Châteauroux
26 juin 2021 — EMC Saint-Michel-Sur-Orge
Du 7 au 9 juillet 2021 — MC2, Grenoble
7-8 octobre 2021 — L’Agora, Scène Nationale de l’Essonne
Du 13 au 15 octobre 2021 — Théâtre 71, Malakoff
20-21 octobre 2021 — L’Azimut - Antony/Châtenay-Malabry
23 novembre 2021 — Les 3T, Châtellerault
4 mars 2022 — La Faïencerie, Creil
Du 25 au 27 mars 2022 — La Ferme du Buisson, Noisiel
31 mai 2022 — Théâtre des Deux Rives, Charenton-le-Pont