Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Une nuit à travers la neige. La force d’écriture de Victor Hugo conjuguée avec l’art du conteur.

Une nuit à travers la neige. La force d’écriture de Victor Hugo conjuguée avec l’art du conteur.

Dans ce seule en scène qui reprend le début de l’Homme qui rit, Ariane Pawin évoque les circonstances de la rencontre des deux enfants laissés pour compte qui connaîtront un extraordinaire destin. Un beau texte et une interprétation sensible.

Un plateau nu pour une comédienne toute de noir vêtue. Le texte et le jeu seront premiers. La comédienne raconte une histoire d’embarquement en pleine nuit. Un groupe aux costumes bariolés mais fatigués, accompagnés d’un enfant, chargent des bagages. Au moment d’embarquer, l’enfant est rejeté. Le voici seul à terre. Ainsi commence le récit de l’Homme qui rit de Victor Hugo, repris dans le spectacle, et l’auteur est habile à ménager le suspense.

© Niki Velissaropoulou

© Niki Velissaropoulou

L’enfant dont on avait élargi le sourire

Dans ce roman philosophique et sombre, publié en 1869, Hugo croise plusieurs histoires. Celle d’un vagabond, Ursus, qui erre dans une roulotte sur les routes anglaises avec pour seul compagnon un loup, Homo en vendant des potions, au fil de son voyage. L’homme est nommé Ours et le loup Homme, dans une définition éclairante du propos. Il recueille un enfant de dix ans, Gwynplaine, que les Comprachicos (littéralement « acheteurs de petits »), spécialisés dans le commerce d’enfants qu’ils achètent puis mutilent avant de les revendre, ont abandonné lors de leur fuite précipitée. Mais l’enfant n’est pas seul. À son tour il a recueilli un bébé, une petite fille, qu’on prénomme Dea (la Déesse). Ursus monte un spectacle avec l’enfant dont le sourire a été « élargi » par ces brigands sans cœur et sans pitié. Après bien des péripéties, on découvrira l’identité de Gwynplaine, lord et pair d’Angleterre, mais le destin de ces deux enfants devenus grand les mènera vers une fin tragique… Mais nous n’en sommes pas là quand commence le récit qui se concentre sur la rencontre entre ces trois personnages.

© Niki Velissaropoulou

© Niki Velissaropoulou

L’art du conteur

Cette nuit d’hiver 1690, il fait un froid glacial et Hugo, en narrateur consommé, nous plonge dans l’univers de désolation où va errer l’enfant. « Un hiver mémorable aux pauvres » où sur la Tamise gelée, on peut faire rôtir une pièce de viande sans que la glace fonde. L’enfant en haillons, vêtu d’un suroît de marin trop grand pour lui, cherche une présence humaine, une main secourable, un peu de chaleur tandis que la nuit monte et que s’élève un méchant brouillard. Voici qu’il se heurte, oscillant au vent, à des contrebandiers pendus le long de la côte pour mettre en garde leurs semblables. Sinistre présence en décomposition dont des morceaux de squelette émergent au milieu des lambeaux de chair. Dans le criaillement des oiseaux avides d’y trouver leur repas, les trous ont remplacé la bouche, le nez et les yeux et sur le visage, les limaces dessinent des rubans d’argent. Le ton est donné. Hugo ménage suspense et coups de théâtre dans ce décor noir de noir.

© Niki Velissaropoulou

© Niki Velissaropoulou

La ballade des laissés pour compte

L’auteur distille, détail après détail, les éléments de cette nuit d’horreur, la blancheur de l’écume sous la masse nuageuse qui pèse comme un couvercle, les plaques de neige. Un peu plus loin, c’est une femme gisant dans la neige, enterrée, dont le cadavre émet un son inquiétant, entre cri et vagissement. Gwynplaine découvre entre ses bras un enfant. L’errant sans bois ni lieu, sans foyer, recueille ce bébé, perdu comme lui-même. Il sait seulement qu’il doit marcher, chercher la lumière, la chaleur d’un village. Mais les portes auxquelles il frappe restent closes. Chacun se terre – la peste est passée par là et la peur règne. Jusqu’à ce qu’il arrive à la roulotte d’Ursus. Commence l’histoire de ces oubliés du monde qui ont le malheur pour escorte…

Une histoire d’hier et d’aujourd’hui

Ce récit d'êtres marqués par le sort qui se hâtent dans l’ombre et affrontent la noirceur pour se battre pour leur survie, Ariane Pawin le regarde et le commente en même temps qu’elle le conte. C’est avec ses yeux du XXIe siècle qu’elle en rend compte. Un monde où les migrants de toutes origines, fuyant leurs pays en guerre et les exactions de toute sorte sont venus s’échouer là où ils ne sont pas les bienvenus, là où on les rejette. Cette histoire a des choses à nous dire, aujourd’hui et maintenant. Elle nous parle du dénuement, de la détresse et de la solitude de ces nouveaux arrivés face à l’hostilité de ceux qui pensent avoir quelque chose à perdre. Une histoire sans fard contée par une comédienne-adaptatrice qui jette des passerelles entre le passé et le monde d’aujourd’hui.

© Niki Velissaropoulou

© Niki Velissaropoulou

Une histoire nue sur le plateau nu d’un théâtre

Par la seule force du verbe et de l’expressivité de son jeu, Ariane Pawin fait vivre ce drame de la misère et de la solitude. Sans misérabilisme ni pathos inutile, elle se glisse, sur les traces d’Hugo, dans la peau de l’enfant pour regarder le monde. Elle ne recourt à aucun artifice, n’utilise aucun accessoire. Pieds nus, ombre noire s’effaçant derrière son récit, elle se tient dans la lumière qui, elle, raconte aussi. Éclairages de dessus qui, dans leur halo, accentuent les traits et les dramatisent comme dans une œuvre expressionniste, chemin de pénombre dans lequel s’engage l’enfant, embrasure de la porte de la roulotte dans laquelle s’inscrit le rectangle de lumière qui s’ouvre sur le havre où ces deux réprouvés trouveront asile, la lumière est un personnage qui dialogue avec la conteuse. On reste saisi par la puissance d’évocation que cette économie de moyens engendre. Il y a de la finesse, de la nuance et de la force dans ce spectacle de presque rien qui contient tout un monde…

Une nuit à travers la neige. D’après L’Homme qui rit de Victor Hugo

S Création et narration Ariane Pawin S Mise en scène et création lumière Marien Tillet S Création sonore Alban Guillemot S Création costume Aude Désigaux S Regard chorégraphique Célia Chauvière S Régie Simon Denis S Production Compagnie La Fausta S Co-production Théâtre des Sources (Fontenay-aux-Roses), La Maison du Conte (Chevilly-Larue). S Avec le soutien de la Direction générale des affaires culturelles - Ministère de la Culture (Aide à la création DRAC Île de France)

Théâtre des Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris

Du 3 au 26 octobre 2021, les dimanches, lundis et mardis à 21h

Tél. 01 42 36 00 50. Site : www.lesdechargeurs.fr

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article