Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Supernova. L’amour au temps de la démence.

Supernova. L’amour au temps de la démence.

Ce road trip intimiste brosse à petites touches délicates l’évocation sans pathos d’une présence qui se défait au sein d’un couple de vieux compagnons. Un beau film émouvant, lumineux et tendre.

À bord de leur vieux camping-car, Sam et Tusker traversent la campagne anglaise. Ils sont silencieux. De temps en temps, Sam, qui conduit, caresse la main de son compagnon. Entre eux s’établit un échange muet, une complicité qui n’a plus besoin des mots. Alentour, la campagne forme comme un écrin ensoleillé. Ils sont en vacances, en route vers des lieux qui ont vu leur jeunesse. La sollicitude de Sam pour Tusker est palpable. À la station-service où il s’est arrêté, il ne cesse d’observer le camping-car où Tusker est resté. Un moment d’inattention et voilà Tusker disparu. Sam se lance à sa recherche. Il le retrouve en pleine campagne, perdu, désorienté. Peu à peu, les éléments de l’histoire se mettent en place. Tusker souffre de démence sénile. Pas de crise de violence, pas de camisole de force, juste l’esprit qui s’absente, de plus en plus fréquemment et avec chaque fois une intensité plus grande. À la fin, il le sait, il ne reconnaîtra plus Sam. Pour ces « vacances », Sam a suspendu toute activité pour se consacrer à Tusker car le temps leur est compté…

© Supernova Film Limited

© Supernova Film Limited

Un long compagnonnage

Tusker est écrivain, Sam concertiste. Il a mis sa carrière entre parenthèses pour accompagner la fin de vie de Tusker, ce que celui-ci refuse. Ils ont derrière eux un long chemin ensemble, jalonné d’amis et de rencontres communs, et une famille accueillante et chaleureuse. Un couple comme tous les autres bien qu’il soit composé de deux hommes, installé loin des clichés excessifs qu’on prête à la communauté homosexuelle, loin de ses tonitruants combats, loin de toute revendication genrée. Nous sommes au-delà, dans le domaine de l’évidence, dans un monde d’après, dans la « normalité » de la vie débarrassée des attendus hérités de notre mémoire sociale. Le chien ronfle. Tusker s’acharne à lire une carte alors que le GPS indique sans coup férir l’itinéraire. Il a toujours été réticent à un certain « progrès » et rédige encore ses notes littéraires sur un petit carnet qu’il remplit à la main. Un monde qui se compte en presque riens accumulés, en regards qui s’échangent, en petits gestes de tendresse – une tête sur une épaule, l’effleurement d’un bras –, en une chambre d’enfant au lit trop étroit, une vie lourde de toute une histoire.

© Supernova Film Limited

© Supernova Film Limited

Le lent délitement de deux existences

Les signes de dysfonctionnement sont à peine perceptibles. Dans l’attention inquiète de Sam envers Tusker, le regard toujours à l’affût, en éveil, surveillant du coin de l’œil les possibles dérives de son compagnon. Dans une sollicitude qui se double d’une observation impitoyable lorsqu’il regarde Tusker peiner à enfiler ses manches ou boutonner sa chemise. Dans sa feinte décontraction lorsqu’il le voit dans l’incapacité de faire son discours ou même de lire ce qu’il a écrit et qu’il le remplace dans sa lecture comme si tout cela coulait de source. Mais ils sont présents tout autant dans l’humour qu’exerce Tusker vis-à-vis de lui-même et de la réduction de ses capacités, dans l’empathie teintée de tristesse qu’il montre à l’égard de Sam qui accompagne sa déchéance, dans la conscience qu’il a de sa dégradation et du caractère irréversible de celle-ci ou lorsqu’il établit un parallèle entre la mort d’une étoile, une supernova qui disperse dans l’espace les débris de ce qu’elle fut, et la disparition de son esprit.

© Supernova Film Limited

© Supernova Film Limited

Deux acteurs d’exception

Ce double déchirement de l’un pour l’autre acquiert une force d’autant plus grande qu’il ne s’exprime qu’en demi-teintes. Un regard trop appuyé qui s’attarde sur une bévue, un demi-sourire d’excuse, quelques larmes vite ravalées quand le trop-plein déborde, d’un côté, un abandon confiant doublé d’une excuse muette et la propension à l’auto-dérision de celui « qui est en train de mourir et qui continue pourtant de saisir ce que la vie a de drôle », de l’autre. Colin Firth, dans le rôle de Sam, et Stanley Tucci, dans celui de Tusker, sont infiniment justes dans la retenue. Il fallait beaucoup de confiance entre les acteurs pour donner toute sa force à la situation et une complicité de longue date pour tisser ces liens invisibles mais néanmoins omniprésents – c’est le cas de leur relation mutuelle, dans la vie. À tel point qu’ils ont inversé la distribution d’origine, choisissant d’endosser le rôle initialement prévu pour l’autre. Dans ce film qui repose sur eux, aux grands plans larges d’une nature heureuse, comme un dernier éden avant la catastrophe, comme un ultime sourire avant l’apocalypse, succèdent en alternance de très gros plans sur les personnages, qui ne laissent rien passer. Les expressions sont scrutées, les plissements d’yeux épinglés, une moue fugitive ou des lèvres serrées un court instant n’échappent pas à cette caméra insistante, investigatrice, qui déshabille l’expression des visages. Pour atteindre ce but, il fallait que les acteurs fussent grands. Colin Firth et Stanley Tucci se révèlent ici exceptionnels.

© Supernova Film Limited

© Supernova Film Limited

Le débat autour de la fin de vie

Harry Macqueen souhaitait que sur un sujet aussi grave, la vision qu’il donne de la maladie soit juste. Le film est donc alimenté par le croisement des expériences personnelles, le visionnage de documentaires, la rencontre de patients et les analyses des spécialistes. L’auteur-réalisateur « dote » Tusker d’une atrophie corticale postérieure, ou syndrome de Benson, un type de démence précoce, qui engendre un déclin progressif de la vision et des capacités de lecture, mais préserve la mémoire lors des premiers stades. Une pathologie qui le détruit de l’intérieur. Lorsqu’à la fin du film, les notes de Tusker se sont transformées en un gribouillis d’où les mots mêmes ont été bannis, les deux personnages, malgré leur amour, sont au bord d’un précipice qui va s’élargissant au fil du temps. Dans les intervalles éveillés que lui laisse sa conscience, Tusker envisage de choisir sa fin de vie. « Pour qu’on se souvienne de qui j’étais et non de celui que je suis devenu. » Une décision qui n’engage pas seulement le malade…

L’apparent lissage des relations entre les personnages n’en fait pas moins percevoir la violence quasi insoutenable de la situation, lorsque l’homme qu’on aimait ne se ressemble plus ou quand l’amour s’est dissipé dans les brumes du cerveau et qu’on étreint encore un corps qui n’est plus le même, familier en même temps qu’étranger. Cette humanité-là, toute de profondeur, étreint le spectateur. De cette confrontation à la fois si proche et si universelle, on ne ressort pas indemne.

Supernova - 2020 - Royaume-Uni - Drame - 94 min

Scénario et réalisation Harry Macqueen

S Avec : Sam Colin Firth, Tusker Stanley Tucci, Lilly Pippa Haywood, Clive Peter Macqueen, Charlotte Nina Marlin, Paul Ian Drysdale, Sue Sarah Woodwar, Tim James Dreyfus, Lola Lori Campbell, Rachel Daneka Charlotte Etchells

S Image Dick Pope S Montage Chris Wyatt S Décors Sarah Finlay S Musique Keaton Henson S Costumes Matthew Pryce S Production Emily Morgan, Tristan Goligher S Production déléguée Mary Burke, Eva Yates, Vincent Gadelle

Sortie nationale le 8 septembre 2021

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article