24 Septembre 2021
Cette évocation d’une vie de rien au travers de petites choses, avec ses joies et ses peines, ses plaisirs, ses ratages et ses pertes, témoigne d’une véritable originalité de traitement, qui le détache avec bonheur des spectacles sur le même thème.
En fond de scène, une table à tréteaux et des étagères, encombrées de tout un bric-à-brac d’atelier, des bouts de tuyau, des amas de films en polystyrène, un réservoir d’eau, des seaux et, plus insolite, un jeu de clés de serrage accrochées à des ficelles – on découvrira rapidement qu’elles servent de percussions dans une partition étrange interprétée par un orchestre insolite de trois manipulateurs. Deux personnages apparaissent à l’avant-scène. Le premier est muet et s’exprime par le mime. Le second, le narrateur, commente et raconte l’histoire.
Une vie de rien ou de si peu de chose
Frantz est un employé modèle, attentif, à la vie réglée comme un métronome. Attentif, concentré devant la photocopieuse de son bureau, il est très fier de gérer le dossier 658, celui d’une machine à laver dont on apprendra plus tard qu’elle a été conçue pour ne durer que le temps de sa garantie. Il est poli avec son chef, ne dédaigne pas d’aller boire un coup après le boulot avec ses collègues. Bien sûr, il y a quelques accrocs dans le rythme bien réglé de sa vie, quelques mardis de vacances sur la côte, à l’ouest ou dans le Midi mais aussi dans la France profonde ou à Barcelone, mais les jours de sa vie se ressemblent à en crever. Du côté des filles, ce n’est pas terrible. Il y en a eu une, puis une autre, puis d’autres encore. Alors, il est tout seul et ne s’en porte pas mal. Une vie d’habitudes et de servitudes, où surtout le hasard n’a pas sa place.
Un élément perturbateur dans une vie trop rangée
Mais justement, voilà que le beau système se dérègle, qu’un grain de sable s’introduit dans la machine bien huilée du quotidien. Un soir, treize minutes exactement après qu’il a éteint la lumière pour s’endormir – comme toujours à la même heure – le téléphone sonne. Il hésite à décrocher, à faire une entorse à sa règle. Il est 23h13. On lui annonce le décès de son père. Son père, voici longtemps qu’il ne le voyait plus. Brouillés ils étaient, sans véritable brouille d’ailleurs. Un père qui l’avait élevé – la mère était partie. Il n’en faut pas plus pour que se dérègle la belle machine de sa vie sans histoire et que cette perte, qu’il aurait crue sans importance, engendre un véritable tsunami dans son existence, le contraignant à reconsidérer l’ensemble de son parcours et surtout son avenir…
Une vie quotidienne passée au filtre de bruitages
Placée sur un mode décalé, l’évocation de la vie quotidienne de Frantz se fait au travers du mime et sur le mode comique. Il dessine la silhouette d’un personnage naïf dont les mimiques sont accentuées par les bruitages qui l’accompagnent. Trois bruiteurs illustrent cette plongée dans l’histoire de Frantz. Un froissement de feuilles de polystyrène nous renvoie au bord de la mer, dans la rumeur des vagues tandis que d’un tuyau de plastique sort la plainte d’une corne de brume. Grommelots, bribes de textes, concert de clés, eau qui goutte ou qu’on remue dans un seau contribuent à évoquer l’enfance en bord de mer de Frantz tandis que de petits claquements, roulements et chuintements matérialisent le travail de la photocopieuse. Les rumeurs indistinctes du café sont ponctuées par le bruit de l’eau qu’on verse et le tintement des clés qui sert à trinquer. Le bruitage, en même temps qu’il illustre, décale le spectacle de la réalité. Il introduit une distance par rapport à une histoire en fait dramatique. Évocateurs sans être une copie illusionniste de la réalité, les bruitages donnent au récit une dimension métaphorique et poétique tout en introduisant une note d’humour.
Des niveaux de jeu pour des niveaux de texte
L’existence cadrée, quasi immuable et stéréotypée de Frantz est « trouée » par l’irruption de son passé. On le retrouve petit garçon face à son père et, cette fois, le voici qui parle, dialogue avec le narrateur. Tout au long du spectacle, les deux univers, passé et présent, alterneront pour faire remonter à la surface l’histoire de Frantz et la détérioration progressive des rapports entre le père et son fils. Se dessine le récit d’un naufrage, d’un glissement progressif qui s’introduit dans ce quotidien terne qui se dégrade au fur et à mesure de l’irruption du passé. Quand Frantz a largué les amarres, qu’il a fini d’éplucher le carnet rose où sont consignées les coordonnées de ses ex-petites amies auxquelles il pensait se raccrocher, qu’il a vidé ses verres jusqu’à la dernière goutte, que le rythme de son pas lourd a été marqué par le bruit de succion d'une poire-déboucheur en caoutchouc, ne reste que le chant des sirènes et la mer. Une mère refuge où se glisser, à moins que…
Alors que les thèmes tournent autour du mal-être, du conflit des générations, de la séparation et de la mort, le ton de ce spectacle très fignolé reste léger. La mise à distance introduite par sa manière décalée de conter l’histoire donne de l’allant, de la fraîcheur et de la poésie à une fable de notre temps qui devrait séduire petits et grands.
Frantz S Texte & mise en scène Marc Granier S Lumières Johannes Johnström S Jeu Louis Kientz, Clara Lloret Parra, Chloé Louis, Paul Ménage, Samy Morri S Coréalisation Les Nouveaux Déchargeurs - Compagnie BPM. Avec le soutien de l’Espace Sorano et du Centre Paris Anim Les Halles-Le Marais (dispositif d’aide à la jeune création)
Aux Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris
Du 3 au 26 octobre à 19h, du dimanche au mardi à
Tél. 01 42 36 00 50. Site www.lesdechargeurs.fr