2 Mai 2022
Jusqu’où pouvons-nous nous laisser entraîner si nous ne sommes pas capables de discerner les manipulations mentales auxquelles nous sommes soumis ? C’est cette question troublante que Matthieu Villatelle pose avec acuité dans le spectacle.
Il a une tête à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Sympathique, propre sur lui, avec sa veste et ses chaussures cirées. Sérieux, quoi. Sur l’écran défilent le logo de Cerebro et des témoignages de personnes y ayant eu recours. Cerebro est un faux programme de développement personnel ayant pour but de démontrer au public qu’il peut avoir accès à des capacités insoupçonnées telles que la lecture de pensée ou le décryptage du langage corporel. Faut-il croire dans les vertus du programme ou s’en défier ? Le « message » est annoncé d’emblée : « Si vous ne savez pas comment fonctionne votre cerveau, d’autres sauront le faire fonctionner pour vous. » C’est de la manipulation mentale, du conditionnement psychologique, avec pour corollaire du lavage de cerveau et de l’endoctrinement dont il sera question.
Il est sérieux, là ?
Matthieu Villatelle amène progressivement le spectateur là où il a prévu de le mener, sur des terres de plus en plus risquées et aventureuses, sans même qu’il ait pris conscience du danger que cela représente. On commence de manière soft, par des figures géométriques à déterminer ou des pièces de monnaie cachées dans une des deux mains, qu’il s’agit de trouver. Mensonges, confiance, influences et croyances sont les maîtres-mots du jeu auquel il va se livrer avec le public. Bientôt des spectateurs seront invités à monter sur scène et on leur fera croire à des capacités insoupçonnées, à un niveau d’excellence qu’ils possèdent sans le savoir. Et surtout sans savoir que le meneur de jeu les a conduits là où il le souhaitait. Car le jeu se corse au fur et à mesure tandis qu’accompagné par la lumière qui s’amenuise sur la scène, on s’enfonce dans du plus dramatique. Ce sont d’abord les questions indiscrètes, déstabilisantes, le questionnaire de personnalité puis des exercices qui engagent le corps à se mettre en danger. Insensiblement, et malgré des réticences parfois marquées, les spectateurs dans la salle comme ceux appelés sur scène rentrent dans le jeu.
Et si on débriefait ?
À la fin du spectacle, place aux questions et au débat, car le moment que les spectateurs viennent de partager a un sens. Il s’agit non seulement de décrypter les témoignages qui sont apparus à l’écran, de transfuges, d’exfiltrés de la scientologie – et qui sont présentés, une première fois sous forme réduite dans le cadre du « message » qu'on voulait leur faire porter, une seconde pour les replacer dans leur contexte, évidemment différent – mais aussi de prendre conscience qu’on a été, sans le savoir, embarqué dans une aventure en dépit de notre plein gré. Magicien et comédien, Matthieu Villatelle, sans révéler ses « trucs » ou seulement une partie, nous entraîne à la découverte des ingérences qu’a subies notre comportement sous la pression mentale indiscernable ou presque qu’il a fait peser sur nous et qui nous a fait le suivre sur un terrain de plus en plus glissant. La séance à laquelle nous avons participé n’est rien de moins qu’un moyen de prendre conscience des enjeux qui existent lorsqu’on abdique sa propre responsabilité en s’en remettant à d’autres et qu’on renonce à son libre-arbitre.
On frémit en se rappelant l’expérience menée par Stanley Milgram, un jeune chercheur en psychologie sociale à l’université de Yale, au début des années 1960 pour tenter de comprendre les mécanismes psychologiques ayant conduit des milliers d’hommes à torturer et tuer des millions d’autres durant la Seconde Guerre mondiale. Sous prétexte d’étudier l’efficacité de la punition en matière d’apprentissage, il était demandé à des participants d’administrer des décharges électriques (fictives) à un tiers. L’objectif réel était en fait de mesurer le niveau d’obéissance à un ordre contraire à la morale. « Je ne savais pas » ou « J’avais reçu l’ordre et je l’ai exécuté » sont les expressions employées par les criminels nazis lors de leurs procès… Loin des « Dix trucs pour devenir un parfait mentaliste », Cerebro nous emmène sur les chemins d’une « pleine conscience », mais débarrassée des messages voilés des gourous en tout genre.
Cerebro, de et avec Matthieu Villatelle
Durée 1h30. À partir de 12 ans
S Conception, interprétation, scénographie Matthieu Villatelle S Mise en scène et co-écriture Kurt Demey S Regard extérieur Marien Tillet S Création son Chkrrr (David Gubitsch et Jérôme Benssoussan) S Création lumière et régie Yann Struillou S Graphisme Damien Cazeils S Diffusion Label Saison - Gwénaëlle Leyssieux & Lou Tiphagne S Administration Label Saison - Juliette Thibault S Production Compagnie du Faro S Coproduction La Villette, l’ECAM Kremlin-Bicêtre, Communauté Flamande. S Soutiens L’Espace Périphérique, l’Echalier et l’Hectare, Scène conventionnée de Vendôme, le Silo de Méréville, la Ferme du Buisson, Scène nationale de Noisiel, Label Saison, la ville de Boussy-Saint-Antoine. La DRAC Île-de-France soutient le projet par le biais d’une résidence territoriale en milieu scolaire. S Remerciements Delval S., Purcell A., Reynaud L., Leroy M., Marcello, Buziol B.
Du lundi 2 novembre au mardi 29 décembre 2020
Du 7 au 29 juillet 2022 à 22h10
Au 11, Avignon