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Arts-chipels.fr

Fendas. Des fentes dans l’espace-temps. Entre fissures et échappées belles.

Fendas. Des fentes dans l’espace-temps. Entre fissures et échappées belles.

Quand une chercheuse en physique quantique débusque des espaces sonores cachés dans les variations de la lumière, c’est une autre temporalité qui s’ouvre, loin de nos codes de perception.

Quand le noir cède la place à la lumière, c’est une quantité de sons indistincts qui nous parviennent. Ils accompagnent des taches lumineuses où se devinent des formes impossibles à identifier. Cet espace énigmatique où la lumière et le son entretiennent des relations inconnues constitue l’univers de Catarina. Un monde abstrait, insaisissable, où notre perception de la matière se trouve tout à coup faussée, mise en défaut. C’est dans ce monde entre les mondes que chemine Catarina, là où le haut et le bas cessent d’être ce qu’ils sont, là où s’échangent les perceptions, là où elles se mettent à communiquer dans une langue qui nous est inconnue.

© DR

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Une histoire qui croise d’autres histoires

Ces ruptures de l’espace-temps, ces déchirures qui laissent passer des fantômes sont autant de trouées où s’échangent l’intérieur et l’extérieur. L’exploration de l’invisible et de l’inaudible croise d’autres histoires qui ne se correspondent pas, d’autres parcours qui s’inscrivent en parallèle, mènent leur récit propre, se croisent parfois, se répondent d’autres fois. Il est question d’histoires de femmes et d’affirmation de soi, d’amours, en option ou absentes, de choisir de vivre au Brésil ou de faire carrière ailleurs – le film est dédié à une chercheuse brésilienne, Gabriela Barretos –, ou encore du très contesté président Vargas qui accueille Franklin Roosevelt en conquérant et permet l’installation de 40 000 soldats américains durant la Seconde Guerre mondiale dans une ville – Natal – qui n’en compte alors que 50 000. On y brocarde l’homme blanc conservateur, « pire que la bombe atomique », ce créateur de prototypes qui prolifèrent dans un monde engourdi. On y parle de rêves trop accessibles, d’enfances protégées, égoïstes, qui nous maintiennent à la surface de la vie réelle quand les remous agitent le reste du monde.

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L’immobilité comme lieu de passage entre les mondes

Intérieur et extérieur se mettent à danser dans l’immobilisme d’une image le plus souvent en plan fixe. Le texte se détache de ce qui est montré, il mène sa propre route indépendamment de l’image fixe qui suit son chemin propre. Quelques scènes reviennent, comme une répétition infinie et aléatoire. La caméra filme parfois ce qui se passe au ras du sol, comme pour nous dire que les niveaux se valent. Les personnages se parlent sans se regarder, chacun à sa fenêtre, les lumières sont allumées et éteintes sans autre raison que l’alternance de la lumière et de l’obscurité tandis que s’égrènent les questions sur la temporalité dans laquelle nous vivons ou les considérations sur la troublante analogie des causes et des effets entre matière organique et non organique, vivant, objets et phénomènes atomiques.

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Physique de la poiesis

La recherche que Catarina a entamée n’est pas un objet scientifique séparé d’elle. Dans sa traversée du réel qui fait parler la lumière et donne une couleur aux sons, elle est entrée dans une autre dimension où une autre phonétique lui parle un autre langage. À traquer ainsi ces voix qui ne sont pas de l’au-delà mais à l’intérieur même des choses, elle porte un autre regard sur le monde. Et d’une certaine manière elle le réenchante, dans le plan vertigineux tout en volutes de la spirale rouge et blanche de l’escalier d’un phare ou du haut de la forteresse des Rois mages dont le nom fait rêver où elle demande au vent qui passe « Y a-t-il quelqu’un ? contactez-moi » en donnant son adresse e-mail. Le film, austère, étrange, parfois hermétique, est traversé de visions esthétiques. La quête d’entre les mondes qu’entreprend Catarina passe par la poièsis, la production d’une œuvre extérieure à elle. « Mes yeux, dit-elle, sont deux fentes au travers desquelles passe l’infini. » Passé, présent et futur se rejoignent dans ces fissures crées à l’intérieur du réel où elle se sent « dans la pliure », dedans-dehors, présence-absence, onde et particule, en fuite face à elle-même pour s’approcher du monde, rencontrer l’autre, trouver son complément caché dans la lumière. Et si, justement, de l’autre côté de l’océan, quelqu’un l’entend, c’est peut-être qu’ailleurs, quelqu’un d’autre a su, dans les interstices du réel, en percevoir toutes les dimensions.

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Fendas Un film de Carlos Segundo - 80 min | 2019 | France – Brésil

S Réalisation : Carlos Segundo S Scénario : Carlos Segundo, Michelle Ferret
S Directeur de la photographie : Clovis Cunha S Montage : Jérôme Bréau, Carlos Segundo S Son : Gustavo Guedes, Leo Bortolin, Pedro Lima S Production : Aun Filmes, O Sopro do Tempo, Les Valseurs, Casa da Praia S Producteurs : Daniela Aun, Carlos Segundo, Damien Megherbi, Justin Pechberty, Pedro Fiuza
Sortie en salle : 4 août 2021

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