Un poyo rojo. Un duo de gallinacées argentines à se tordre…

Le Teatro físico porte bien son nom. Les deux danseurs de ce « coq rouge » nous entraînent avec une énergie sans faille dans un duo-duel où danse, mimiques, déstructuration du mouvement et grimaces passent en revue avec un humour ravageur nos postures quotidiennes et nos rituels de séduction.

Dans une salle de gym, une armoire métallique à casiers et un banc occupent le centre de la scène. De chaque côté, deux jeunes gens s’échauffent. Pompes, torsions du cou, élongations, exercices d’assouplissement, abdos. Arrêt, serviette, boire, reprendre, souffler, marcher un peu, se placer, sur le dos, sur le ventre, travailler les fessiers… Chacun est dans sa bulle, avec son propre programme. Bientôt il se mettront côte à côte pour un hallucinant exercice respiratoire. Avec un ensemble parfait ils vont accélérer puis ralentir le mouvement qui soulève leurs poumons. Avant de se retrouver, une cigarette invisible à la main, à tirer des bouffées. Bientôt les voilà face à face, montés sur leur ergots, coudes soulevés et battants comme des embryons d’ailes, prêts à l’intimidation mutuelle. Et que je te donne des coups de croupion pour que tu dégages de mon herbe, et que je déploie toute la gamme possible des contorsions pour t’impressionner, et que je fasse du bruit pour te prouver que je suis le plus fort…

Décadrages, décalages, déstructurations

Tout au long du spectacle, ils exploreront la distance entre le choc et l’arrêt brusque, et la manière dont chaque partie du corps peut bouger en autonomie par rapport aux autres. La tête bouge, tourne, se décroche du cou, les épaules restent bloquées tandis que les bras esquissent des mouvements contraints, buste bloqué. Les mains sont comme animées d’une vie propre, elles se déplient et se mettent à parler, volubiles et mobiles. Le visage n’est qu’une surface en perpétuel changement, où passent des expressions qui vont de l’ahurissement à la fureur, du contentement sans tache au plaisir farceur. On passe par toutes les formes de danse, dans le silence le plus total. Pas de musique, sauf très exceptionnellement, dans cette joute rythmée par la seule force de la chorégraphie et de la relation des deux danseurs. Et lorsque le son fait son apparition, c’est surgi d’un poste de radio, en direct, dont nos deux compères manipulent les boutons pour en tirer un matériau. Un son renouvelé chaque soir, que l’actualité alimente.

Corps sexués

Le ballet détourne avec un humour ravageur les poncifs phallocrates et les codes sado-maso. Le combat de chiens du Teatro del Perro ne cesse de tourner court. Le deuxième degré est de mise. Dans ce spectacle qui sent la sueur et la chaussette sale et dans la concurrence effrénée que se livrent nos deux cocottes masculines, passent d’autres images que celles de la virilité triomphante version macho. On se régale lorsque nos deux compères se livrent à un concours de ballerines classiques rivalisant de grâce, qui dérape, évidemment. On s’amuse de leur manière de faire un concours à celui qui a la plus grosse, slip démesurément large pour l’un, façon string et fesses à nu pour l’autre. On rit à les voir jouer à se séduire – donne-moi un bisou, je-veux-je-ne-veux-pas, je me précipite sur toi, je te saute dessus, oh non, oh si ! et que je te caresse le téton, et que je joue avec le bouton… Ambiguïté rime avec liberté et rivalité avec égalité dans ce monde où la bestialité n’est que de façade. Le public, lui, entre avec un bonheur manifeste dans le jeu frénétique proposé par ces deux coqs pas décatis du tout.

Un poyo rojo – Teatro físico

S Mise en scène Hermes Gaido S Avec Alfonso Barón et Luciano Rosso S Chorégraphie Luciano Rosso et Nicolás Poggi S Lumière Hermes Gaido S Management T4 Producciones / Maxime Seugé & Jonathan Zak S Production Quartier Libre, coréalisation Théâtre du Rond-Point

Du 18 au 26 juin à 18h30, du 30 juin au 3 juillet à 21h

Théâtre du Rond-Point – 2bis, av. Franklin-Roosevelt – 75008 Paris

Réservations : contact.billetterie@theatredurondpoint.fr ou www.theatredurondpoint.fr