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Arts-chipels.fr

Tiens ta garde. Combattre, pour ne pas se laisser surprendre et changer l’ordre des choses…

© Jean-Louis Fernandez

© Jean-Louis Fernandez

Quatre jeunes femmes sont lâchées dans une aventure délirante sur le thème de l’autodéfense nécessaire des femmes, où passé et présent, Histoire et personnages de théâtre mènent une ronde échevelée et burlesque où il est question de droit des femmes et d’atteinte à leur liberté et à leur intégrité.

Dans le noir, deux femmes apparaissent à la lueur de lampes torches. Elles parcourent le théâtre à la recherche d’un lieu caché, secret : la scène. Celle-ci s’éclaire sur ce qui pourrait être une salle d’armes. Des épées, des sabres et des fleurets sont accrochés à un râtelier, des masques d’escrime pendus au mur. Des gravures anciennes complètent le décor. On pourrait se croire dans une salle d’escrime surgie du passé, n’étaient les gants de boxe très contemporains pendus au mur, dont l’éclatante couleur rouge fait tache. Ils disent le lieu désaffecté, consacré à un autre usage. Quatre femmes vont venir l’occuper. La première, en short long de combattante de ring, c’est la « coach ». Elle a squatté le lieu pour en faire un espace de résistance où elle va former d’autres femmes à l’autodéfense. Les trois autres sont arrivées là avec des attentes diverses. L’une d’entre elles se cache derrière un masque de catcheuse pour rester masquée et se vivre autrement qu'elle est. La deuxième, que son patron poursuit par téléphone en dehors de ses heures de travail, dissimule derrière sa faconde méridionale une répugnance au contact physique – on comprendra plus tard d’où elle lui vient. La dernière, munie de soin carnet de notes, est venue là pour compléter son étude doctorale sur les mouvements féministes. Pétrie de glose universitaire, elle est Madame citations, rappels historiques, sources documentaires et compagnie.

© Jean-Louis Fernandez

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Références, références…

Cette création collective naît d’abord de la lecture d’un livre, Se défendre, une philosophie de la violence, d’Elsa Dorin. Dans cet ouvrage, l’auteur, partant du Code noir de 1685 qui interdit aux noirs de porter « aucune arme offensive ni gros bâton », puis plus tard de l’interdiction faite aux indigènes en Algérie de porter des armes tout en autorisant les colons à le faire, met à nu une politique de partage qui oppose les corps « dignes d’être défendus » aux indéfendables. Des résistances d’esclaves au ju-jitsu des suffragettes et de l’insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers et aux patrouilles queer, elle dresse une généalogie de l’autodéfense politique et des « éthiques martiales de soi ». Nos quatre souris feront leur miel – ou leur fromage – de ce texte en se focalisant sur le combat des femmes et en lui adjoignant d’autres références. On se baladera, entre autres, entre la Liberté guidant le peuple (Delacroix célébrant les Trois Glorieuses) où la femme porte-drapeau, devenue symbole, bien que les armes à la main, est dépouillée de toute participation réelle aux combats et un cours de peinture pour demoiselles de bonne famille sur le drapé, où le Verrou de Fragonard, l’Enlèvement des Sabines de Poussin, Suzanne et les vieillards d’Ingres ou le Déjeuner sur l’herbe de Manet dessinent une certaine vision des femmes et forment un désopilant cortège où les jeux de mots se télescopent. On se transporte à la Révolution avec Théroigne de Méricourt, on se livre, sur un air de Ô Marie, si tu savais, mâtiné de Barbe bleue (« Anne, ma sœur Anne ») à l’invention loufoque de notre Marianne nationale. Les gags s’enchaînent en même temps que se révèle, sur le mode burlesque – mais non moins documenté – une image de la femme, forgée par des siècles de pouvoir masculin.

© Jean-Louis Fernandez

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Tempêtes sous un crâne

Ce que montre le spectacle, au-delà de l’image de la femme forgée par des siècles d’asservissement et d’infériorisation, c’est ce qui en résulte aujourd’hui. C’est un patron un peu trop caressant qui, sur le mode paternaliste et au prétexte de de faire des femmes une vitrine de l’entreprise, masque son machisme et le harcèlement qu’il exerce. C’est aussi l’empreinte que ces présupposés laissent dans notre cerveau. Les femmes d’aujourd’hui ne se battent pas seulement sur le terrain de la vie sociale. Elles ont à se battre contre elles-mêmes et contre l’affection encombrante et réductrice de leurs proches. Ça se bouscule dans les têtes, ça crée un désordre qu’on n’arrive pas à gérer, un chaos de tendances contraires qui s’entrechoquent. Se reconquérir, c’est aussi combattre ses démons intérieurs, inculqués par la famille, par les devoirs filiaux. Rejoignant les autres combats de l’autodéfense, le spectacle convoque Davy Crockett, le Ku Klux Klan et Captain America pour évoquer les atteintes au « minorités », indienne et noire, de l’Amérique blanche. Le combat des femmes s’inscrit dans une perspective plus large où se côtoient Locke et Franz Fanon, Angela Davis et Malcolm X, Michel Foucault et Rosa Parks, ou encore les juifs du ghetto de Varsovie.

© Jean-Louis Fernandez

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Résiste ! Prouve que tu existes !...

De fil en aiguille, ou plutôt de révoltes en combats menés sans trêve, on marche dans les pas d’Emmeline Pankhurst, la fondatrice du Women’s Social and Political Union. Juchée sur les tapis d’entraînement qui forment une tribune insécurisante, elle harangue les femmes. Du combat à coup d’ombrelle et d’épingles à chignon aux côtés des suffragettes anglaises jusqu’au ju-jitsu dont elle s’emparent, on apprend à vaincre ses démons personnels et à les détruire. Le décor bien ordonné de la salle d’escrime vole en éclats à mesure que l’entreprise de démolition mentale s’élabore. C’est dans le chaos que naîtra la résistance, dans la destruction systématique qu’émergera la nouvelle définition des genres ou la manière de repenser le politique, dans la table rase que naîtra notre manière d’en découdre avec des générations entières de lutte à armes inégales. Désapprendre à ne pas se battre, c’est peut-être, comme dans la démarche des femmes réunies sur scène, affaire d’arts martiaux – ici le Wing Chun, un art martial ancien auquel elles auraient été initiées par Élodie Asorin. On le devrait, selon la légende, à une femme. Celle-ci aurait refusé la proposition de mariage d’un seigneur local et, pour faire accepter sa décision, aurait dû affronter son potentiel mari. Une nonne bouddhiste, légendaire survivante Shaolin, lui aurait enseigné l’art du combat. Mais, au-delà de ce combat matérialisé qui unit concept et physicalité, cette fable très drôle menée tambour battant nous insuffle que c’est dans nos têtes que doit naître et se développer la désobéissance. En réinventant peut-être aussi, de nouveaux mythes où Ouranos et Gaïa n’enfanteraient pas seulement des garçons…

Tiens ta garde, du Collectif Marthe, avec Prémisses

S Mise en scène Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher, Itto Mehdaoui et Maybie Vareilles S Écriture le Collectif Marthe et Guillaume Cayet S Dramaturgie Guillaume Cayet S Collaboration artistique Maurin Ollès S Scénographie et costumes Emma Depoid assistée de Eléonore Pease S Création lumière Juliette Romens S Création silhouettes Cécile Kretschmar S Régie générale Clémentine Gaud & Clémentine Pradier S Auto-défense Élodie Asorin – Octogone autodéfense S Avec Clara Bonnet, Marie-Ange Gagnaux, Aurélia Lüscher en alternance avec Manon Raffaeli, Maybie Vareilles. S Le spectacle Tiens ta garde a été créé le 10 mars 2020, à la Comédie de Saint-Étienne

Du 17 au 26 juin, lun., mar., mer. ven. à 20h, jeu. et sam. à 19h

Théâtre de la Cité internationale - 17, bd Jourdan - 75014 Paris

Réservations : par téléphone au 01 43 13 50 50 ou sur www.theatredelacite.com

TOURNÉE

Du29 juin au 2 juillet 2021 – Théâtre Dijon Bourgogne

20 octobre – Festival Voix de femmes, Liège

23 octobre – Festival des Libertés, Théâtre National, Bruxelles

Du 1er au 5 février – Théâtre du Point du jour, Lyon

8 & 9 février – Théâtre de l’Union, CDN de Limoges

15 & 16 février – Théâtre Domaine d’O, Montpellier

24 & 25 février – Théâtre La Joliette, scène conventionnée art et création, Marseille

1er mars – Théâtre, scène nationale de Mâcon

8 mars – Théâtre 61, scène nationale d’Alençon

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