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Arts-chipels.fr

Solaris. Quand la science-fiction nous projette en nous-mêmes dans l’univers de nos fantasmes et de nos peurs.

© Géraldine Aresteanu

© Géraldine Aresteanu

Le roman de Stanislaw Lem a fasciné Andreï Tarkovski et Steven Soderbergh qui en ont proposé, à trente ans d’écart, une version filmique. Pascal Kirsch s’empare à son tour de ce cheminement à travers les labyrinthes obscurs de la personnalité humaine et les errances de l’humanité pour en faire un spectacle de théâtre qui conserve sa part énigmatique.

Depuis une station orbitale qui gravite autour d’elle, la planète Solaris est veillée, scrutée par une équipe de scientifiques. La planète est intrigante. Elle n’est pas habitée, mais on la pense dotée d’une intelligence supérieure, avec laquelle les hommes n’ont pas trouvé de langage de communication. De guerre lasse, l’observation de la planète est en phase d’être abandonnée. Mais un message alarmant, envoyé par l’un des scientifiques, Gabarian, parvient à son ami, le psychologue Kris Kelvin. Celui-ci se rend sur la planète pour découvrir que Gabarian s’est suicidé et que des phénomènes étranges semblent avoir été déclenchés par un bombardement massif de rayons X sur Solaris, perpétré par les scientifiques dans l’espoir d’obtenir une réaction analysable de la part de la planète…

© Géraldine Aresteanu

© Géraldine Aresteanu

Je vous parle d’un temps…

Solaris est écrit en 1961, une année emblématique. Le 12 avril, l’URSS envoie dans l’espace le premier homme, Youri Gagarine. Le même mois, soutenus par les États-Unis, des opposants cubains au régime de Fidel Castro tentent, pour reprendre le pouvoir, un débarquement, orchestré par la CIA, à Cuba, dans la baie des Cochons – l’échec est retentissant. Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, l’opération « Muraille de Chine » se déroule à Berlin. Des grillages et des barbelés sont mis en place pour isoler Berlin-Ouest de la RDA – ils deviendront mur infranchissable au dernier trimestre de l’année… La tension entre les deux Grands, qui avait connu des accalmies, s’exacerbe à nouveau. Les deux grandes puissances disposent de l’arme nucléaire et font peser au-dessus de l’humanité une épée de Damoclès. Dans Solaris, la planète gravite autour de deux soleils – un bleu et un rouge – métaphore éclairante qui renvoie dos à dos les puissances de l’Ouest et de l’Est dans une évocation d’une menace nucléaire permanente, brandie en ces temps de Guerre froide.

Après la catastrophe

Lorsque commence l’histoire, les scientifiques qui observent Solaris ont déjà – au nom de la science – commis l’irréparable. En bombardant Solaris, ils ont réveillé des démons dont ils ne connaissent pas la nature. Si Solaris semble agitée de courants, de remous, de grondements qui perturbent son apparente immobilité, pas de monstres verts terrifiants aux capacités quelque peu exotiques ou de créatures indescriptibles dotées de super pouvoirs. Solaris ne s’engage pas – si elle existe car rien ne l’atteste en réalité – dans une guerre des mondes. C’est dans le psychisme de ses agresseurs qu’elle déplace le combat. Bientôt chacun se verra hanté par les fantômes qui peuplent son inconscient. Les images remontent, prennent corps et réalité. Les affronter devient source de douleur, impossible à supporter…

© Géraldine Aresteanu

© Géraldine Aresteanu

Pour moi qui ai nom le monde…

Œuvre mystérieuse, Solaris plonge en chacun de nous. Elle mêle nos drames individuels – dans le spectacle le suicide de la femme du psychologue, par exemple, dont les raisons le tourmentent – avec le drame collectif d’une humanité capable d’anéantir son propre environnement et de se lancer dans une opération de destruction sans en mesurer les conséquences. Mais cette tragédie a la dimension d’un combat philosophique, presque métaphysique, où l’homme, par peur d’affronter les conséquences de ses actes, s’enfonce toujours plus loin dans le désir d’échapper à ce qui le taraude, quitte à aller jusqu’à l’anéantissement. La pièce laisse cependant luire une faible lueur au fond du corridor: l'espoir, contre vents et marées, reste possible. Le décor et la lumière nous transportent aux frontières de ce monde liquide qu’est l’océan de la mémoire et les portions de sphère souples qui enserrent les comédiens les enferment dans ce processus qu’ils ne maîtrisent pas. À l’intérieur, l’homme navigue en équilibre instable sur des parpaings qui se dérobent et forment autant de chausse-trappes que les souvenirs que nous convoquons, parfois à notre insu. Les personnages s’y révèlent et s’y déchirent, incarnés par des acteurs mis en danger par le déséquilibre. Le spectacle dévoile l’espace intérieur, fascinant de la pensée. Hypothétique et polymorphe comme la nature pensante de l’océan Solaris.

Solaris, traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko (éd. Gallimard Coll. Folio SF)
S adaptation, conception et mise en scène Pascal Kirsch S avec Yann Boudaud, Marina Keltchewsky, Vincent Guédon, Elios Noël en alternance avec Eric Caruso, François Tizon et Charles-Henri Wolff S collaboration artistique Charles-Henri Wolff S musique Richard Comte S scénographie Sallahdyn Khatir S costumes Virginie Gervaise S création lumières Nicolas Ameil S son Lucie Laricq S conseils chorégraphique Cécile Laloy S Production Compagnie Rosebud. Coproductions Théâtre des Quartiers d'Ivry - CDN du Val-de-Marne, MC2: Grenoble. Avec le soutien de la SPEDIDAM, de la Région Ile-de-France. Avec l’aide du Studio-Théâtre de Vitry, du Théâtre de la Commune CDN d’Aubervilliers

Théâtre des Quartiers d'Ivry - Centre Dramatique National du Val-de-Marne
Manufacture des Œillets
- 1 place Pierre Gosnat - 94200 Ivry-sur-Seine

Ven. 4, sam. 5, dim. 6, jeu. 10, ven. 11, sam. 12 juin à 18h

Réservation : 01 43 90 11 11 | reservations@theatre-quartiers-ivry.com

TOURNÉE
1er > 3 juillet  2021 : MC2: Grenoble

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