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Arts-chipels.fr

No Way, Veronica. Super-sonique et iconoclaste…

No Way, Veronica. Super-sonique et iconoclaste…

La pièce d’Armando Llamas, avec ses non-personnages de théâtre avant tout pleins de sons, de vacarmes, de musique et d’excès, a conservé, depuis les années 1980, son caractère insolent, corrosif et politiquement incorrect, tellement réjouissant…

Sur un fond blanc-bleu, ils apparaissent l’un après l’autre, engoncés dans des anoraks couleur de neige fraîche, chapeaux et bottes à l’avenant. Frout frout ! Fri fra ! Fri fri ! Chacun a le frottement sur la neige qui lui est propre, sa manière de s’introduire sur la scène. Ils ne parlent pas, seuls les bruits associés à chacun les caractérisent. Bientôt ils se répartiront les rôles. À celui qui est au synthétiseur, la fonction de narrateur, d’une belle voix grave et chaude, côté Hollywood de charme. Au deuxième les bruitages, qui tiennent lieu d'action. De l’hélicoptère qui survole la base – car nos trois hommes font de l’observation météorologique, isolés dans un coin de l’Antarctique – au vent qui souffle en tempête ou à la mer démontée, des cornes de brume aux portes qui s’ouvrent ou claquent, à la cigarette ou à la pipe qu’on allume et sur laquelle on tire, le son campe le décor et illustre une fable invisible. Le troisième, guitare à la main et chant à la bouche, sera à la voix qu’on manipule et aux pédales. Ils vont, disent-ils, nous conter une histoire misogyne sur des airs rock-pop. Le quatrième est une quatrième. Elle prendra tour à tour les intonations de Stanley Baker, Peter Falk, William Holden, Bob Hoskins, James Mason et bien d’autres. Ces acteurs de légende des grands et des petits écrans qui ont fait rêver Lisette et ses homologues masculins ont peuplé nos soirées et nos rêves, engendré nos fantasmes. Elle incarne notre mythologie du cinéma et, en tant que femme, ne peut être qu’une icône : Gina Lollobrigida. Non-êtres humains réduits à des personnages de cinéma, ils vont nous jouer un drôle de spectacle où tous les médias, théâtre compris, se mélangent.

© La Spirale

© La Spirale

Un théâtre sonique qui s’enrichit sans cesse

Cette pièce de la fin des années 1980, Jean Boillot l’avait déjà mise en scène à deux reprises : en 2003 et en 2006. La première version ne comportait pas de musique. À la deuxième, David Jisse avait ajouté claviers, pédales à effets et autres machines sonores des eighties. La mise en scène, qui s’apparente davantage à une « mise en sons », y prend la forme d’un « concert amplifié, fabriquant en direct des images sonores qui renvoient à des images absentes. ». Car sur scène point d’action au sens traditionnel du terme ; seulement ce récit décadré, déstructuré, où chacun joue sa partition dans sa bulle. Le remix de 2021 s’enrichit de la guitare électrique et des chansons du compositeur et interprète pop-rock Hervé Rigaudon. Ses rythmes courront tout au long de la pièce qui offre un éventail de propositions sonores où alternent à train d’enfer les imitations de timbres d’acteurs célèbres réalisées impeccablement par Isabelle Ronayette dans un univers sonore et musical à la « pêche » communicative. 

© La Spirale

© La Spirale

Femme, casse-toi de ma banquise !

L’histoire, foutraque, est un hommage au cinéma en même temps qu’un collage improbable d’images puisées dans les blockbusters, publicités, films pronos, documentaires animaliers et BD. Les manchots y discutent la couleur des bagues qu'on leur met à la patte.  Le spectacle est un détournement du film d’horreur de John Carpenter, The Thing, qui met en scène un monstre capable de se glisser dans la peau de ses victimes au point qu’il n’est plus possible de distinguer l’humain du monstre. No Way Veronica substitue à la créature une figure de femme qui fait irruption dans un monde d’hommes. Mais pas n’importe laquelle. Veronica est une caricature de femme. Enjôleuse, nympho, menteuse, coquette, envahissante, elle se glisse par la fenêtre dès lors qu’on la met dehors par la porte. Rejetée à la mer, déguisée en toutou cajoleur avide de caresses, ou larguée par un hélicoptère, elle essaie tous les stratagèmes pour s’introduire dans le monde bien tranquille des hommes – c’est bien connu, partout où une femme passe, elle fout la merde ! –  avant d’être rejetée chaque fois plus violemment du territoire masculin.

© La Spirale

© La Spirale

Une « comédie misogyne » à double détente

On retrouve l’atmosphère de menace que fait peser le sida qui décime la population homosexuelle dans les années 1980, et la rage toute en excès d’une génération perdue, avide de vivre fort et vite ce qui lui reste de temps. Réflexion ironique sur le genre et la sexualité portés par les images de films, No Way Veronica s’attaque aux poncifs que le cinéma, la télévision et les médias véhiculent. Les hommes arborent une camaraderie masculine, faite de franchise et de relations viriles ouvertes – John Wayne aurait pu sans peine y trouver sa place. À l’inverse, la femme est sulfureuse et tentatrice. Elle détourne les hommes du « droit » chemin – la pièce est écrite en pleine lutte des homosexuels contre une hétérosexualité normée et triomphante. En même temps y est brocardée une certaine image de la femme, entre maman et putain, bonne ménagère sans accroc dans un foyer forcément sans histoire ou créature vendue au plus offrant qui fait de son corps son arme de prédilection. Ce portrait-là fait écho aux dénonciations des féministes, à la même époque, et aux luttes contre le patriarcat. Mais aux rives de cette misogynie décapante, sont-ce vraiment les femmes qui sont en cause, ou ce dont on les charge ? La férocité avec laquelle cet objet hybride, entre théâtre et bruit, comédie et satire, musiques désuètes ou rock et prouesses vocales, marche sur les traces d’un politiquement incorrect s’avère jubilatoire et nécessaire par les temps qui sont les nôtres, où fleurissent les censeurs en tout genre et où s’épanouit la coercition, masquée sous l’obligation de penser droit…

No Way, Veronica, ou Nos gars ont la pêche

S Armando Llamas – texte S Jean Boillot – mise en scène S David Jisse – création musicale, avec la complicité d’Hervé Rigaud et de Jean Christophe Quenon S Ivan Mathis – lumière S Christophe Hauser – sonographie S Pauline Pô – costumes S Perceval Sanchez – régie générale S Avec :Isabelle Ronayette (Gina Lollobrigida, Stanley Baker, Richard Crenna, Peter Falk, William Holden, Bob Hoskins, Jock Mahoney, James Mason, Craig T.Nelson, Daniel J. Travanti), Jean-Christophe Quenon (la voix off hollywoodienne grave, synthétiseurs), Philippe Lardaud (effets spéciaux, bruitages), Hervé Rigaud (guitares, voix et pédales). Ce spectacle est dédié à la mémoire de David Jisse.

S Production : La Spirale, compagnie conventionnée par le Ministère de la Culture. Coproduction : La Muse en Circuit - Centre National de Création Musicale & le NEST – Centre Dramatique National transfrontalier de Thionville. Soutien : Région Grand Est - UE Feder, Ville de Metz, Points Communs -Scène nationale de Cergy-Pontoise, Espace Marcel Carné – Saint Michel sur Orge, Bords 2 Scènes – Vitry le François S Premières représentations de la version Remix au 11 (Avignon) en juillet 2021

Du 7 au 29 juillet 2021 - à 15h15, relâche les 12, 19 et 26 juillet

Le 11 • Avignon11, bd Raspail – 84000 Avignon Salle 2

Réservations : 04 84 51 20 10 / www.11avignon.com

 

 

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