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Arts-chipels.fr

Napoléon. Entre légende et réalité, une révision nécessaire sur l’un des personnages majeurs de l’histoire de France.

Affiche de l’exposition Napoléon ; Jacques-Louis David Bonaparte, Premier consul, franchissant le Grand-Saint-Bernard, le 20 mai 1800 (détail), 1802 ; Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © Rmn - Grand Palais / Franck Raux

Affiche de l’exposition Napoléon ; Jacques-Louis David Bonaparte, Premier consul, franchissant le Grand-Saint-Bernard, le 20 mai 1800 (détail), 1802 ; Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © Rmn - Grand Palais / Franck Raux

Napoléon, c’est un peu de notre passé, de nos souvenirs d’enfance acquis à force de leçons ânonnées année après année, de trucs mnémotechniques pour nous aider à retenir les nombreux traités qui ont émaillé sa carrière, d’images qui sont devenues culte : le Pont d’Arcole, le Sacre, la Bataille des Pyramides… L’exposition de la Grande Halle de La Villette les fait revenir en rafales, en y apportant des touches moins connues, parfois surprenantes.

Aucun homme dans l’histoire de France n’a eu un destin aussi exceptionnel que ce petit garçon né dans une famille corse, envoyé dès son plus jeune âge dans une des écoles militaires d’exception du Royaume. Personne n’aurait pensé que l’obscur petit caporal devenu général de brigade à seulement vingt-quatre ans deviendrait à trente-cinq ans l’empereur d’une considérable partie de l’Europe avant d’entamer une chute tout aussi spectaculaire dix années après. C’est dire que l’évocation de son parcours a tout d’une épopée en plein cœur de ce qui est déjà une épopée : la Révolution française et la fondation de la République. Réalisée grâce aux apports des grands musées – le Louvre, les musées de Versailles et Trianon et le musée de l’Armée en particulier – l’exposition retrace le parcours qui mène l’enfant Buonaparte au Premier Consul puis à l’Empereur, avant de connaître par deux fois l’exil et de mourir loin de la terre de France qu’il avait contribué à façonner.

Poupard, Paris. Chapeau de l’empereur Napoléon 1er, dit de la campagne de Russie 1804-1811 ; musée de l’Armée, Paris © Paris - Musée de l’Armée, Dist. Rmn - Grand Palais / Christophe Chavan

Poupard, Paris. Chapeau de l’empereur Napoléon 1er, dit de la campagne de Russie 1804-1811 ; musée de l’Armée, Paris © Paris - Musée de l’Armée, Dist. Rmn - Grand Palais / Christophe Chavan

Des années d’apprentissage difficiles

Charles Bonaparte, le père de Napoléon avait déployé beaucoup d’énergie pour offrir à ses huit enfants le meilleur avenir possible. Il parvient à prouver une appartenance – quoique lointaine – de sa famille à la noblesse toscane, ce qui lui permet de faire admettre Napoléon dans l’une des douze écoles destinées à préparer les fils de gentilhommes au métier des armes, le collège de Brienne. Il faut croire que les fées s’étaient penchées sur le berceau de cet enfant solitaire, orgueilleux et au caractère ombrageux qui parlait le français avec un terrible accent corse. Objet de la risée et du mépris de ses camarades, il encaisse et le leur fait payer quand il le peut. Travailleur opiniâtre, il montre dès l’enfance – il a neuf ans lorsqu’il rejoint le collège de Brienne – beaucoup d’énergie, de détermination et une assurance déconcertante. Il conservera de son séjour à Brienne une dureté et une capacité à résister aux chocs pour continuer d’avancer et suivre son cap. Des objets lui ayant appartenu à cette époque – épée, livre de prières, mobilier – figurent dans l’exposition.

Antoine-Jean Gros, Bonaparte au pont d’Arcole, 1796, huile sur toile ; Paris, musée du Louvre, département des Peintures, en dépôt au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux

Antoine-Jean Gros, Bonaparte au pont d’Arcole, 1796, huile sur toile ; Paris, musée du Louvre, département des Peintures, en dépôt au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Franck Raux

Une carrière sous la Révolution

La conjonction des astres l’avait vu grandir dans une période où les cartes avaient été rebattues. Sous la Révolution, l’origine sociale n’est plus la valeur-étalon et la situation permet des évolutions de carrière spectaculaires. Les démissions ou les renvois des aristocrates de l’armée ont laissé le champ libre à la promotion de jeunes généraux. Le jeune Napoléon s’illustre lors du siège de Toulon par les Anglais. Le voilà général de brigade à vingt-quatre ans. Et il est encore là pour disperser les émeutiers royalistes qui s’attaquent au Directoire en octobre 1795 et sauver la République. Le voilà promu à la tête de l’armée d’Italie. Nouveau succès et nouveau commandement pour mener la campagne d’Égypte qui, si elle n’est pas couronnée de succès, lui apporte cependant une grande notoriété. L’exposition présente le portrait de Gros, Bonaparte au pont d’Arcole (1796, musée du Louvre) et Bonaparte au pont de Lodi (Louis-François Lejeune 1796, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon).

Louis-François Lejeune Bataille des Pyramides, 21 juillet 1798 1806 ; Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © château de Versailles, Dist. Rmn - Grand Palais / Jean-Marc Manaï

Louis-François Lejeune Bataille des Pyramides, 21 juillet 1798 1806 ; Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © château de Versailles, Dist. Rmn - Grand Palais / Jean-Marc Manaï

L’égyptomanie et le néoclassicisme

L’engouement pour l’antiquité égyptienne est antérieur à la campagne d’Égypte. Mais Napoléon donne un éclat tout particulier à son séjour en Égypte en emmenant avec lui une équipe de cent soixante-dix scientifiques, des artistes, etc. Ils reviennent en France avec des objets mais surtout quantité de dessins et de relevés qui forment la base d’un ouvrage fondamental : Description de l’Égypte. Vivant Denon, qui s’est rapproché opportunément de Joséphine de Beauharnais, fait partie du voyage et dessine les monuments qu’il découvre. Son Voyage en Haute et Basse Égypte sera réédité quarante fois. Nommé directeur du musée central des arts, futur musée du Louvre, par Bonaparte Premier Consul en 1802, il deviendra Directeur général des musées. Suivant Napoléon dans ses campagnes, il enrichit le Louvre des dépouilles des pays conquis. C’est au cours de l’expédition d’Égypte qu’est trouvée la pierre de Rosette qui permettra à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes. L’exposition en présente un moulage ancien en plâtre (musée du Louvre), tout comme un Scribe accroupi en grès (1901-1843 av. J.-C., Louvre), une grande toile de Louis-François Lejeune sur les Batailles des Pyramides (1806, Versailles), un harnachement et un sabre de mamelouk ou les portraits des cheikhs Abd Allah al-Sharqâwi et Sulayman al-Fayyûmi (Versailles). On y trouvera également certains outils utilisés à l’époque tels un graphomètre ou une boîte de mathématiques, et même un chameau naturalisé ! Au-delà des objets relatifs à la campagne d’Égypte, on trouvera les objets d’inspiration égyptienne – fauteuils, pendule, porcelaine…  – qui témoignent de l’égyptomanie de l’époque.

Harnachement de Mamelouk, Empire ottoman, Égypte, vers 1750-1800 ; Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, en dépôt au musée de l’Armée © Paris - Musée de l’Armée, Dist. Rmn - Grand Palais / Pascal Segrette

Harnachement de Mamelouk, Empire ottoman, Égypte, vers 1750-1800 ; Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, en dépôt au musée de l’Armée © Paris - Musée de l’Armée, Dist. Rmn - Grand Palais / Pascal Segrette

L’accession au pouvoir

Bonaparte rentre en catastrophe à Paris car la République vacille à nouveau. Il prend le pouvoir lors du coup d’État des 18 et 19 brumaire de l’an VIII (9-10 novembre 1799). Il devient Premier Consul pour dix ans – il deviendra Consul à vie en 1802. Il mène de front des campagnes victorieuses et une refonte en profondeur des institutions. Il a besoin d’une forme de réconciliation nationale pour asseoir l’état et garantir la paix intérieure. Il gracie les prisonniers politiques, autorise des émigrés à revenir en France, va dans le sens de l’égalitarisme républicain en créant la Légion d’honneur, signe un concordat avec le pape. Une Allégorie de Bonaparte rendant la religion à la France (v. 1802, anonyme, Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau) ainsi que le Collier de la Légion d’honneur du maréchal Louis-Alexandre Berthier (Paris, musée de la Légion d’honneur) en attestent dans l’exposition. Les lois sont proposées par le Conseil d’État, composé de techniciens nommés par le pouvoir exécutif. Napoléon crée deux Chambres, un Tribunat qui discute les lois sans les voter, et un Corps législatif qui les vote sans les discuter. Le Sénat reste garant devant l’Assemblée du respect de la Constitution. Le Premier Consul met en place des organismes qui feront naître la France moderne :la Banque de France, la Préfectorale, le Code civil, les lycées, l’unification des poids et mesures. Durant toute cette période, Napoléon doit composer avec une réalité complexe. Lui-même nourri de l’héritage des Lumières, il n’a pas perdu de vue les idéaux de la Révolution. Et les révolutionnaires sont toujours là. Il doit composer avec une Assemblée qui défend ses prérogatives. Le temps avançant et les succès militaires s’accumulant, Napoléon accentuera son emprise. Le portrait que Jacques-Louis David fait de lui au moment de la deuxième campagne d’Italie, Bonaparte franchissant le Grand Saint-Bernard (1801, Musée national du château de Malmaison, Rueil-Malmaison) expose avec une grande acuité cette image du pouvoir que Napoléon cherche à donner. Alors que le passage du col s’effectua à dos de mule, le portrait nous dépeint un Bonaparte empreint de sérénité, chevauchant un coursier emporté sous un ciel mouvementé. Plein de noblesse, il est calme dans la tempête et, dans un geste de commandement, présente, doigt tendu, l’objectif à atteindre. L’image est si parfaite qu’elle est copiée à plusieurs reprises à des fins de propagande…

Décret-loi autorisant la traite et l’esclavage dans les colonies restituées par le traité d’Amiens, 20 mai 1802 [30 floréal an X] ; Paris, Archives nationales © Archives nationales, France, A//1055

Décret-loi autorisant la traite et l’esclavage dans les colonies restituées par le traité d’Amiens, 20 mai 1802 [30 floréal an X] ; Paris, Archives nationales © Archives nationales, France, A//1055

Ça grippe du côté de l’esclavage…

Mais cette irrésistible ascension, pour fulgurante qu’elle soit, n’est pas sans nuage. Non seulement, Napoléon met en place une police politique, confiée au redoutable Fouché, qui fera preuve de son efficacité, mais il revient sur des acquits de la Révolution. Le premier concerne l’esclavage. L’aspiration à l’égalité des droits et les insurrections d’esclaves avaient abouti, dans le grand élan de la Révolution, à l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises. Un ancien esclave, Toussaint Louverture, avait pris le pouvoir à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti). Napoléon, qui a des visées américaines et rêve de faire du golfe du Mexique une « mer française », acquiert la Louisiane. Il veut faire de Saint-Domingue, une île qui assoit sa richesse sur l’esclavage, une base de son projet expansionniste et se méfie de ce général noir par trop indépendant. Il envoie en 1801 une expédition pour le renverser. Avec la paix d’Amiens en 1802, l’Angleterre rend à la France ses colonies comme la Martinique où, du fait de l’occupation anglaise, l’esclavage n’avait pas été aboli. Les colons font valoir la place de l’esclavage dans la prospérité de l’économie. En mai 1802, Napoléon le maintient par un Décret-loi autorisant la traite et l’esclavage dans les colonies restituées par le traité d’Amiens (20 mai 1802 – 30 floréal an X, Archives nationales). Il ne reste plus qu’à faire de même avec les autres colonies, comme la Guadeloupe. C’est chose faite par un arrêté de juillet 1802. Les Noirs et « gens de couleur » sont exclus de la citoyenneté et interdits d’entrer sur le territoire français, les mariages mixtes sont interdits en France. En Guyane, en Guadeloupe, à La Martinique et à La Réunion, il faudra attendre 1848 pour que l’esclavage soit aboli. Dans l'intervalle, l’échec du rêve américain de Bonaparte et la reprise de la guerre avec les Anglais provoqueront la vente de la Louisiane aux États-Unis en 1803 et l’indépendance de Haïti en 1804… Napoléon, depuis Sainte-Hélène, regrettera l’erreur commise à Saint-Domingue. Dans l’exposition, l’espace consacré au rétablissement de l’esclavage, présente, outre le décret, un court métrage d’animation réalisé par Mathieu Glissant et une vidéo confiée à l’historien Marcel Dorigny.

François Gérard, Marie Walewska (1789-1817), vers 1810 ; musée de l’Armée, Paris © Paris - musée de l’Armée, Dist. Rmn - Grand Palais / Philippe Sébert

François Gérard, Marie Walewska (1789-1817), vers 1810 ; musée de l’Armée, Paris © Paris - musée de l’Armée, Dist. Rmn - Grand Palais / Philippe Sébert

Du côté des femmes aussi…

La théorie d’une Vérité naturelle basée sur la différence physique des sexes héritée des Lumières perdure à la Révolution. Leurs forces musculaires moindres, leurs pertes sanguines, la versatilité d’humeur qu’on leur prête assoient le statut d’infériorité où on les place. Mariées et devenues mères, elles sont le creuset du citoyen. Si « les hommes font la loi, les femmes font les mœurs. » Mais le principe de l’égalité des droits et les revendications de ces femmes qui se sont battues pour la Révolution sont là. En réaction aux peines très strictes imposées sous l’Ancien Régime aux auteurs de crimes considérés comme « contre-nature », la peine de mort notamment, les révolutionnaires renoncent à pénaliser tout ce qui relevait de la sexualité. Prostitution, sodomie, inceste et bestialité ne sont plus passibles des tribunaux. Seules les atteintes aux bonnes mœurs, publiques, restent punies, mais assez légèrement. Les femmes acquièrent un droit fondamental : le divorce, consentement mutuel ou pas, accord du mari ou pas, et les divorces se multiplient. Mais le Code civil, édicté par Napoléon – pour lui la famille est la pierre angulaire du projet de société – prend le contrepied de cette libéralisation et assujettit complètement la femme à l’homme. Le « sexe faible » ne peut plus ni décider seul de son choix de vie ni gérer ses propriétés sans l’accord de son père, puis de son mari ou sans l’autorisation de la justice. Les femmes restent mineures à vie…

Jean-François Chalgrin (dessin) / François-Honoré Jacob-Desmalter (réalisation), Trône de l’Empereur Napoléon 1er Bonaparte, 1804-1805 ; Sénat de la République française © Sénat, G. Butet

Jean-François Chalgrin (dessin) / François-Honoré Jacob-Desmalter (réalisation), Trône de l’Empereur Napoléon 1er Bonaparte, 1804-1805 ; Sénat de la République française © Sénat, G. Butet

L’Empire : un pouvoir sans partage

Napoléon se rêvait un destin exceptionnel. La dernière touche, il l’obtient en se faisant introniser empereur des Français. Non seulement avec l’aval du Sénat, mais aussi en sollicitant les suffrages populaires par un plébiscite. L’Empire est légitimé par le peuple comme la royauté l’était par Dieu. Il ne reste plus qu’à parachever le tableau par un sacre qui aura lieu à Paris, en la cathédrale Notre-Dame, et qui sera immortalisé, justement, par une immense toile (1805-1807) de Jacques-Louis David dont le traitement est emblématique. Exposée au musée du Louvre, elle n’a pu être déplacée mais l’exposition en propose une projection grandeur réelle qui a l’immense avantage de pouvoir être commentée dans tous ses détails. Car rien n'est laissé au hasard. Symboles républicains, références à Charlemagne et à saint Louis, place de la famille et des proches – Letizia, la mère de Napoléon, absente lors du sacre, y est représentée –, autorités religieuses, maréchaux d’Empire, etc. sont représentés pour souligner la majesté du sacre. Le pape ne manque pas au tableau, mais il a un rôle de figurant. Napoléon, ceint de la couronne de lauriers de l'imperator romain, sacre Joséphine. L'aval du pape ne lui est pas nécessaire. Il a déjà été investi par le peuple de l’autorité suprême…

Production de la Manufacture de porcelaine de Sèvres célébrant les campagnes militaires de Napoléon (détail) © DR

Production de la Manufacture de porcelaine de Sèvres célébrant les campagnes militaires de Napoléon (détail) © DR

Le pouvoir impérial : une image de marque

Napoléon, désormais, se doit de faire étalage de sa puissance. C’est cette salle du trône (reconstituée dans l’exposition) où, sous un dais de velours cramoisi, l’Empereur siège sur un trône doré, environné des symboles de sa puissance – les abeilles et le « N » de son monogramme – et où tout est fait pour éblouir le visiteur. La Manufacture de Sèvres produit des services de porcelaine qui content les exploits du nouveau monarque et Napoléon impose à travers toute l’Europe un type de mobilier – formes épurées, néoclassiques – et de décoration – assez sobre – qu’on nommera style Empire. Les productions de cette industrie du luxe relèvent l’économie nationale et font des palais consulaires à l’étranger une vitrine de l’excellence française tandis que les anciennes manufactures royales (Beauvais, Gobelins, Savonnerie, Sèvres) réalisent le décor somptuaire du pouvoir.

Poussin (tapissier), Bivouac de l’Empereur Napoléon Ier, modèle de 1808 première moitié du XIXe siècle. Coutil rayé bleu, indienne ; Paris, Mobilier national © Mobilier national, photo Isabelle Bideau

Poussin (tapissier), Bivouac de l’Empereur Napoléon Ier, modèle de 1808 première moitié du XIXe siècle. Coutil rayé bleu, indienne ; Paris, Mobilier national © Mobilier national, photo Isabelle Bideau

Dans le fracas des batailles

L’exposition consacre une large place à la vie militaire de Napoléon. On y trouve non seulement l’évocation des campagnes napoléoniennes, des cartes mettant en lumière les qualités de stratège du général, des tableaux rappelant les batailles, les costumes et le paquetage des soldats, les uniformes des gradés, les armes (épées mais aussi canons), des caissons à munitions, des mannequins de grenadiers ou de sapeurs mais aussi la tente et le mobilier de campagne de Napoléon, son célèbre bicorne ou sa longue vue. Si elle fait largement état des hauts faits, elle mentionne aussi les échecs qui ponctuent dès le début la carrière de Napoléon. La campagne d’Égypte que les troubles en France viennent opportunément interrompre, la guerre perdue en mer contre les Anglais, les échecs américains. Elle aborde évidemment les revers de la fin, à partir de 1808 : la guerre d’Espagne qui vise à détrôner le Bourbon Charles IV pour assoir sur le trône le frère de l’Empereur, Joseph Bonaparte, et qui provoque le soulèvement de la population et une guerre de guérilla sanglante qui marque les deux camps ; la campagne de Russie en 1812 où la Grande Armée, d’abord victorieuse, est décimée au cours de l’hiver russe. Un tableau terrible, Épisode de la campagne de Russie (1848, E. Gédé, d’après Félix-Emmanuel Philippeaux) montre deux soldats gelés tentant vainement de se réchauffer mutuellement et rappelle les vers tragiques de Victor Hugo : « Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche. / Après la plaine blanche une autre plaine blanche. / On ne connaissait plus les chefs ni le drapeau. / Hier la grande armée et maintenant troupeau. / Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le ventre des chevaux / Morts ; au seuil des bivouacs désolés / On voyait des clairons à leur poste gelés, / Restés debout, en selle et muets, blancs de givre, / Collant leur bouche en pierre aux trompettes de cuivre. » (L’Expiation)

Thomire - Duterme et Cie, Berceau du roi de Rome aux Tuileries, 1811 ; musée national du château de Fontainebleau, musée Napoléon 1er © Rmn - Grand Palais (château de Fontainebleau) / Gérard Blot

Thomire - Duterme et Cie, Berceau du roi de Rome aux Tuileries, 1811 ; musée national du château de Fontainebleau, musée Napoléon 1er © Rmn - Grand Palais (château de Fontainebleau) / Gérard Blot

Napoléon intime

Se dégage une sorte de vertige devant cette activité prodigieuse concentrée en si peu de temps – à peine vingt années. L’exposition détache cependant Napoléon de cette image de travailleur infatigable et volontaire en montrant d’autres aspects de sa personnalité. On le voit en amoureux éperdu, adressant à Joséphine des lettres passionnées, lues par Lou Doillon. Cet attachement persistera même après son remariage avec Marie-Louise d’Autriche. Joséphine, indépendante égérie de la société thermidorienne, restera pour lui « une vraie femme ». Cela n'empêche pas Napoléon d'avoir maintes aventures. Dans la rubrique « people » des maîtresses de l’Empereur, on reconnaît Marie Walewska, avec qui il eut une liaison durable. Son Portrait, peint par François Gérard vers 1810, figure dans l’exposition (musée de l’Armée, Paris). De leur liaison naîtra le fils qu’il attendait de Joséphine, ce qui donnera à Napoléon la certitude qu’il pourrait être père et le poussera au divorce pour avoir un héritier. Quant au berceau du roi de Rome, il rappelle le sort tragique de cet enfant né à grand-peine et de santé fragile…

Oscar Rex, « Adieu ma belle France », vers 1900, huile sur panneau ; Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau © RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Gérard Blot

Oscar Rex, « Adieu ma belle France », vers 1900, huile sur panneau ; Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau © RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) / Gérard Blot

Ainsi, de salle en salle, se précise le portrait d’un petit homme qui se voulut très grand, prit sur la vie une revanche éclatante et qui donna en même temps à la Révolution française un éclat exceptionnel et à la France une grande part des institutions qui perdurent encore aujourd'hui. L’exposition se clôt par son saisissant Masque mortuaire (Francesco Antommarchi, 1821, moulage en plâtre, Rueil-Malmaison). La diversité des objets exposés – peintures, sculptures, mobilier, vaisselle, documents d’époque, entretiens filmés ou extraits de films placés au fil des salles, dont le Napoléon d’Abel Gance – donne une vision globale de l’homme dans son époque. On regrettera seulement que, dans ce panorama qui fait la part entre panégyrique et critique, n’aient pas été présentés l’autre versant, celui de ses opposants et ennemis de l’extérieur. La vision reste franco-française et c’est dommage à notre époque alors qu’on revendique une manière différente de traiter l’histoire – plus internationale, plus « balancée », plus équilibrée. Reste que pour les centaines de milliers de têtes blondes qui visiteront l’exposition, il y a de quoi retrouver ce dont elles rêvent – de grandioses batailles, de l’héroïsme, de l’amour, de la réussite, bref, du rêve – mais aussi une vision plus riche, subtile et nuancée permettant de comprendre l’Histoire autrement…

Napoléon, d'Abel Gance. Restauré par la Cinémathèque française.

Napoléon, d'Abel Gance. Restauré par la Cinémathèque française.

Napoléon. 28 mai – 19 décembre 2021, tous les jours de 10h à 19h

Grande Halle de la Villette – 211, av. Jean-Jaurès – 75019 Paris

Informations et réservations : www.expo-napoleon.fr

Commissariat S Bernard Chevallier, conservateur général honoraire du Patrimoine S Arthur Chevallier, écrivain et éditeur S Frédéric Lacaille, conservateur général en charge des peintures du XIXe siècle des châteaux de Versailles et de Trianon S Grégory Spourdos, adjoint au chef du département des expositions et de la muséographie et chef du pôle muséographie du musée de l’Armée S Hélène Cavalié, conservateur en chef du Patrimoine et directrice adjointe des collections du Mobilier national S Jean-Baptiste Clais, conservateur au département des Objets d’art du musée du Louvre S Christophe Beyeler, conservateur général du Patrimoine chargé du musée Napoléon Ier et du cabinet napoléonien des arts graphiques du château de Fontainebleau.

S Scénographie : groupement concepteur Scénografia – VNT architectes – Hilighting Design – Lundi 8 – Graphica

S Exposition coproduite par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais, La Villette et Re Re / Adonis avec la participation du musée de l’Armée, du musée national du château de Fontainebleau, du musée du Louvre, du musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau, du Mobilier national, de la Fondation Napoléon et avec la contribution du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage.

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