5 Juin 2021
Ne jouons pas sur les mots, encore moins sur les paroles ! Le spectacle de Vincent Rocca qui explore les terrains – vagues et en vagues successives – de la langue française est un enchantement pour nos esgourdes ensablées par les récents mois de confinement. À l’approche des vacances, les métaphores maritimes s’imposent…
Un tabouret, une chaise, une table et un dictionnaire, voilà le décor planté. Un manteau doublé de satin, des gants blancs et un chapeau claque… notre prestidigitateur des mots est en scène. Mais pas de face. De dos car il va se taire, il a donné sa parole… Nous voilà lancés en terre langagière sur les traces d’Augias où les paroles s’envolent mais où les écuries restent. Le ton est donné, on va glisser d’un mot à l’autre avec un merveilleux non-sens, jouer à saute-mouton entre les assonances, les associations d’idées, les picorages insolites, les mots inventés, cheminer dans le dictionnaire comme dans un jeu de piste. Ça frotte, ça glotte, ça frite, ça fripe, ça frise, ça grise, ça dégrise, ça défrise, ça déglotte, ça déroute sans jamais dégoûter…
L’espace d’une vie
De la naissance à la fin de vie, notre existence entière est passée en revue. S’il est acquis que Vincent Rocca naquit d’un superspermatozoïde qui se réfugia dans le fort intérieur de la cellule insonorisée de sa maman, avec pour seule préoccupation, quand il avait faim, de tirer sur le cordon et de disposer, à sa sortie, après neuf mois d’enfermement en quartier de sécurité, de deux gros sacs de nourriture, il nous mène du début au défunt avec beaucoup d’entrain. Plus on grossit, constate-t-il, plus on s’aigrit et « né dans un chou, on finit dans les choux ». Il n’écarte aucune possibilité, pas même celle du suicide qui, faisant suite au parricide – il se demande pourquoi, d’ailleurs, marricide n’existe pas – ne tue pas un Suisse. Et, il faut le savoir, « suicidé, c’est pour la vie »…
Du dictionnaire aux champs lexicaux
Comme tous les obsédés des mots, il ne peut faire l’économie du dictionnaire et se promène de définition en définition, tirant un fil qui le ramène invariablement vers son point de départ, comme un serpent qui se mord la queue. Il cherche, sans succès, à mettre en défaut l’organisation alphabétique du dictionnaire, s’étonne que « philhellène » y figure mais pas « philécorse » – on a le droit de défendre les spécificités régionales, non ? Il déplore qu’on se cache pour vieillir, et que, s’il existe quantité de mots pour parler des années d’apprentissage, on ne parle pas de « bande de vieux » ou de « délinquance sénile ». Pour les vieux, ce qui reste, « l’impotent, c’est l’arthrose ».
Conjugaison, philosophie et littérature
Voyageur sans bagage, en train de jaspiner au fil du roulement du train, Vincent Rocca use ses verbes aromatiques, tandis que la licorne muse… Il nous entraîne sur les chemins trop souvent oubliés de l’imparfait du subjonctif – encore faudrait-il que vous le sussiez encore – et sur les terres du passé simple pas si simple que ça – « autour de Rousseau, ils virevoltèrent ». Il n’oublie pas de mentionner : « je me dispense donc je suis », ajoutant une dimension philosophique à son périple langagier. Il convoque Marguerite Duras et Proust, en dégustant une madeleine avec son jus d’orange. Ah ! Proust et sa Recherche du temps perdu. Il vagabonde autour des sept tomes de l’ouvrage – ça en fait du temps ! –, glose et virevolte autour de la phrase inaugurale qui ouvre ce long cycle : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. »
De la religion aux émotions humaines
Nous voilà passés de l’écrit à la parole. Cette parole qui est d’or, une « bonne » parole qui le mène vers Jésus de Morteau mort tôt, glissant vers la musique « pope » et les bains de « Saint-Siège » tandis que Jéhovah va au bistrot boire Allah bonne franquette en dégustant un « bouddha » antillais. Il ne reste plus qu’à errer sur les terres d’un sondage à la Nouvel Obs sur le thème : « Êtes-vous cœur ou cul ? ». On assiste à une réjouissante joute d’expressions où les deux termes se remplacent mutuellement. Vincent Rocca nous met donc, respectueusement, la « main au cœur » tout en nous présentant son « cul sur la main ». On l’aura compris, ce prix Raymond Devos de la Langue française en 2011 enfile les mots comme perles de chapelet, tresse les expressions sans nous stresser, fait de la langue feu de tout bois et de la parole jeu de roi. Pour notre plus grand bonheur et une bonne heure de rire…
Ma parole ! Texte et interprétation : Vincent Rocca
Mise en scène : Gil Galliot
Lumière et Musique additionnelle : Roland Catella
Diffusion : Jean-Pierre Créance / Créadiffusion. Production Samovar Productions, coréalisation Théâtre du Rond-Point