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Arts-chipels.fr

La Bataille d’Eskandar. Dans la jungle des villes, la jungle s'étale dans les rues.

Photo Christophe Loiseau – Institut International de la Marionnette/ESNAM

Photo Christophe Loiseau – Institut International de la Marionnette/ESNAM

Dans ce poème dramatique au lyrisme puissant se déploie une atmosphère d’apocalypse dont ceux qui réchapperont iront nus, arbres peut-être devant un fleuve où s’abreuvent des chevaux en liberté ou meurtriers des apparences…

En version chorale apparaissent les interprètes. Ils racontent, l'un après l'autre, mais ensemble. L’histoire qu’ils vont interpréter. Celle d’une femme criblée de dettes qui rêve du renversement de ce monde qui la prend à la gorge. Et voici que son rêve devient réalité. Dans un séisme, tout s’effondre et la ville est détruite. Comme une image emblématique de ce XXIe siècle débutant où l’on imagine sombrer le monde. Cette femme, le fusil à la main, guette les animaux sauvages échappés du zoo qui envahissent la ville. Quelque temps après – mais au point de départ de l’histoire – dans la cuisine en version réduite qui occupe la scène, elle bloque l’entrée de la pièce qu’elle habite avec un meuble tandis que l’huissier – c’est la fin de la trêve hivernale – se présente à la porte avant de l’enfoncer. Il emporte le peu qu’elle possède et la chasse du maigre logement qu’elle occupe avec son fils. Cette femme, elle n’intéresse pas la ville, elle n’intéresse personne… Alors elle imagine que le monde bascule, que le monde aura pété les plombs et qu’il n’y a plus d’huissier. Elle s’invente une personnalité : Madame de Fombanel, avec son fils Mickel, perdu dans les constellations. Et lorsque le rêve devient réalité et que, retranchée dans une école, elle devient cette autre, une chasseuse de fauves les armes à la main, c’est pour réintroduire en rêve l’huissier qui la poursuit.

Photo Christophe Loiseau – Institut International de la Marionnette/ESNAM

Photo Christophe Loiseau – Institut International de la Marionnette/ESNAM

D’une projection à l’autre

Dans cet univers de fiction pure, Introduire des marionnettes représentait, de fait, l’ajout d’une strate supplémentaire dans le décollement par rapport au réel que propose le texte. Quatre personnages apparaissent, animés, dans l’histoire, d’une vie et d'une personnalité propres. À la mère, à son fils et à l’huissier s’ajoute le portrait d’un étudiant en butte aux moqueries et au harcèlement de son patron. Devenu, à force de trop supporter, meurtrier, il trouve refuge dans l’école. Personnages dotés de la parole, ils sont incarnés par des marionnettes de grand format, animées par plusieurs manipulateurs. Les animaux courent dans le chaos indescriptible qui suit le séisme sous la forme de marionnettes à doigts qui grouillent dans les décombres. Dans cet environnement d’où l’homme a été éradiqué, ils vont grandir jusqu’à devenir silhouettes de manipulateurs à têtes d’animaux qui leur recouvrent le visage. Jeu et manipulation s’interpénètrent dans une narration à laquelle participent les manipulateurs devenus acteurs qui se relayent pour dire le texte dans le décor d’un champ de ruines.

© DR

© DR

Entre des mondes, entre des écritures

Avec Eskandar, Samuel Gallet explore un univers onirique, à la frontière entre des mondes. Dans le no man’s land qu’il dépeint, il n’y a plus ni droit ni morale et le naufrage de notre société ouvre sur un avenir incertain. Le retour des animaux, signe de la catastrophe, ne signifie pas non plus l’avènement d’une société « écologique » et un retour harmonieux à la Nature. Chasseurs et chassés se renvoient dos à dos dans une histoire de sang plus que de larmes. Le texte, entre poème et anathème, est comme le chant amer d’un pensionnaire de l’enfer. Il célèbre ces laissés pour compte écartés de la société. Et si l’étudiant se nomme Thomas Kantor, on ne peut s’empêcher de le rattacher à cet autre maître de la confusion (au sens de co-fusion, fusion avec) entre animé et inanimé, homme et marionnette : Tadeusz Kantor, pour qui « l’art n’est ni un reflet ni une transposition de la réalité ; c’est une réponse à la réalité. » On pense aux personnages en lambeaux de la Classe morte, avec ses petits vieillards qui portent le mannequin de leur enfance sur leur dos, à la puissance fantasmatique des images mentales que véhicule la marionnette, mais aussi aux excès assumés d’un théâtre de la cruauté sur lequel plane l’ombre d’Artaud.

Photo Christophe Loiseau – Institut International de la Marionnette/ESNAM

Photo Christophe Loiseau – Institut International de la Marionnette/ESNAM

La Bataille d’Eskandar. D’après un texte de Samuel Gallet (Éd. Espaces 34)

S Mise en scène : Émilie Flacher S Interprétation et manipulation : Anaïs Aubry, Alika Bourdon, Enzo Dorr, Manon Gautier, Raquel Mutzenberg-Andrade, Teresa Ondruskova, Améthyste Poinsot S Dramaturgie : Julie Sermon S Direction d’acteurs : Anne Rauturier S Coaching manipulation : Brice Coupey S Scénographie : Kristelle Paré S Construction : Judith Dubois, Priscille du Manoir, assistées de Rose Chaussavoine, Erwann Meneret, Raquel Mutzenberg-Andrade et Sophia Nopre-Renaud S Création Sonore : Emilie Mousset S Création lumière : Julie Lola Lanteri assistée de Laurine Chalon S Construction du décor : Manuel Dias S Régie générale : Thomas Rousseau S Costumes des marionnettes : Christiane De Meyer

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