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Arts-chipels.fr

Peintres femmes 1780-1830. Sur les chemins occultés de l’histoire de l’art.

Peintres femmes 1780-1830. Sur les chemins occultés de l’histoire de l’art.

L’exposition du musée du Luxembourg met l’accent sur une période historique riche en parcours artistiques féminins, le plus souvent laissés à l’écart des histoires de l’art. Pleine d’inattendus et de surprises, elle répare quelques « oublis » en même temps qu’elle donne à voir des œuvres intéressantes. Une profession de foi en même temps qu’une (re)découverte passionnante…

Il est commun de dire qu’il faut attendre la fin du XIXe siècle – timidement, à travers des femmes comme Berthe Morisot ou Mary Cassat – et surtout le XXe siècle pour voir l’émergence de femmes dans le champ de l’art. On considère tout aussi communément que, hormis quelques exceptions notables – comme Lavinia Fontana-Zappi qui représente des nus féminins à côté des tableaux religieux et des portraits, Artemisia Gentileschi qui développe une vision caravagesque violente et emportée peu en rapport avec ce qu’on prête à son sexe et Elisabetta Sirani qui, contrainte de prendre la tête de l’atelier de son père, ouvre au XVIIe siècle une école de peinture exclusivement réservée aux femmes –, leur travail pictural des époques précédentes ne compte guère, confinées qu’elles sont au décoratif, au familial et à l’intime. L’exposition du musée du Luxembourg s’attaque à cette opinion véhiculée par les histoires de l’art en focalisant son propos sur une période très particulière de l’histoire française, qui s’étend de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration.

Élisabeth Vigée-Lebrun, Autoportrait de l’artiste peignant le portrait de l’impératrice Maria Feodorovna (1800). Huile sur toile 75,5 x 68 cm. Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage

Élisabeth Vigée-Lebrun, Autoportrait de l’artiste peignant le portrait de l’impératrice Maria Feodorovna (1800). Huile sur toile 75,5 x 68 cm. Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage © Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage

Un contexte historique exceptionnel

Le XVIIe siècle avait eu, en réponse à la grossièreté des cours de l’époque, ses « Précieuses » et leurs salons dont l’usage s’était développé au siècle des Lumières, aussi bien dans la bourgeoisie que dans la noblesse. On y recevait le Tout-Paris des lettres et des arts, chaque fois sous l’égide d’un animateur de soirée, un philosophe, le plus souvent. Avec les Lumières, les femmes s’aventurent aussi dans le domaine des sciences – on se souvient de l’amitié de Mme du Deffant et de Melle de Lespinasse pour d’Alembert, ou de la mathématicienne, femme de lettres et physicienne Émilie du Châtelet, maîtresse de Voltaire et traductrice de Newton. Dans le domaine pictural, sous l’Ancien Régime, quelques peintres femmes sortent du rang. L’admission d’Élisabeth Vigée Le Brun, protégée de Marie-Antoinette, et d’Adélaïde Labille-Guiard à l’Académie royale de peinture en 1783 représente un véritable coup de tonnerre dans le paysage de l’art « officiel », exclusivement masculin. Leur nomination est tout aussitôt contrée par la limitation à trois femmes de la possibilité d’admission. En proclamant l’égalité en droit de tous – nobles, bourgeois, ouvriers, paysans, serviteurs, mais aussi hommes et femmes – la Révolution rebat les cartes. Même si les femmes restent dans la dépendance masculine, elles n’en acquièrent pas moins – bien que non sans mal – une plus grande liberté, en particulier dans le domaine de l’art…

Adelaïde Labille-Guiard, Portrait d’Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, Madame Élisabeth (1788). Huile sur toile, 80,7 x 64,2 cm. Paris, dépôt du musée du Louvre, département des Peintures, auprès du musée national des châteaux de Versailles et Trianon, Versailles © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

Adelaïde Labille-Guiard, Portrait d’Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène de France, Madame Élisabeth (1788). Huile sur toile, 80,7 x 64,2 cm. Paris, dépôt du musée du Louvre, département des Peintures, auprès du musée national des châteaux de Versailles et Trianon, Versailles © Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

Des artistes d’origines et aux destins divers

Dans ce contexte, le recrutement même des artistes se trouve bouleversé. Nombre des peintres femmes évoluent déjà dans un milieu artistique. Elles sont filles d’artistes comme Geneviève Brossard de Beaulieu, qui sera aussi l’élève de Greuze ; Jeanne-Élisabeth Chaudet, élève du sculpteur Chaudet ; Marie Amélie Cogniet, sœur et collaboratrice de Léon Cogniet : Rose-Adélaïde Ducreux, fille du portraitiste Joseph Ducreux, peintre attitré de la Reine, Marie-Éléonore Godefroid, fille d’un peintre et d’une restauratrice réputée ; ou Ana Geneviève Greuze dont l’œuvre est phagocytée par l’atelier de son père. À cette époque, leur sexe n’est plus un obstacle à leur activité à des fins lucratives, même si leur production propre passe parfois après celle de l’atelier. Les ateliers s’ouvrent aussi à des femmes de toutes origines et de toutes conditions. Elles appartiennent aux milieux dirigeants et sont filles de personnalités – politiques comme Marie-Guillemine Benoist qui réalisera des portraits pour la famille Bonaparte, ou institutionnelles telle Césarine Darvin-Mirvault qui ouvre une école de dessin et de peinture. Elles viennent d’un milieu de commerçants, comme Marie-Geneviève Bouliard, fille d’un couturier de province, très active durant la période révolutionnaire, dont l’audace – elle se représente en Aspasie, la courtisane maîtresse de Périclès – entraîne de vives critiques, ou d’artisans comme Alexandrine Delaval qui participe à l’engouement de l’époque pour les poèmes d’Ossian et puise son inspiration dans les cultures chevaleresques et nordiques. Elles sont aussi parfois, comme Isabelle Pinson, fille d’un valet et d’une femme de chambre d’aristocrates qui l’encouragent et la protègent, ou fille de domestique de province comme Marie-Gabrielle Capet qui devient l’élève d’Adélaïde Labille-Guiard, produit des copies en miniature des œuvres de celle-ci et des portraits de sa composition, plutôt au pastel. On y retrouve aussi la belle-sœur de Victor Hugo, Julie Duvidal de Montferrier, à laquelle l’écrivain recommande de ne pas « descendre dans la classe des artistes ».

Les péripéties de l’Histoire amèneront ces peintres femmes à connaître les destins les plus divers. Élisabeth Vigée Le Brun émigrera durant la Révolution, Rosalie Filleul de Besnes refusera de quitter la France – « Je crois au bonheur que doit nous procurer la Révolution », lui prête Vigée Le Brun dans ses Souvenirs – et sera finalement guillotinée, comme la fille d’Horace Vernet, Mme Chalgrin. Certaines seront, comme Marie-Guillemine Benoît, amenées par la Révolution, en raison des opinions de leur époux ou d’autres circonstances, à faire vivre leur famille de leur peinture.

Marguerite Gérard, Artiste peignant le portrait d’une musicienne (v. 1800). Huile sur bois, 61 x 51,5 cm. Saint-Pétersbourg, musée d’État de l’Ermitage © akg-images / Album

Marguerite Gérard, Artiste peignant le portrait d’une musicienne (v. 1800). Huile sur bois, 61 x 51,5 cm. Saint-Pétersbourg, musée d’État de l’Ermitage © akg-images / Album

1780-1830 La traversée d’un monde en plein bouleversement

En l’espace d’un demi-siècle, la société française se trouve bouleversée. La chute de la monarchie, la République, le Consulat, l’Empire et le retour à une monarchie très contestée forment un soubassement plein de péripéties au sein duquel s’ouvrent de nouvelles perspectives. Se conjuguent alors un phénomène de mode – le dessin et la peinture font partie intégrante de l’éducation des jeunes filles –, l’arrivée sur le marché d’une nouvelle classe, bourgeoise, soucieuse de manifester sa toute nouvelle puissance, et la perte de vitesse du « grand » genre historique et mythologique, faute d’une clientèle en mesure d’acheter ces grandes toiles, souvent coûteuses et longues à réaliser. Pour la nouvelle classe dirigeante, il s’agit d’imposer son image. Si l’on trouve encore des portraits de dame à plume et à chapeau hérités de l’Ancien Régime, ces portraits mêmes, déjà, sortent du cadre « majestueux » pour nous présenter, sur les traces d’Élisabeth Vigée Le Brun et de sa Marie-Antoinette en robe de mousseline dite ‘à la créole’, en chemise ou ‘en gaulle’ (1782), une imagerie débarrassée des fastes, et des individus aux postures plus libres. Se profile une évolution importante du marché. D’aristocratique et institutionnel, le marché évolue vers un usage plus diversifié pour une clientèle plus large.

Henriette Lorimier, Portrait de François Pouqueville à Janina (1830). Huile sur toile, 91 x 74 cm. Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot

Henriette Lorimier, Portrait de François Pouqueville à Janina (1830). Huile sur toile, 91 x 74 cm. Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon © RMN-Grand Palais (château de Versailles) / Daniel Arnaudet / Gérard Blot

Le Salon, nouvelle aune de la réussite

Le portrait, les scènes de genre, l'exotisme même et les petits formats occupent une place de choix dans cette valorisation de ce qu’on qualifiait précédemment de « mineur ». Cette évolution s’exprime aussi à travers d’autres changements importants. La pratique des Salons, où les artistes se doivent d’exposer pour montrer leurs œuvres et où le public est amené à les découvrir, pour les acheter ou passer commande d’autres sujets, devient incontournable. Au tournant du XIXe siècle, encouragé par la Direction des Musées créée en 1802, le Salon devient le seul espace d’exposition et de consécration des artistes vivants. De 300 exposants sous la Révolution, on passe à 700 au début de l’Empire puis à 1 200 à la fin des années 1840. Les tableaux sont accrochés sur plusieurs rangs, seulement numérotés, et le public – on compte 22 000 visiteurs en 1804 – se presse lors de ces événements bisannuels. Leur attraction est relayée par une presse en pleine expansion que des publications à destination du public féminin, dont le très prisé Journal des Dames et des Modes, viennent enrichir, même si elles restent majoritairement rédigées par des hommes sous pseudonyme féminin.

Césarine Davin-Mirvault, la Mort de Malek-Adhel (1814). Huile sur toile, 198 x 270 cm, Aurillac, musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac © Aurillac, musée d’Art et d’Archéologie

Césarine Davin-Mirvault, la Mort de Malek-Adhel (1814). Huile sur toile, 198 x 270 cm, Aurillac, musée d’Art et d’Archéologie d’Aurillac © Aurillac, musée d’Art et d’Archéologie

Peintres femmes : un succès réel

Lorsqu’en 1793, la Révolution abolit l’Académie de peinture et met en place la Société populaire et républicaine des arts, les femmes restent sur la touche – elles ne pourront y adhérer qu’à partir d’octobre 1794. Mais rien ne les empêche d’exercer professionnellement. D’une trentaine seulement dans les salons révolutionnaires, elles seront deux cents au milieu des années 1820. De 9 % d’exposantes au Salon dans les années 1790, on passe à 15 % et, quoique le taux de refus du jury soit plus élevé les concernant, elles infléchissent l’évolution du Salon vers un marché de l’art où le goût du public l’emporte sur toute considération hiérarchique. Un marché de la peinture sur porcelaine se développe. Un important groupe de femmes exercent cette activité dans la première moitié du XIXe siècle, dont Adélaïde Hoguer, Marie-Pauline Laurent, Aurore Leclerc, Madame Renaudin, ou Mesdemoiselles Girard et Perlet. L’État soutient cette activité dans laquelle il voit un moyen de régénérer l’art du passé et de soutenir sa politique patrimoniale.  Cette technique offre un éclat des teintes et une permanence de la couleur qui attire la clientèle. Marie-Victoire Jaquotot, qui allie dans son œuvre brillance des teintes et velouté des carnations, s’illustre particulièrement avec des copies de Raphaël réalisées par la Manufacture de Sèvres. Elle dirige une école de peintres sur porcelaine dont Marie-Adélaïde Ducluzeau est l’une des élèves. Ce qui frappe dans ces peintures, c’est la maîtrise que montrent ces femmes et la finesse de leurs réalisations. Certaines artistes innovent aussi dans la commercialisation de leurs œuvres et inaugurent une nouvelle forme de « marketing ». Ainsi, Marguerite Gérard confie ses œuvres à des marchands d’art expérimentés et utilise – à la manière dont la gravure avait servi, à la Renaissance, à diffuser les œuvres – l’estampe, alors marché florissant, pour populariser son travail et accroître sa notoriété.

Adrienne Marie Louise Grandpierre Deverzy, l’Atelier d’Abel de Pujol (1822). Huile sur toile, 96 x 129 cm. Paris, musée Marmottan Monet © Marmottan Monet, Paris, France / Bridgeman Images

Adrienne Marie Louise Grandpierre Deverzy, l’Atelier d’Abel de Pujol (1822). Huile sur toile, 96 x 129 cm. Paris, musée Marmottan Monet © Marmottan Monet, Paris, France / Bridgeman Images

Un apprentissage où se mêlent hommes et femmes

On a souvent tendance à considérer que l’interdiction faite aux femmes, pour des raisons prétendument morales, de fréquenter les ateliers où posaient des modèles nus, expliquerait leur mise à l’écart de la Peinture prise en compte par les histoires de l’art. L’exposition montre qu’en ce demi-siècle de jonction entre les XVIIIe et XIXe siècles, la frontière est plus que poreuse. Fragonard, Greuze, Jean-Baptiste Regnault, Jacques-Louis David, Léon Cogniet, Abel de Pujol, Proudhon et d’autres comptent dans leurs ateliers des femmes aussi bien que des hommes. Les séances de pose restent ouvertes aux élèves des deux sexes, sans distinction. Les peintres qui ont le privilège d’habiter les sous-sols du Louvre hébergent non seulement leur famille et leur domesticité, mais aussi parfois leurs élèves. Les tableaux représentant des scènes d’atelier, nombreuses dans cette exposition qui rassemble 70 œuvres, attestent de cette mixité. Certaines de ces artistes femmes « corrigent » même d’une certaine manière, une inégalité de statut en créant des écoles destinées aux femmes : c’est le cas d’Adélaïde Labille-Guiard dont on raille la « mâle » assurance – inappropriée, pense-t-on, à son sexe –, mais aussi, plus tard, de Jeanne-Élisabeth Chaudet, Césarine Davin-Mirvault, Hortense Haudebourt-Lescot, Louise Hersent, etc. La pédagogie y est comparable à celle des écoles masculines et certains ateliers intègrent l’étude du nu et la peinture d’histoire.

Marie-Joséphine-Angélique Mongez, Thésée et Pirithoüs délivrent deux femmes des mains de leurs ravisseurs (1806). Craie noir, blanche, bleue et ocre sur papier ivoire, 59,5 x 75 cm. Minneapolis, the Minneapolis Institute of Art, The Richard Lewis Hillstrom Fund © Minneapolis Institute of Art

Marie-Joséphine-Angélique Mongez, Thésée et Pirithoüs délivrent deux femmes des mains de leurs ravisseurs (1806). Craie noir, blanche, bleue et ocre sur papier ivoire, 59,5 x 75 cm. Minneapolis, the Minneapolis Institute of Art, The Richard Lewis Hillstrom Fund © Minneapolis Institute of Art

Des femmes sur les terres masculines

Ce qu’on découvre avec beaucoup d’intérêt dans l’exposition, c’est l’implication non dénuée de panache de ces femmes dans tous les champs de la peinture. Certaines, en dépit des critiques qui persistent sur le rôle qu’elles devraient jouer dans le champ de la peinture – « se borner, proclament leurs détracteurs, à peindre les douces émotions de l’âme, les sentiments tendres et délicats […] et laisser aux hommes les sujets d’histoire » – concurrencent directement l’hégémonie masculine dans le genre historique. L’exemple de Jeanne-Louise (dite Nanine) Vallain est à cet égard révélateur. Cette jeune peintre parisienne ambitieuse, qui intègre en 1793 la Commune générale des Arts, un groupe d’artistes révolutionnaires qui remet en question l’Académie royale des arts, exécute plusieurs peintures d’histoire dont la plus connue est la Liberté à laquelle elle prête ses traits. Allégorie révolutionnaire, l’œuvre ornera le Club des Jacobins avant d’être saisie à la fin de la Terreur en 1794. À partir des années 1800, ces thèmes ne seront plus en faveur et l’artiste perdra les suffrages de la critique. Mais certaines s’entêtent dans cette voie. Marie-Joséphine-Angélique Mongez affirme sa préférence pour les tableaux d’histoire de grandes dimensions. Son Thésée et Pirithoüs délivrent deux femmes des mains de leurs ravisseurs (1806), réalisé à la craie noire, blanche, bleue et ocre, présent dans l’exposition, atteste de son vigoureux coup de patte, de sa force expressive et de sa dynamique du mouvement. Quelques-unes effectueront, à la manière de leurs confrères masculins, le traditionnel voyage en Italie qui ponctue la formation des peintres. Louise-Joséphine Sarrazin de Belmont livrera ainsi de 1824 à 1826 quantité d’esquisses et de dessins sur les sites de Rome, Tivoli, Naples ou Paestum, mais aussi de Sicile, destination peu courante à l’époque, dans une facture qui n’est pas sans rappeler Hubert Robert. Quant à Hortense Haudebourt-Lescot, protégée du peintre Guillaume Guillon-Léthière, nommé directeur de l’Académie de France à Rome, elle accompagne ce dernier à Rome, en dépit des rappels à l’ordre de Vivant Denon, alors directeur des Musées, et des allégations perfides qui circulent. Elles développent aussi, dans un style troubadour, le goût des amours courtoises ou interdites, et du chevaleresque auquel elles apporteront une note plus sentimentale qu’historique. Elles ne dédaignent pas non plus, parfois, de s’aventurer sur les terres du nu comme le mythologique Flambeau de Vénus (1808), de Constance Mayer, maîtresse et collaboratrice de Proudhon qui connaîtra un destin tragique proche des héroïnes romantiques – elle se tranchera la gorge par désespoir d’amour.

Louise-Joséphine Sarrazin de Belmont, Vue du Forum le matin. Huile sur toile, 60 x 82 cm. Tours, musée des Beaux-Arts de Tours © musée des Beaux-Arts

Louise-Joséphine Sarrazin de Belmont, Vue du Forum le matin. Huile sur toile, 60 x 82 cm. Tours, musée des Beaux-Arts de Tours © musée des Beaux-Arts

Des femmes en pleine reconsidération des genres picturaux

Plus nombreuses sont celles qui, par nécessité économique et/ou par choix, s’inscrivent dans le goût de leur époque. Du Directoire au retour des Bourbons, elles se font l’écho des valeurs des nouvelles élites avec des sujets tirés de la vie quotidienne : la morale, le bonheur familial, la tendresse maternelle, la foi chrétienne, l’éducation des jeunes filles. Le très délicat Enfant à la poupée (fin du XVIIIe s.) d’Ana Greuze voisine avec la Suppliante d’après Jean-Baptiste Greuze (fin du XVIIIe s.) ou le Portrait d’une femme tenant sa fille sur les genoux de Rose-Adélaïde Ducreux (Salon de 1793). Elles réalisent des portraits tels celui d’une Madame Récamier (fin du XVIIIe s.) par Eulalie Morin, assez « déshabillé » et refusé en 1799 par le Salon, de David pendant son exil à Bruxelles ou de François Gérard de Marie-Éléonore Godefroid. Elles s’aventurent parfois dans les sujets « triviaux », tel ce surprenant Attrapeur de mouche (1808) d’Isabelle Pinson dont le thème insolite comme le traitement préfigurent les expérimentations de la fin du XIXe siècle. Elles vont aussi développer une intense activité dans le domaine du portrait, où leur maîtrise technique et leur virtuosité d’exécution concurrencent les productions masculines.

Isabelle Pinson, l’Attrapeur de mouche (1808). Huile sur toile, 39 x 30 cm. Notre Dame (IN), Snite Museum or Art, University of Notre Dame. Bequest of Dr Paul J. Vignos Jr.

Isabelle Pinson, l’Attrapeur de mouche (1808). Huile sur toile, 39 x 30 cm. Notre Dame (IN), Snite Museum or Art, University of Notre Dame. Bequest of Dr Paul J. Vignos Jr.

Artistes femmes : naissance d’un combat

L’exposition met en lumière leur revendication de liberté, parfois subtile et voilée, d’autres fois plus appuyée, face aux critiques qui continuent de courir. L’érotisme marque le Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson (1802) de Nisa Villers où se dévoile coquettement un pied que la bienséance masque d’ordinaire. Si les scènes d’ateliers, nombreuses, révèlent une mixité souvent ignorée, les autoportraits affirment l’identité revendiquée de ces peintres femmes. Elles se représentent ostensiblement, le pinceau ou la palette à la main, ou face à la peinture en train de se faire, quand elles n’occultent pas, parfois, complètement le modèle. Elles glissent même avec humour, en réponse aux critiques, une indication de leur double condition de femme et de peintre, comme dans l’Auteur à ses occupations (1793) ou Marie-Nicole Vestier, la palette à la main, se montre en mère, au côté d’un ravissant bambin qui lui tend les bras, tandis qu’à l’arrière-plan se dresse un portrait inachevé d’homme sur lequel elle travaille.

Marie-Nicole Vestier (épouse Dumont), l’Auteur à ses occupations (1793, détail). Huile sur toile, 54 x 44 cm. Vizille, musée de la Révolution française, département de l’Isère. © DR par le Département de l’Isère.

Marie-Nicole Vestier (épouse Dumont), l’Auteur à ses occupations (1793, détail). Huile sur toile, 54 x 44 cm. Vizille, musée de la Révolution française, département de l’Isère. © DR par le Département de l’Isère.

Réparer un « oubli » délibéré

L’exposition offre ainsi un moyen d’interroger notre (mé)connaissance de la place des femmes durant cette période. Parce que le carcan, déjà considérable à leur époque, se resserre encore plus après 1830 pour les femmes – on se souviendra des difficultés de Camille Claudel, par exemple, et d’autres, à travailler d’après modèles vivants nus au tournant du XXe siècle. Parce que l’histoire de l’art a commodément occulté la place des femmes dans cette période en pérennisant la hiérarchie des genres picturaux dans une société qui les avait minorés, voire abolis. Parce que la distinction hommes/femmes et la différenciation des sexes ne peuvent être considérés comme le prisme au travers duquel regarder la peinture – la présence de quelques œuvres masculines, portraits ou réalisation conjointes, révèle à l’évidence l’inanité de cette distinction. Dédier cette exposition aux peintres femmes, c’est simplement donner à voir et rééquilibrer notre approche de l’histoire picturale. Un pari pertinent et réussi.

Peintres femmes, 1780-1830 Naissance d’un combat

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais, Paris

Commissariat : Martine Lacas, Docteure en histoire et théorie de l’art, auteure, chercheuse indépendante.

Scénographie : Loretta Gaïtis et Irène Charrat. Mise en lumière : Léopold Mauger

19 mai - 4 juillet 2021 Musée du Luxembourg 19 rue Vaugirard 75006 Paris

tlj de 10h30 à 19h, nocturne le lundi jusqu’à 22h, fermé le 1er mai

Réservation obligatoire

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