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Arts-chipels.fr

Le Procès de l’herboriste. Une aventure individuelle broyée par les turpitudes de l’Histoire.

Le Procès de l’herboriste. Une aventure individuelle broyée par les turpitudes de l’Histoire.

Agnieszka Holland affectionne les histoires où des individus hors du commun donnent de la grande Histoire, à laquelle ils participent, une approche plus complexe. Le Procès de l’herboriste, qui fait revivre le parcours d’un guérisseur tchèque en pleine période stalinienne, s’inscrit dans cette veine-là. Une aventure passionnante en même temps qu’une belle et forte leçon de cinéma.

Réalisatrice mais aussi scénariste pour d’autres films – elle collabore, entre autres, à l’écriture de Trois couleurs de Krzysztof Kieslowski, et écrit pour Andrzej Wajda dont elle fut l’assistante Sans anesthésie et Danton – Agnieszka Holland aime privilégier les parcours atypiques et les approches insolites. Avec Europa, Europa, elle plongeait dans le quotidien d’un jeune juif se faisant passer pour allemand pour échapper aux persécutions, qui devient traducteur pour les nazis. Avec l’Élève de Beethoven (Copying Beethoven), elle mettait en avant l’histoire d’Anna Holz, la jeune fille indépendante et volontaire qui assista le compositeur pour l’exécution de la Neuvième Symphonie, lui fournissant par signes les indications nécessaires à la conduite de l’orchestre. Dans l’Ombre de Staline, à travers l’aventure d’un lanceur d’alerte avant la lettre, le journaliste Gareth Jones, elle explorait l’extermination par la faim de millions d’Ukrainiens ordonné par Staline en 1932-1933. Avec le Procès de l’herboriste, elle revient dans le pays où, contrainte de s’expatrier de Pologne pour raisons politiques, elle fit ses études de cinéma : la Tchécoslovaquie.

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Un self-made man guérisseur en pays communiste

Jan Mikolášek a un parcours qui sort de l’ordinaire. Enfant passionné de plantes, c’est auprès d’une guérisseuse autodidacte qu’il fait son apprentissage. Il apprend à lire dans l’urine des malades, avec des moyens rudimentaires – un peu de poudre de pierre qui précipite la solution – la nature des affections des patients qu’il reçoit en nombre de plus en plus considérable. Une activité très peu « communiste » dans laquelle il s’enrichit prodigieusement en vendant ses mélanges de plantes et qui ne manque pas de provoquer l’ire de ses détracteurs. Bien qu’en butte aux accusations de la police politique, il bénéficie de la protection du président de l’époque, Antonín Zápotocký, un rescapé de Mauthausen dont il soigne la jambe gangrénée, ce qui lui épargne l’amputation et rend Mikolášek intouchable. Mais à la mort de son protecteur, les loups sont lâchés. Emprisonnement, accusations créées de toutes pièces, avocat commis d’office qui, par peur de représailles, se montre, sans surprise, piètre et pleutre défenseur au regard des informations qu’il exhume… tous les moyens sont bons pour mettre à terre celui dont la morgue indisposait.

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Un portrait tout en contrastes

Le film s’appuie sur les Mémoires de Jan Mikolášek, que l’auteur rédige comme un plaidoyer pour lui-même. Mais la réalisatrice donne du personnage une version plus complexe. Elle fait de Jan Mikolášek un homme fascinant, quoique pas toujours sympathique. Hautain, impatient, péremptoire, grossier parfois, il n’en demeure pas moins convaincu de sa « mission » et du pouvoir de sa médecine. Roulant dans une voiture de luxe, venue de l’Ouest, très riche dans un pays où son opulence étalée est de mauvais goût, il n’en soigne pas moins gratuitement ceux qui ne peuvent le payer. Narcissique et tyrannique, il exerce sur son entourage un pouvoir absolu, sans limite. Il n’hésite pas non plus à se compromettre, en particulier avec les nazis, quand il est question de soigner Martin Bormann, le conseiller « brutal et sans scrupules » d’Adolf Hitler – selon les termes mêmes du Führer – ou la sœur du ministre chargé du protectorat Bohême-Moravie. Soigner et guérir demeurent cependant son obsession, le fil conducteur qui guide sa conduite tout au long de son parcours.

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Une traversée du temps en zigzag

Cette évocation, elle chemine au fil d’un récit qui croise en permanence le passé et le présent. Le souvenir s’invite au détour d’un épisode qui appelle une anecdote plus ancienne. Surgit l’obstination de l’adolescent confronté au refus de son père lorsqu’il décide de faire son apprentissage auprès de la guérisseuse. Le reflet jaune dans le soleil des flacons d’urine qu’il analyse le replongent dans ses années de formation. Les souvenirs de sa gloire et de sa puissance trouent sa désespérance lorsqu’il n’a plus pour horizon que des murs lépreux de sa prison et la cour minuscule qu’il parcourt autour d’un terre-plein où ne subsistent que quelques plantes étiques rendues à l’état sauvage dont il ne peut s’empêcher d’énoncer les vertus. Ils restent présents dans l’orgueil insolent qu’il continue d’afficher lorsqu’il affronte la violence vengeresse de la police secrète et la solitude sans échappatoire d’un destin écrit d’avance par d’autres. Une descente aux enfers rendue inéluctable que la mémoire des jours heureux rend plus tragique encore. Reviennent de nombreux thèmes maintes fois abordés par les films de réalisateurs issus de l’Est : la pourriture qui s’insinue dans les cerveaux et les gangrène, la suspicion permanente à l’égard du prochain, fût-il proche, l’autosurveillance et l’autocensure qu’on exerce sur soi dans l’espoir fou de passer au travers des gouttes…

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Une belle et éclairante leçon de cinéma

La caméra se fait œil, subjectif, traquant en gros plan une expression ou épinglant au contraire en plan large un individu dans son contexte, nous faisant percevoir la réalité de l’enfermement en regardant les personnages à travers des barreaux qui en enferment l’image. La couleur nous parle d’un autre temps, comme ces cartes postales aux couleurs passées qui racontent les années d’après-guerre, en demi-teintes pour rappeler un temps où la réalité n’est plus que passée au filtre. Elle a perdu son caractère d’immédiateté, elle est devenue reflet où dominent les teintes blafardes, sombres et étouffées d’où émergent parfois à peine des personnages noyés dans la grisaille d’un quotidien sans perspective. Dans cet univers d’une neutralité contrainte émergent des taches bienfaisantes. L’urine aux couleurs dorées est le havre solaire dans lequel se réfugie l’herboriste. Les couleurs saturées, chaudes, de la nature devenue riante et protectrice qui marquent les ébats de Mikolášek et de son amant-assistant, soulignent les rares moments de bonheur secret dont ils profitent dans un monde où l’homosexualité est un délit durement réprimé. On retrouve cet art de la couleur et de la lumière si manifestes dans les films de Wajda. On s’emplit du plaisir intense que procure le cinéma, quand filmer une histoire vaut pour l’art de filmer autant que pour l’histoire. Une merveilleuse alchimie de l’esprit et de la forme où l’on regrettera toutefois une utilisation un peu trop théâtrale, parfois, de la musique…

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Le Procès de l’herboriste © Marlene Films Production

Le Procès de l’herboriste. 2020 - Drame historique - République Tchèque / Irlande / Pologne / Slovaquie - 118 min. Sortie en salles : 30 juin 2021

S Réalisation Agnieszka Holland S Scénario Marek Epstein S Avec : Ivan Trojan (Jan Mikolášek), Josef Trojan (Jan Mikolášek jeune), Juraj Loj (František Palko), Jaroslava Pokorná (Mülbacherová), Jiří Černý (Zlatohlávek), Miroslav Hanuš (Interrogateur)

S Image Martin Strba S Montage Pavel Hrdlicka S Décors Milan Bycek S Costumes Katarína Štrbová-Bieliková S Son Radim Hladik Jr. S Musique originale Antoni Komasa-Lazarkiewicz S Maquillage RenéStejskal, Gabriela Poláková S Producteur exécutif AlešTýbl S Production Marlene Film Production S Produit par Šárka Cimbalová, Kevan Van Thompson S Co-production Czech Television, Barrandov Studio, Rozhlas A Televízia Slovenska, Certicon, Vladimír and Taťána Maříkovi, Magic Lab, Studio Metrage, Moderator Inwestycje S Co-producteurs Mike Downey, Sam Taylor, Klaudia Śmieja-Rostworowska, Lívia Filusova

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