31 Mai 2021
Parler du lent désagrègement de la vie lorsque la mort est inéluctable est un sujet délicat, au théâtre comme ailleurs. Adeno Nuitome le traite avec une délicatesse légèrement décalée et un lyrisme discret, comme si la poésie était un moyen d’apprivoiser la mort et l’humour un moyen de la mettre à distance.
Des bouquets de plantes et de fleurs sauvages disposés un peu partout parsèment le sol comme pour la célébration de quelque rite primitif dont la nature serait l’objet. Seuls un banc, un bureau et un tapis témoignent de la présence humaine. Nous sommes dedans et dehors, dans cet univers baigné d’une lumière irréelle qui suggère une atmosphère silvestre. On devine les arbres plus qu’on les voit, ombres colorées nimbées de mystère qui apparaissent, projetées sur les deux panneaux qui occupent le fond de scène.
Le romantisme d'un duo d’amour contemporain
Ils sont deux. Elle, un côté poings dans les poches, jeune femme en dérive, le parler un peu âpre. Lui, barbu doux et protecteur. Rassurant. Ils nous parlent d’eux. Elle, mariée très jeune à un rocker mélancolique, Jeff Buckley, avalé, la trentaine à peine atteinte, par le fleuve dans des circonstances non élucidées, est incapable de déterminer s’il est mort ou vivant. Entre deux eaux, entre deux vies, à la lisière de deux mondes, elle est toute sensibilité dehors, à fleur de peau. Lui travaille dans le spectacle vivant. Sitôt ses tournées achevées, il retourne dans cette maison au fond des bois où il la préserve du monde au sein de cet écrin de verdure et de paix où ne demeure que l’essentiel, à l’écart des néons, des feux rouges et des phares. Il lui apprend le nom des plantes et le chant des oiseaux ou le goût des champignons, la distrait avec les péripéties de ses tournées. Il a construit autour d’elle un cocon rassurant où, assise à son bureau, elle s’essaie à écrire. Une histoire d'amour fou, qui efface le monde extérieur.
La traversée de la maladie
Mais nul ne peut rester à l'écart. Elle est, on l’apprendra progressivement, par petites touches, atteinte d’une tumeur à l’évolution incertaine. Dans ce décor où s’entrecroisent et s’entremêlent les trois fondements de l’existence humaine – la vie, l’amour, la mort – ils attendent, espérant que la vie dont les pulsations sont partout présentes dans ce lien intime avec la nature triomphera. Dans ce décor onirique d’un jardin d’éden retrouvé flottant dans une lumière irréelle se dessine la gamme des impressions contradictoires nées des sensations, des émotions et des réactions face à la réalité de la maladie. Un combat perdu d'avance où alternent et se succèdent attente, espérance, résignation, colère et désespoir. Dans ce beau spectacle qui oscille entre poésie et lyrisme, humour, cette politesse du désespoir, et violence, « chaque douleur est une bourrasque immense » qui nous entraîne un peu plus loin dans cette vie à mort rythmée par des accords de rock où chacun se perd et se retrouve.
Adeno Nuitome de Lola Molina (éd. Théâtrales) S Mise en scène Lélio Plotton S Avec Charlotte Ligneau et Antoine Sastre S Scénographie Adeline Caron S Création vidéo Jonathan Michel S Création sonore Bastien Varigault S Création lumières Maurice Fouilhé
Dates de tournée à compléter ultérieurement
6 au 25 juillet 2021, à 21h10 (relâche le 12) - La Manufacture - 2, rue des écoles - Avignon.
1er, 2 décembre 2021, Halle aux Grains, scène nationale de Blois