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Arts-chipels.fr

La Tragédie d’Hamlet. Pauvres humains qui tels que nous vivez…

La Tragédie d’Hamlet. Pauvres humains qui tels que nous vivez…

Guy-Pierre Couleau reprend la version « resserrée » d’Hamlet, qu’avaient imaginée Peter Brook, Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne. Il confronte dans ce spectacle les personnages à la question de la responsabilité de chacun face à son destin et interroge le lien entre pensée et passage à l’acte.

Hamlet fait partie de ces pièces-culte du théâtre, de ces monstres que chacun caresse et qu’on ne cesse de relire – ou de revoir. Au-delà du « classique » du théâtre baroque que constitue la pièce de Shakespeare, au-delà du fameux « Être ou ne pas être » si difficile à interpréter, que Lubitsch a contribué à immortaliser dans sa comédie éponyme et que le couple Brook-Carrière déplace en fin de pièce, Hamlet demeure, dans toute sa richesse, un monument intimidant tant les interprétations et les développements auxquels il donne lieu sont complexes. La pièce est énigmatique comme un oracle de la Pythie, pleine de bruit et de fureur. Elle ouvre la voie à toutes les interprétations, politiques, psychanalytiques, poétiques, théâtrales, allie burlesque et tragique et ne se laisse pas facilement étreindre, encore moins enfermer. Peter Brook avait choisi, dans l’une de ses adaptations scéniques, de délaisser la vaste fresque où s’agitait une société bigarrée au profit d’une version « de poche » pour huit comédiens, recentrant le propos autour des principaux protagonistes de l’histoire. Guy-Pierre Couleau reprend cette version.

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

La Tragédie d’Hamlet

Sur les rivages d’Elseneur, au pays de Danemark, le jeune Hamlet promène son mal de vivre. Son père le roi n’était pas plus tôt enterré que sa mère, Gertrude, s’est remariée avec le propre frère du roi. Ce soir-là, le fantôme de son père apparaît à Hamlet pour dénoncer en son frère son meurtrier. Mais n’est-ce pas une illusion ? une projection qu’Hamlet forme dans son esprit ? Pour s’en assurer, il décide de feindre la folie – les fous ne sont-ils pas ceux par qui s’exprime la vérité ? – et de tester son beau-père. La venue de comédiens lui suggère de faire rejouer par eux le meurtre de son père – un poison lui est versé dans l’oreille durant son sommeil. L’artifice que constitue le théâtre acquiert un caractère de réalité. Il devient un moyen de découvrir la vérité. Assuré de la traîtrise de son oncle, il ne reste à Hamlet qu’à ourdir sa vengeance. Mais, en ouvrant la boîte de Pandore où se mêlent raison et folie, sa ruse a déclenché une réaction en chaîne qui lui échappe. Elle se termine par un bain de sang qui n’épargne personne. Le poison était à l’origine, il sera à la fin. Victime innocente, sacrifiée sur l’autel des relations de pouvoir et de la vengeance, écartelée entre la volonté paternelle, son amour pour Hamlet et la prétendue folie de celui-ci, la trop tendre Ophélie y laissera sa raison et sa vie.

Une tragédie nue, de notre temps et tous les temps

Point de costumes anciens, de pourpoints, de collants et de hauts de chausse, mais des comédiens en habits contemporains. Petit costume sombre pour Hamlet, baskets pour Horatio, costume-cravate pour Claudius. Cependant, petit clin d’œil au temps de Shakespeare, dans la séquence de théâtre dans le théâtre, imaginée par Hamlet, les rôles féminins sont tenus par des hommes comme à l’époque élisabéthaine. Plus généralement, même si le texte dit parfois une époque révolue, même si les procédés de mise à mort – le fer et le poison – peuvent paraître d’un autre temps, la fable nous parle d’aujourd’hui. Ces personnages à la dérive dans un monde devenu fou, nous les connaissons. Ce jeu de massacre dans lequel ils sont pris, il ressemble à ce que l’actualité nous présente chaque jour. Ce monde qui a perdu ses repères où nous errons sans pouvoir décider de l’attitude à prendre, il nous est familier. Les comédiens-personnages nous renvoient à nous-mêmes… Ils sont le reflet d’une société où les certitudes ont basculé, où la disparition des « -ismes » comme systèmes de valeurs nous laisse désarmés devant une réalité sans cesse mouvante. Comment continuer d’avancer ? Comment nous définir ? Comment choisir quand chaque décision entraîne des conséquences que nous ne maîtrisons pas ? Chacun des personnages est pris dans cette nasse. Hamlet parce qu’il hésite devant le meurtre, Gertrude parce qu’elle est mère et incestueuse, Claudius parce que son attitude navigue entre ambition personnelle et raison d’état, Ophélie parce qu’elle est tirée à hue et à dia et ne sait qui elle est.

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Un spectacle très « brookien »

Sur le plan scénique, Guy-Pierre Couleau inscrit sa mise en scène dans les traces de la démarche de Peter Brook. Il privilégie le dépouillement et l’épure et fait reposer le spectacle sur les acteurs – on peut d’ailleurs se demander si le fait de choisir, pour jouer Polonius, Emil Abossolo M’Bo ,un comédien ayant appartenu à la troupe de Peter Brook et ayant déjà joué la pièce, est vraiment un hasard…. Brook affectionnait les tapis qui se transformaient à l’envi en mer démontée, en palais, en sentier forestier. Ici, pour tout espace, des chaises dépareillées sont disposées autour d’un carré de moquette sur la scène. Les comédiens y prennent place avant de s’avancer tour à tour et de jouer leur partition dans l’espace ainsi défini. Comme pour affirmer que la Tragédie d’Hamlet est avant tout du théâtre, un lieu où se racontent les histoires, un espace nu et minimaliste dans lequel la magie de la pièce est celle recréée par les acteurs et par le texte. Les accessoires restent des objets sans grand caractère et qu’importe qu’ils aient l’air toc, l’essentiel est ailleurs. La représentation théâtrale imaginée par Hamlet et placée au centre de la pièce – qui va déclencher la cascade d’événements qu’aucun des personnages ne maîtrise – constitue cependant une bascule dans le spectacle. Auparavant neutre et vide, l’aire de jeu devient espace de la rue, dans le monde d’aujourd’hui. Elle s’anime de graffitis hâtifs et de peintures grinçantes, déstructurées, à la Basquiat. Le street art nous renvoie à nos propres incertitudes, à l’écartèlement et à l’explosion des valeurs de la société contemporaine.

© Laurent Schneegans

© Laurent Schneegans

Entendre Shakespeare, comprendre peut-être, s’interroger surtout…

Le resserrement autour des personnages principaux s’accompagne d’un refus de trancher, dans un sens ou un autre, dans l’interprétation des personnages, d’infléchir la lecture qu’on peut faire de leurs actes. De les laisser livrés à eux-mêmes, à leurs propres démons – vengeance, amour du pouvoir, culpabilité. La mise en scène énonce, de manière claire, l’indécision et les hésitations face à l’action, la manière dont, presque malgré soi, agir comme ne pas agir enferme chacun dans un destin qui lui échappe. Elle fait entendre le texte dans sa complexité et laisse le spectateurs y mettre ce qu’il y voit. On y savoure comme un fruit rare chaque détail de la langue truculente, poétique, inspirée de Shakespeare. On entre de plain-pied dans le choix fait par Jean-Claude Carrière de prêter à Hamlet une langue de notre temps, celle d’un personnage jeune homme, incarné avec talent par Benjamin Jungers, et non celui d’un homme plus mûr, au langage plus châtié. On s’imprègne de la poésie qui émane de cette langue incandescente. On se régale de ses formules, de ses images, comme lorsque Shakespeare fait dire à Hamlet que le rôti des funérailles de son père a été resservi froid au remariage de sa mère. Peter Brook, dans une interview, remarquait que dans le texte original de Shakespeare, le rôle du Fossoyeur était désigné par le terme de « clown ». Le rire côtoie et escorte le tragique. Comme les deux faces d’une même médaille. Comme le champ des possibles que le spectacle fait percevoir.

Fallait-il, dans cette effusion du langage qu’on aime à respirer, intercaler les séquences « dansées » aux allures d’exercice d’expression corporelle censées marquer le suicide d’Ophélie ? Elles n’apportent rien, bien au contraire. Verrue incongrue et inesthétique, elles parasitent le texte, nous éloignent du propos. C’est dommage. Ne boudons cependant pas le reste, qui constitue l’essentiel du spectacle, pour suivre Shakespeare… « Ce que j’ai en moi dépasse l’apparence, / Le reste n’est que parure, / Costume de la douleur. »

La Tragédie d’Hamlet Texte William Shakespeare. Adaptation Peter Brook

S Texte français de Jean-Claude Carrière et Marie-Hélène Estienne S Mise en scène Guy-Pierre Couleau S Avec Emil Abossolo M’Bo (Polonius, Fossoyeur), Bruno Boulzaguet (Rosencrantz, Premier acteur, Fossoyeur), Marco Caraffa (Horatio), Benjamin Jungers (Hamlet), Hugo Givort (Laërte, Guildenstern, Second acteur), Anne Le Guernec ou Léonore Chaix, en alternance (Gertrude), Nils Ohlund ou Serge Tranvouez (Claudius, Le spectre), Sandra Sadhardheen (Ophélie) S Scénographie Delphine Brouard S Musiques et son Frédéric Malle S Chorégraphie de combat Florence Leguy S Costumes Camille Pénager S Lumières Laurent Schneegans S Assistante à la mise en scène Mona Terrones Coproduction Artistic Théâtre et Des Lumières et Des Ombres pour ces représentations S Spectacle créé en coproduction avec Les Scènes du Jura, Scène nationale et en collaboration avec le Théâtre 13 / Paris S Accueil en résidence au Théâtre d’Auxerre et en répétitions aux Plateaux Sauvages et au Théâtre Paris-Villette S Avec la participation artistique du Studio d’Asnières-ESCA et le soutien de la Spedidam S Des Lumières et Des Ombres est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC de Bretagne.

Théâtre Artistic Athévains – 45, rue Richard-Lenoir, 75011 Paris

Rés. 01 43 56 38 32 aatheatre@gmail.com et www.artistictheatre.com

À partir du 2 octobre. Mar., jeu., ven. et sam. à 20h30, mer. à 17h, sam. et dim. à 17h

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