10 Février 2022
Il est au monde une chose inimitable qui rend les Anglais uniques et devrait nous incliner à leur pardonner cette fierté insulaire qui a conduit au Brexit. Bertrand Brossard nous rappelle avec une impertinence joyeuse qu’ils sont les inventeurs absolus de l’humour – anglais, of course – and in English, just as well !
L’histoire commence par un film. Un jeune homme dont la barbe dénote l’abandon et le laisser-aller traîne sa déprime quand on sonne à la porte. Aux deux amis qui se présentent, il expose les raisons de son spleen. Il se sent responsable de tout ce qui va mal dans le monde, Brexit bien évidemment compris. Il porte la charge de toutes les catastrophes sur ses frêles épaules et le Brexit l’a achevé, lui qui vit dans un décor de bus rouge à deux étages, de cabines de téléphone rouges, de portraits de la Queen, de Lady Di et du prince Charles sur les murs, sur les mugs et autres accessoires à touristes de la vie courante. Il faudra toute l’obstination de ses amis pour que, confronté à la rue londonienne et à l’impassibilité des Welsh Guards de la Reine à bonnets à poil – tout pimpants dans leur uniforme, rouge lui aussi – il se sente enfin délivré de son insurmontable responsabilité. A ce moment précis, c’est le comédien, glabre et requinqué, sobrement vêtu de noir, qui surgit sur la scène…
En anglais dans le texte
Voici notre comédien, décomplexé, qui nous entraîne en live – et en anglais – dans sa fascination pour cet étrange peuple dont il est tombé amoureux car il a inventé, selon lui, une arme unique, absolue, invincible, à nulle autre pareille : l’humour. Nous sommes à la fin des années 1990 et le seul en scène – le stand up – n’a pas encore pris pied sur le continent quand notre acteur s’en empare et le traîne à travers toute l’Europe. Dès ce moment, et pour que chacun le suive dans les méandres de ses histoires qui nous emmènent de l’Angleterre à la Russie des tsars en passant la France, il parsème, de peur que notre niveau d’anglais soit insuffisant, son texte d’accents français d’une drôlerie irrésistible, voire de traductions, dans un sens ou dans l’autre, du français vers l’anglais et vice-versa qu’il sollicite auprès du public. Il se fait bruiteur et mime, sans autre accessoire que son propre corps qui alterne borborygmes, décrochements sonores de mâchoire, bruitages expressifs, échelles dessinées à la force des bras et oppositions cocasses : stand up / sit down, etc. Bref on ne se noie pas à la traversée du Channel et on nage sans effort dans cet exercice revigorant de pratique de l’anglais.
L’humour anglais conduit à tout, à condition d’y entrer
On se régale d’histoires toutes plus invraisemblables que les autres, lorsqu’on s’assoit en voiture à la droite du Seigneur – conduite à gauche oblige – ou qu’on situe la Guerre froide au pôle Nord – comme son nom l’indique, elle ne peut être que là. On s’esbaudit à l’histoire de ces moujiks qui sonnent à la porte de Nicolas II pour le faire passer de vie à trépas et que le portier abuse, jusqu’à ce que, finalement, les rouages de leur cerveau leur indiquent qu’ils sont au bon endroit et qu’il n’ont plus qu’à trucider le tsar. On s’intéresse au yacht de la Reine, acheté avec les deniers publics et dont la nation entière est propriétaire pour imaginer que les sujets de sa Gracieuse Majesté aient le droit de l’utiliser quand Elisabeth n’en fait pas usage. Et, puisque les Français sont des froggies, des mangeurs de grenouille, on se répand sur le sort de ces malheureuses grenouilles qui cherchent par tous les moyens à se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas – pour éviter de se faire manger, puisque les Français ont des habitudes culinaires pour le moins étranges. Que choisir ? un serpent ? ou un caméléon – la pauvre rainette ne parvient évidemment pas à changer de couleur ! – à coup sûr pas un bœuf, qui finirait dans la casserole…
Trump et Poutine font la paire. Les séquences s’enchaînent l’une à l’autre sans lien apparent, les personnages se répondent d’un bout de bras à l’autre, se définissent d’une mimique à l’autre, se répondent par la voix et l’éclairage dans un nonsense jouissif et enlevé. Cela n’empêche pas de remarquer au passage le soin extrême apporté à l’élaboration des gags, au jeu de la lumière et au son. En ces temps où la réalité pèse comme un couvercle sur un avenir gris-fer et plombé, on saluera avec reconnaissance la légèreté qu’apportera aux spectateurs de cet OVNI so British le simple fait de rire à gorge déployée… In a while, crocodile, soit bientôt, du moins on l’espère…
Incredibly incroyable
Spectacle non surtitré, en anglais basique, facilement compréhensible.
Écriture, mise en scène & interprétation Bertrand Bossard, artiste associé au Centquatre, Paris
Collaboration artistique Charlotte Sephton, Maxime Mikolajczak, Solal Bouloudnine, Olivier Veillon. Création lumière Jean-Damien Ratel, Olivier Fauvel. Image Laurent Didier. Mixage vidéo Pierre Carrasco. Étalonnage vidéo Hugues Gemignani.
Du mardi 8 mars au samedi 9 avril 2022
Théâtre de la Ville Espace Cardin-Petite Salle
Théâtre De La Ville-Espace Cardin – 1, Av. Gabriel. Paris 8e
Tél. 01 42 74 22 77. Site : www.theatredelaville-paris.com