27 Août 2021
Léonor de Récondo et Sébastien Desjours abordent le thème délicat de l’identité genrée et du changement de sexe avec tendresse, finesse et acuité.
Un panneau sur le fond du plateau masque une scène que l’on ne peut voir. Seule une paire de jambes juchée sur de hauts talons émerge de l'obscurité. Une voix s’élève. Elle raconte. L’amour des tenues clinquantes, l'atmosphère grisante du monde nocturne et ce qui les suit, les séances de déshabillage à la sauvette dans une voiture, le fard qu’on frotte et refrotte jusqu’à en effacer toutes les traces pour retrouver une apparence « normale », le poids de la clandestinité et du mensonge et le sentiment de dépossession de soi.
Chronique d’une vie « ordinaire »
Elle, c’est Mathilda. Elle hante en secret les bars de nuit lorsque sa compagne et mère de ses deux enfants cède au sommeil. Dans le sein de la famille, elle est Laurent, aimé des siens et apprécié de ses collègues de travail. Laurent dit sa fascination pour les dessous féminins, la douceur de la soie qu’on caresse, le plaisir des crèmes odorantes et du maquillage, les vêtements de sa femme avec lesquels il se mire dans la glace. Rien ne transpire dans la vie quotidienne de ce mari aimant et de ce père attentif de son plaisir à se dissimuler dans son jeune âge dans la penderie de sa mère, à ouvrir les tiroirs des commodes pour s’imprégner des dessous féminins. Un week-end cependant, son épouse lui annonce une visite à sa mère avec les enfants – déjà adolescents. Pour Laurent, ce sont quelques jours de liberté qui s’annoncent. Mais ce n’était qu’un stratagème de Solange pour éprouver la fidélité de son mari. Le pot aux roses est découvert, les répercussions sur la famille incommensurables. Cette « officialisation » conduira Laurent à assumer la part de lui-même qu'il masquait soigneusement.
Délicatesse et demi-teintes
Loin de brandir un étendard vindicatif et militant à coups de slogans préfabriqués, l’auteur nous fait entrer dans la peau du personnage de Laurent, dans ses atermoiements et ses hésitations. Il oscille entre doutes et certitudes avant de toucher à l’intérieur de l’être et d’assumer jusqu’au bout sa féminité, sans pour autant renier sa famille. On le voit chez le psy, tentant sans y parvenir de recoller les morceaux d’une masculinité en miettes, on le montre confronté à son entourage lorsqu’il décide de lever le voile. Il-elle dit ses difficultés, pas seulement dans ce qu’il lit dans le regard des autres, mais par rapport à lui-même, à sa définition en tant qu’individu genré. Son habit de lumière tout en paillettes ne le transforme pas en drag queen extravertie et fantasque – il le larguera, une fois sa métamorphose effectuée. S’il épouse la gestuelle ondulante des femmes, il conserve sa voix d’homme. A cheval entre deux mondes, il ne l’est pas en vertu d’une prise de position mais de sa nature, de son sentiment intime d’être femme. Dans cette trame de la vie ordinaire, qui fait penser au cinéma d'Almodóvar sans les excès et la flamboyance baroque, il est terriblement humain, fragile et touchant et Sébastien Dejours le porte avec beaucoup de sensibilité. Au-delà des poncifs et des clichés, il fait percevoir la difficulté pour un transgenre d’assumer cette révolution intérieure aussi bien dans la sphère de l’intime que dans la vie sociale. Un plaidoyer pour la différence et l’acceptation de soi infiniment efficace et impressionnant…
Point cardinal de Léonor de Récondo (Sabine Wespieser Editeur)
Adaptation scénique, conception et jeu : Sébastien Desjours
Collaboration artistique Claire Chastel et Bénédicte Rochas. Scénographie et costumes Anne Lezervant. Collaboration à la scénographie Quentin Paulhiac. Lumières & création musicale Olivier Maignan. Création son Gildas Mercier.
Du 1er au 30 septembre 2021
Du mercredi au samedi à 19h15, le dimanche à 15h
Théâtre de Belleville - 16, Passage Piver, Paris XIe
Tél. 01 48 06 72 34. Site : www.theatredebelleville.com