5 Janvier 2021
Entre théâtre et cabaret, ce joli spectacle fait remonter à la surface la mémoire des années 1970 et suivantes avec un bonheur et une jubilation communicatifs.
Un violoniste pénètre sur scène, bientôt suivi par une femme portant une valise. Cette valise, ce sont les souvenirs qu’elle trimballe avec elle. Celles de son enfance et de son apprentissage de la scène, car elle est comédienne. Elle sort une carte postale. En voix off, on retrouve l’enfant qu’elle était. Elle raconte à ses parents ses premières émotions de colonie de vacances, où pour la première fois, elle joue et improvise. Un choc, une déclaration d’amour au théâtre qui ne se démentira plus et la mènera sur les bancs des ateliers du théâtre des Quartiers d’Ivry – que dirige alors Antoine Vitez – avant de rejoindre, en fin de parcours, le Conservatoire de Paris.
Un récit à la première personne
Mon Âge d’or, c’est d’abord une évocation très personnelle. Celle de Nathalie Akoun qui conte son engouement remontant à l’enfance pour le théâtre. S’y mêle son univers de l’époque, inséparable pour elle de l’histoire de sa famille : des juifs pieds-noirs qui apportent en France dans leurs bagages leur double culture, le territoire interdit que constitue le cabinet de papa que les enfants réinvestissent une fois le dernier patient parti, la fréquentation assidue du théâtre par ses parents, qui emmènent ensuite leurs enfants voir ce qu’ils ont aimé – Vitez, Mnouchkine, Jean-Pierre Vincent. Dans son univers bigarré, on trouve les grands-parents, les airs à la mode qu’on fredonne ou entonne à tue-tête, les copines, les complicités – et la déflagration des amours. Elle rêve devant les affiches de Michel Fugain et de son Big Bazar, arbore un petit gilet sans manche et se coiffe d’une casquette crânement juchée de traviole, à la Gavroche, pour évoquer Renaud. Elle s’enthousiasme devant ces artistes chevelus et habillés tout en couleurs ou fait sa révolution à la Fête de l’Huma, la tête ceinte d’un foulard indien qui devient chevelure, traîne ou crinière.
La passion du théâtre
Nathalie Akoun évoque sa passion pour les saltimbanques, l’attrait irrésistible des tréteaux, les cours qu’elle sèche pour répéter ses scènes. Elle fait revivre les ateliers théâtre des Quartiers d’Ivry que fréquentent amateurs comme apprentis comédiens et le délicieux accent grec de Giorgios Sevastikoglou qui anime les séances, ses angoisses dans l’attente des résultats du concours du Conservatoire. Elle fait partager son émerveillement de spectatrice devant l’Âge d’or monté par Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie, un lieu magique où s’élabore une autre manière de faire du théâtre et de l’inscrire dans la vie, et sa fascination devant la chute interminable de Philippe Caubère dans le spectacle, qui s’effectue sans quitter le sol. Un univers de l’artifice qui constitue l’essence du théâtre et dans lequel on plonge comme s’il était réalité. Et le théâtre est bien là, dans ce transgenre mi-chanté mi-joué, quand le piano demi-queue qui trône sur la scène devient chambre de jeune fille, lit, table ou bar, ou qu’un tabouret haut, qui change de couleur au fil du spectacle, matérialise le temps qui passe.
En musique et chansons
Le théâtre et la vie qui s’agite en sous-sol sont inséparables des chansons qui traversent l’évocation et en forment le soubassement. Refrains de toujours ou presque comme le Saint-Germain-des-Prés de Guy Béart ou les Trois petites notes de musique de Georges Delerue et Henri Colpi, références à l’époque comme les chansons de Maxime Leforestier-Jean-Pierre Kermoa (Fontenay-aux-Roses) ou de Julien Clerc-Etienne Roda-Gil (Jouez violons, sonnez crécelles), ou mises en situation par rapport au récit (le Déserteur à la Fête de l’Huma, Un petit poisson, un petit oiseau à la saison des amours ou Madame Nostalgie quand il est question du temps qui passe), la musique fait escorte à la remontée des souvenirs. On passe de la parole au chant sans crier gare et a capella ou en compagnie de Vincent Leterme au piano et de Laurent Valero, poly-instrumentiste dont le violon charrie des rengaines de toujours. Plus que des accompagnateurs de qualité, ils sont de talentueux complices, ponctuant une phrase d’un embryon d’accord, accompagnant un déplacement ou une transition, rythmant l’action. Des compères amusés aux figures ravies qui contribuent à faire de cette balade théâtrale au temps jadis (pas si éloigné) un souvenir heureux, plein d’humour et de bonne humeur. Et lorsque d’aventure la voix se tord un peu, qu’elle s’enraye car la marche est trop haute, cela n’a guère d’importance. La dynamique est là, la puissance de l’évocation et la joie aussi… Le théâtre, une fois encore…
Mon âge d’or
Écrit, chanté et interprété par Natalie Akoun
Piano Vincent Leterme. Violon Laurent Valero
Mise en scène Olivier Cruveiller
Du 9 octobre 2020 au 25 janvier 2021, les vendredis et samedis à 19h
Théâtre Les Rendez-vous d’ailleurs – 109, rue des Haies – 75020 Paris
Rés. 01 40 09 15 37. Site : www.lesrendezvousdailleurs.com
Du 28 janvier au 21 février 2021. Du 28 au 31 janvier, jeu.-sam. à 19h30, le sam. à 17h, dim. à 16h. Du 4 au 21 février, jeu.-sam. à 20h30, sam. à 17h, dim. à 16h.
Théâtre de l’Epée de bois – Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre – 75012 Paris
Rés. 01 48 08 39 74. Site : https://www.epeedebois.com/un-spectacle/mon-age-dor/