26 Septembre 2020
Le Studio-théâtre de Vitry et l’Echangeur de Bagnolet présentent l’étonnante rêverie d’un piéton d’exception qui fut l’un des journalistes vedettes du New Yorker : Joseph Mitchell.
« Au cours de mon temps, j’ai visité et j’ai traîné dans chaque quartier parmi les centaines de quartiers dont cette ville est faite, et par ville, j’entends la ville entière – Manhattan, Brooklyn, le Bronx, Queens et Richmond », écrit Joseph Mitchell. Promeneur sans but, collectionneur de lieux compulsif, accumulateur obstiné d’objets qu’il range dans l’armoire de sa mémoire et ressort un à un dans des énumérations hypnotiques où la musique des mots ouvre sur des horizons insoupçonnés, tel est Joseph Mitchell, cette légende du journalisme américain. Entre une galerie de portraits du marché aux poissons de Fulton Street, les bas-fonds new-yorkais durant la Grande Dépression, les bars clandestins des quais ou les salons de poker hantés par les immigrés, il se plonge dans un inframonde de sans grade dont il livre un étonnant portrait.
Des Mémoires inachevés
A partir des années 1960, et pendant les trente-et-une dernières années de sa vie, Mitchell, Bartleby moderne dont la plume se serait tarie, cesse de publier. « Il se rendait tous les matins au journal, accrochait à la patère manteau et chapeau, s'installait à son bureau, assemblait ses notes et tapait à la machine, mais pourtant ne publiait rien », rapporte Thomas Kunkel dans une biographie. Il poursuit néanmoins toute sa vie le projet de rédiger des Mémoires qui ne furent jamais achevés, un ensemble de fragments qui plongent aussi bien dans son enfance et ses jeux, là-bas, quelque part en Caroline du Sud, à Fairmont, au milieu des plantations de tabac et de coton et sur les bords de la rivière et des canaux qu’il explorera en grimpant aux arbres ou en suivant les clôtures, que dans les correspondances qu’il établit sur la transformation des lieux, en particulier ces églises – de toutes confessions – qu’il hante sans esprit religieux. Dans le troisième et dernier chapitre de son projet autobiographique inachevé, il explique qu’à l’automne 1968, le 4 octobre exactement – car Joseph Mitchell est toujours d’une précision méticuleuse qui vise à l’obsession – au réveil d’un cauchemar, il a commencé à vivre dans le passé.
Un style unique aux inflexions proustiennes
Street Life rassemble les premiers chapitres de ces Mémoires inaboutis. Le premier paragraphe forme une longue phrase qui dessine la ville des perspectives du Bronx à la pointe de la presqu’île, du nord au sud. La précision clinique avec laquelle le parcours s’établit et l’interminable errance que la phrase établit est fascinante. Le narrateur prend la route de son travail et s’égare en chemin, happé par les ivrognes solitaires et les vendeurs de drogue. Il s'installe dans le métro, n’importe quel métro, et dans le bus, n’importe quel bus, et suit la ligne jusqu’au bout. Son regard s’arrête sur des détails. Une sculpture de pierre conduit à une autre sculpture de pierre, un décor en fonte à un autre décor en fonte. On passe insensiblement d’un champ sémantique à un autre, d'une impression à l'autre, bercé par le mouvement de cette langue qui mâche les mots, les enfile par couleurs, par nuances, par formes.
Un texte confronté à sa mise en scène
François Tizon, qui en est le traducteur, ne cherche pas à « jouer » le texte. Il le restitue. Si la première partie du spectacle accompagne cette errance verbale d’images, parfois en décalage et parfois en illustration de la chose dite – elles ne sont de toute façon qu’un écho, déformé par la mémoire, une ombre qui remonte au jour – on se retrouve peu à peu, insensiblement devant la parole nue que seuls la voix et le corps du narrateur transmettent. Avec une économie de gestes et pour tout accessoire une chaise, François Tizon nous introduit dans cet univers de langage. Il rend perceptibles l’inventaire à la Prévert de Mitchell, son armoire à mots qui déclenchent un imaginaire, son accumulation de bribes et de petits rien qui font sens, sa densité minimaliste et la substance dont elle est issue. Comme si on tirait un fil et que tout vienne avec…
Street Life. Texte de Joseph Mitchell
Traduction, mise en scène et interprétation : Francois Tizon
Film (première partie) : Raymonde Couvreu et Francois Tizon. Création vidéo et régies : Stéphane Cousot. Scénographie : Anais Heureaux. Costume : Elise Garraud. Lumière : Diane Guérin. Son : Benoist Bouvot. Collaboration artistique : Eric Didry et Pascal Kirsch
Studio-théâtre de Vitry
Vendredi 25 septembre 2020 à 20h, samedi 26 à 18h, dimanche 27 à 16h, lundi 28 à 20h
Réservations : 01 46 81 75 50 - contact@studiotheatre.fr
En raison de travaux sur le RER C, le Studio-théâtre met en place une navette le samedi 26 et le dimanche 27 septembre au départ de la Gare de Lyon.
Une navette retour est également prévue après le spectacle.
Gratuit sur réservation au 01.46.81.75.50 ou à contact@studiotheatre.fr
Théâtre de L'Echangeur de Bagnolet
Du mercredi 30 septembre au mardi 6 octobre (sauf dimanche) à 20h30, et le mardi 6 à 16h
Réservations : 01 43 62 71 20 - info@lechangeur.org