11 Septembre 2020
Une grande fraîcheur et une cocasserie proches du nonsense caractérisent cette nouvelle de Gogol qui entraîne le spectateur dans les méandres de la société pétersbourgeoise.
Lorsque le major Kovalev s’éveille un beau jour privé de nez, c’est la panique. Comment faire sa demande en mariage à la très séduisante et volcanique Alexandrine qui le presse de convoler ? Même panique chez le Barbier que sa femme tyrannise lorsqu’il découvre, dans le pain de son petit déjeuner, un appendice nasal qui n’a rien à y faire. Dès lors, la voie est ouverte. Le premier va chercher désespérément à retrouver son prolongement naturel, l’autre à s’en débarrasser. D’une étape de la quête à l’autre et voilà le nez grossissant progressivement, doté d’une vie propre, métamorphosé en séducteur-conseiller d’Etat qui court les filles jusqu’à engrosser Alexandrine tandis que Kovalev se trouve entraîné à sa recherche dans les méandres d’une administration policière tatillonne où la paperasse importe plus que le travail d’investigation et livré entre les pattes d’un médecin comme il se doit inefficace.
Une comédie sociale sous des dehors loufoques
Ecrite entre 1832 et 1835, la nouvelle, d’abord refusée, est publiée avec le soutien d’Alexandre Pouchkine. Il faut dire que l’argument a de quoi défriser : une histoire sans nez ni trompette, enlevée à la diable, où l’invraisemblance peut paraître la norme et le fil conducteur, où l’absurdité semble gouverner les moindres comportements. Dans cette ville animée qu’est Saint-Pétersbourg, personne ne se soucie de cet appendice insolite qui se promène librement sinon les deux protagonistes – le fonctionnaire et le barbier. Chacun poursuit sa propre marotte et la présence du nez ne les perturbe pas le moins du monde. Mais sous les dehors du grotesque et les situations cocasses pointe la critique sociale et le sarcasme : souci du qu’en dira-t-on, autosuffisance, bassesse, abus de supériorité, obséquiosité, inefficacité, obsession sexuelle… Gogol travaillait lui-même dans un ministère, il était aux premières loges pour observer les travers de ses semblables qu’il ne pouvait critiquer, bien sûr, ouvertement. Le choix, tirant sur la fantasmagorie, de la farce de grosse ficelle et sous des dehors absurdes, était plus « acceptable », quoique « sale et triviale ».
Une mise en scène enlevée et efficace
Partiellement récrite en puisant inspiration dans d’autres œuvres de l’auteur, la nouvelle devenue pièce de théâtre est menée tambour battant sur le chemin de la loufoquerie, accompagnée et rythmée par une alternance de musique de foire et d’airs romantiques au clavecin et à l’orgue. Ce polar comique autour d’un nez à pattes, à la limite du fantastique, est servi par des comédiens qui s’amusent en même temps nous. Entre Kovalev qui se hausse du jabot en alléguant ses relations, le barbier peureux qui tremble devant sa femme, Alexandrine qui joue les jeunes premières enamourées avides de sexe et ce nez sans vergogne qui farfouille aux endroits que la morale ne saurait voir, cette galerie de petits travers a l’allure réjouissante d’un pied de nez à tous les nez au milieu de la figure.
Le Nez d’après Nicolaï Gogol.
Adaptation et mise en scène : Ronan Rivière
Musique Léon Bailly. Scénographie Antoine Milian. Costumes
Corinne Rossi. Lumière Marc Augustin-Viguier.
Avec : Laura Chetrit (Alexandrine), Michaël Giorno-Cohen (Le Barbier), Ronan Rivière (Le Nez, Le Policier), Jérôme Rodriguez (Kovalev), Jean-Benoît Terral (Le médecin, Michka), Amélie Vignaux (Prascovia) et au clavecin et orgue Olivier Mazal
Théâtre 13, 103A, boulevard Auguste Blanqui – 75013 Paris
Du 8 septembre au 11 octobre 2020.
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h.
Tél : 01 45 88 62 22. Site : www.theatre13.com