7 Juin 2020
Il a suffi qu’on permette aux bistros de rouvrir, jusqu’à 22 heures, pour que par la porte entrouverte s’engouffrent les débordements, au-delà des limites fixées. Les terrasses se sont répandues à la vitesse de la lumière et étendues bien au-delà des limites admises. Quant aux clients et aux passants, quelques-uns gardent encore les distances nécessaires, mais un joyeux foutoir, complètement non maîtrisé et plein de risques a succédé à l’enfermement contraint et encadré. Et avec lui revient en force ce qu’on pensait remisé aux oubliettes : une humanité pollueuse indifférente aux dégâts qu’elle cause…
Mesure-t-on l’espèce humaine à l’étendue de ses ordures ?
Pauvre humanité que celle qui, sitôt retrouvé l’air libre, s’empresse d’abandonner ses chiures de papiers sales, ses cadavres de canettes de bière, ses flaques de débris de repas dans la nature qui respirait si bien sans elle. La liberté n’a-t-elle pour corollaire que les mépris des autres et de l’environnement ? Il y a de quoi se mettre en colère, de quoi désespérer des hommes. L’humanité se mesure-t-elle à la quantité de merde qu’elle laisse derrière elle ? Jadis les hommes désiraient se survivre en laissant derrière eux des monuments, des temples, des œuvres d’art, des reliefs, des sommets qui exigeaient l’effort de s’y hisser, serait-ce pour contempler une mer de nuages. Aujourd’hui c’est dans le marigot d’une pollution matérielle et mentale qu’ils croupissent… Pauvre société que celle qui a besoin du flic et des amendes pour se respecter et respecter les autres. Et dure leçon sur la nature de la démocratie et sur ce qu’elle devrait être…
Naître du chaos
Le modèle du désordre vient-il des origines ? Car c’est dans le chaos et l’affrontement que se forme le monde. Notre Système solaire pourrait avoir été issu d’une collision de notre galaxie, la Voie lactée, avec sa galaxie naine satellite, la galaxie du Sagittaire. Ce n’est pas tout neuf : 5,7 milliards d’années. La collision aurait provoqué l’effondrement d’un nuage stellaire moléculaire et poussiéreux qui aurait donné naissance au Système solaire – l’image de la poussière formatrice nous rappelle quelque chose. Il y a quelque chose d’infiniment réconfortant dans la pensée de cette image du chaos créateur, présente d’ailleurs dans l’essentiel des récits de création du monde. Au départ n’existe qu’un chaos indifférencié d’où naissent deux éléments, qui se combinent ensuite et se différencient pour créer le monde et la vie – une forme du monde binaire, comme la manière dont l’homme a conçu la logique informatique. Comme si les hommes des temps anciens, sans avoir les outils mathématiques et technologiques dont nous disposons, avaient une certaine prescience – ou une mémoire – de cette histoire émergée du fond des âges. Ou bien comme si déjà l’homme faisait le monde à son image, le formait à sa manière de percevoir ce qui l’entoure. Si on a cru, faute de la comprendre, cette histoire déterminée par une volonté – divine –,des incohérences sont bien vite apparues dans le modèle de la création, posant la question des motifs et du fonctionnement de la divinité. Les sociétés polythéistes pouvaient camoufler le phénomène sous les querelles des dieux et l’Olympe est un joyeux capharnaüm où chacun tire à hue et à dia. Mais le monothéisme a exposé le phénomène en pleine lumière et donné lieu à incessants débats et exégèses.
D’horloge, de roue, de dés et de jeu d’échecs
De même que parmi les millions de scénarios possibles, la collision des deux galaxies d’où nous sommes issus aurait pu produire quantité d’effets différents pour ce qui nous concerne, de même notre vision du monde a vu s’envoler ses belles certitudes et dévoilé un champ ouvert à des spéculations philosophiques insolites, parfois stupéfiantes. Notre monde était-il le fruit du hasard ou d’un déterminisme ? Le coup de dés distribuant le jeu, la Roue de la Fortune isolant, aléatoirement, une réponse, la métaphore d’un Dieu jouant aux échecs – contre qui, d’ailleurs ? contre lui-même dans une démarche complètement schizophrène ? –, ou encore la mécanique horlogère conduisant sans coup férir d’un point A à un point B, fût-ce avec en postulant un point de départ insolite dont les résultats sont à la même aune, ont fait tourner autour de Leibniz et de l’écriture « poétique » de Galilée, par exemple, les écrits de Foucault, Deleuze et Guattari pour la pensée, Calvino, Perec et Borges pour la littérature – mais aussi Hesse et bien d’autres. Le cosmos est-il une racine engendrant une pensée binaire ou un chaosmos-radicelle poussant ses rhizomes dans de multiples directions, avec des bifurcations entre des mondes « possibles » qui tisseraient avec les mêmes règles un ensemble de mondes incompossibles mais non moins existants ? Dans la construction latente d’un désordre patent, dans le mouvement dialectique qui lie la liberté poétique à la contrainte, dans la catégorisation maniaque que le hasard fait naître, il y a de quoi se perdre – pour se trouver.
On relira pour ce faire les délicieuses Villes invisibles d’Italo Calvino où Kubilai Khan décide de représenter les villes que Marco Polo lui dépeint sur la matrice d’un jeu d’échecs. L’ordre des têtes de chapitre, mathématiquement ordonné, est trompeur comme la voie erronée dans laquelle s’engage le Khan en élaborant la grammaire des villes sur son échiquier. L’ordre du discours de Michel Foucault nous renverra à notre angoisse devant l’existence d’un hasard sur lequel nous n’avons pas de prise, à cette inquiétude viscérale qui se manifeste par le refus d’un ordonnancement aléatoire du monde et par le besoin d’un contrôle social et d’un discours maîtrisé. Samuel Beckett, avec Murphy et sa culture de l’absurde ontologique, nous entraînera sur les voies d’un chaos-néant dans lequel s’engloutissent non seulement les êtres et les choses, mais aussi les concepts – Murphy trouve chez les aliénés, avec lesquels il se sent en harmonie, sa raison de ne pas être. Quant à Borges, il évoque dans le Jardin aux sentiers qui bifurquent, à travers le récit d’un sinologue, Stephen Albert, l’histoire d’un gouverneur du Yunnan qui abandonna toutes ses fonctions pour se consacrer à la création d’un labyrinthe de papier et d’encre, un roman éponyme, ce fameux Jardin, « chaotique », où « tous les dénouements se produisent » et où chacun est le point de départ d’autres bifurcations…
De dé-rive en dérives de la pensée a surgi un Antonin Artaud inattendu, loin des crachats incendiaires de son théâtre pestiféré…
Antonin Artaud, le Navire mystique
Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus,
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de Bible et de Cantiques.
Et ce ne sera pas la Grecque bucolique
Qui doucement jouera parmi les arbres nus ;
Et le Navire Saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.
Il ne sait pas les feux des havres de la terre,
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’Infini.
Le bout de son beaupré plonge dans le mystère ;
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’Argent mystique et pur de l’étoile polaire.
L’homme qui rêvait d’empaqueter l’Arc de triomphe de l’Étoile
Christo est décédé le 31 mai dernier. Le plasticien qui avait emballé le Pont-Neuf en 1985 devait s’emparer de l’Arc de triomphe en septembre 2020 un projet reporté en raison de l’épidémie de coronavirus – il semblerait que le projet soit réalisé en 2021 de manière posthume. Inséparable de sa complice de toujours, Jeanne-Claude Denat de Guillebon, Christo Vladimiroff Javacheff, Bulgare « Macédonien » d’origine tchèque, tel qu’il se qualifie, se distingue dès son jeune âge par son caractère contestataire. Faisant fi des diktats communistes en vigueur, il représente, par exemple, des paysans au repos, ce qui l’oblige à fuir le « paradis » soviétique. Il gagne Paris et réalise dans les années 1960 des peintures abstraites et des empaquetages d’objets (bidons, tables, cartons, etc.) et de modèles vivants dans la toile et le plastique – l’humanité et ses reliefs transformés en reliques de produits de consommation. Le parcours commun des deux artistes les mènevers des projets monumentaux tels le Iron Curtain (1962), un mur de barils de pétrole érigé rue Visconti en protestation à l’édification du Mur de Berlin, le Valley Curtain, un rideau safran qui barre une vallée entière du Colorado (1972) ou le spectaculaire encerclement de 11 îlots artificiels de la baie Biscaye à Miami (1980-1983) par du tissu d’un rose fuchsia qui évoque les ice-creams roses et l’ambiance sirupeuse des vacances. Outre le Pont-Neuf, on se souviendra de leur emballage en polypropylène recouvert d’aluminium du Reichstag en 1995, brocardé à l’époque par Helmut Kohl qui y vit une atteinte à la dignité du pays. Une exposition leur rendra hommage à partir du 1er juillet au Centre Pompidou. Elle portera sur la période parisienne du couple, de 1958 à 1964.
Josep, une incursion dessinée dans une vie de dessinateur à Cannes
On suivra la sortie de Josep, un film du dessinateur de presse Aurel présenté dans la sélection du Festival de Cannes. Le film, qualifié de « film dessiné » par son auteur, raconte l’histoire de Josep Bartolí, un dessinateur de presse catalan. Celui-ci fonde, en 1936, le syndicat des dessinateurs, devient commissaire du POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste) et combat le franquisme pendant la Guerre d’Espagne. Arrivé en France avec des centaines de milliers d’autres réfugiés en 1939, il est incarcéré dans un camp du Sud de la France, s’échappe et gagne le Mexique. Il devient l’amant de Frida Kahlo puis s’installe aux États-Unis où il rencontre Rothko, Pollock, Kline et De Kooning. Il dessine pour Holliday et le Saturday Evening Post. Le film se concentre sur la partie de sa vie qui se déroule dans les camps français, avec ses dessins et témoignages de l’époque.
Josep est un film dessiné. Il s’appuie en grande partie sur des techniques de dessin non animé, qui ne reconstituent pas toutes les étapes du mouvement. Il alterne les séquences contemporaines avec les flashes-back de la vie dans les camps dont l’évocation n’est animée qu’à minima. Pour Aurel, cette discontinuité reflète la mémoire d’un homme de 80 ans. Comme elle, elle n’est pas forcément fluide, mais plutôt une série d’images, de réminiscences. Il fait pénétrer le spectateur dans la tête de Josep Bartolí tout en rendant hommage, en tant que dessinateur, à un autre dessinateur. Voilà qui laisse augurer, au-delà de l’intérêt de l’histoire, d’un travail plastique tout à fait intéressant…
Dis-moi à quoi ressemblent tes mitochondries et je te dirai qui tu es
« Mon royaume pour un cheval ! » est une citation de Shakespeare que chacun a mémorisée même sans avoir lu ou vu le Richard III du dramaturge et poète qui a créé le plus beau monument du théâtre qu’il nous ait été donné de connaître. Mais l’ombre du doute planait sur la dernière demeure du personnage historique qui l’inspira, imaginé par le divin William comme un monstre ne reculant devant aucun expédient pour éliminer ses rivaux et s’emparer du trône. La chute est à la mesure de l’ascension du monarque et c’est sous un parking qu’on pense avoir retrouvé sa dépouille. Mais comment s’assurer qu’il s’agissait bien de lui ? Les analyses ADN comparant les gènes retrouvés avec ceux des descendants sont souvent imparfaits tant le nombre de croisements et de mélanges a brouillé les cartes. Par chance, nous hébergeons dans nos cellules de petits éléments qui possèdent leur ADN propre : les mitochondries, définies par les savants comme « organites cellulaires eucaryotes » (ce qui veut dire qu’ils possèdent un noyau structuré). Les mitochondries ont un privilège : elles possèdent leur propre ADN et on le retrouve d’une génération à l’autre, mais uniquement via une transmission féminine. Richard III et sa sœur ont le même ADN mitochondrial. D’une femme à l’autre et de mère à fille, on peut retracer la filiation et banco ! on peut faire la preuve que l’exilé du parking est le roi détrôné… Une fin bien digne dans sa décrépitude et son misérabilisme de ce personnage flamboyant dans le crime tombé d’aussi haut qu’il s’était élevé. Et un motif de réflexion sur l’existence possible d’un rapport possible entre sciences et mythes, qui renverrait aux fondements des cultures matrilinéaires et aux déesses primitives qui peuplent nombre d’anciens mythes.
Aussi encombrant mort que vivant
En passant d’un mort à l’autre, les anciens Égyptiens considéraient que l’atteinte à l’image du défunt avait des répercussions sur sa vie dans l’au-delà. On martela le cartouche d’Hatshepsout, la femme-pharaon, pour la faire disparaître des mémoires et lui dénier toute existence dans l’au-delà. Les Autrichiens font-ils de même en transformant la maison d’Hitler en poste de police ? Le gouvernement autrichien a mené une longue bataille judiciaire pour s'assurer la propriété de la maison natale « d’un dictateur et d’un meurtrier de masse » (selon les termes du ministre autrichien de l’Intérieur, Karl Nehammer), située dans le nord du pays. Il s’agissait d'empêcher que l'endroit où est né Adolf Hitler le 20 avril 1889 ne devienne un lieu de pèlerinage néonazi. À sa démolition ou à sa transformation radicale le gouvernement autrichien a préféré une neutralisation a minima avec un agrandissement et une nouvelle toiture. Cela suffira-t-il à décourager les nostalgiques plutôt nombreux dans la belle Autriche qui a perdu son empire au profit de l’Allemagne ?
Voyage autour de ma chambre.
Pierre Janin, dans la rubrique « Livres », a fait partager cette semaine son plaisir de lecteur d’ Une histoire du monde sans sortir de chez moi de Bill Bryson, publié voici quelques années, une errance au hasard des pièces d’un monastère qui parle de tout et de rien, et où l’esprit divague non dans le sens de prendre l’esprit mais d’aller au hasard de la promenade. http://www.arts-chipels.fr/2020/06/bill-bryson-une-histoire-du-monde-sans-sortir-de-chez-moi.un-savoureux-plaisir-pour-confines-mais-pour-deconfines-aussi.html
Cela me fait revenir au livre de Xavier de Maistre, Voyage autour de ma chambre, écrit en 1794. L’auteur, un jeune officier érudit, se trouve assigné à résidence dans la citadelle de Turin à la suite d’un duel. Pour résister à l’ennui, il décrit avec humour et légèreté sa situation d’enfermement, s’amusant de l’encombrement d’un fauteuil disposé dans la droite ligne du parcours vers la porte ou se gaussant du décor plutôt spartiate de sa chambre, qui s’écarte quelque peu de la magnificence des salles de bal qu’il est accoutumé de fréquenter. Mais au-delà des petits faits et objets insignifiants qui fournissent leur matière dérisoire aux courts textes qui composent le Voyage, publié à l’insu de l’auteur par son frère, c’est à une véritable promenade intérieure, un appel à la méditation en quarante-deux épisodes et autant de nuits que se livre ce jeune auteur de vingt-sept ans.
Par-delà l’appel à l’imagination que constitue le portrait d’une femme autrefois désirée dont le cadre trône sur un meuble, ou des « leçons d’humanité » que lui prodiguent, dit-il, son domestique et son chien, de Maistre nous convie à partager sa culture et les engouements de son temps. Il disserte sur la musique de son époque, partage son admiration pour Raphaël, imagine en rêve un dialogue entre Platon, Périclès et Aspasie, la courtisane compagne de Périclès. Il se passionne aussi pour le Paradis perdu de Milton, cette « Divine Comédie du puritanisme » qui décrit la chute d’Adam et d’Ève. Ce n’est pas par hasard que le poète qui se fait voyant ait été aveugle quand il dicte ce texte – Chateaubriand en fera une traduction en 1836, signant sa relation avec le romantisme. « Ce Voyage autour de ma chambre se veut ainsi, de manière ironique, un manuel pour apprendre à faire voyager son âme toute seule, pour ainsi "doubler son existence" », affirmera-t-il. On peut récupérer sur la toile ce petit livre, qui se lit rapidement (voir liens ci-dessous). Je ne résiste pas à vous livrer le contenu d’une de ses nuits de veille, « pioché » au hasard de la lecture. Ses références en disent long sur l’esprit du temps…
CHAPITRE XXXVII.
Depuis l’expédition des Argonautes jusqu’à l’assemblée des Notables, depuis le fin fond des enfers jusqu’à la dernière étoile fixe au delà de la voie lactée, jusqu’aux confins de l’univers, jusqu’aux portes du chaos, voilà le vaste champ où je me promène en long et en large, et tout à loisir ; car le temps ne me manque pas plus que l’espace. C’est là que je transporte mon existence, à la suite d’Homère, de Milton, de Virgile, d’Ossian, etc.
Tous les événements qui ont lieu entre ces deux époques, tous les pays, tous les mondes et tous les êtres qui ont existé entre ces deux termes, tout cela est à moi, tout cela m’appartient aussi bien, aussi légitimement que les vaisseaux qui entraient dans le Pirée appartenaient à un certain Athénien.
J’aime surtout les poëtes qui me transportent dans la plus haute antiquité : la mort de l’ambitieux Agamemnon, les fureurs d’Oreste et toute l’histoire tragique de la famille des Atrées, persécutée par le ciel, m’inspirent une terreur que les événements modernes ne sauraient faire naître en moi.
Voilà l’urne fatale qui contient les cendres d’Oreste. Qui ne frémirait à cet aspect ? Électre, malheureuse sœur ! apaise-toi : c’est Oreste lui-même qui apporte l’urne, et ces cendres sont celles de ses ennemis.
On ne retrouve plus maintenant de rivages semblables à ceux du Xanthe ou du Scamandre ; — on ne voit plus de plaines comme celles de l’Hespérie ou de l’Arcadie. Où sont aujourd’hui les îles de Lemnos ou de Crète ? Où est le fameux labyrinthe ? Où est le rocher qu’Ariane délaissée arrosait de ses larmes ? — On ne voit plus de Thésées, encore moins d’Hercules ; les hommes et même les héros d’aujourd’hui sont des pygmées.
Lorsque je veux me donner ensuite une scène d’enthousiasme, et jouir de toutes les forces de mon imagination, je m’attache hardiment aux plis de la robe flottante du sublime aveugle d’Albion au moment où il s’élance dans le ciel, et qu’il ose approcher du trône de l’Éternel. — Quelle muse a pu le soutenir à cette hauteur, où nul homme avant lui n’avait osé porter ses regards ? — De l’éblouissant parvis céleste que l’avare Mammon regardait avec des yeux d’envie, je passe avec horreur dans les vastes cavernes du séjour de Satan ; — j’assiste au conseil infernal, je me mêle à la foule des esprits rebelles, et j’écoute leurs discours.
Mais il faut que j’avoue ici une faiblesse que je me suis souvent reprochée.
Je ne puis m’empêcher de prendre un certain intérêt à ce pauvre Satan (je parle du Satan de Milton) depuis qu’il est ainsi précipité du ciel. Tout en blâmant l’opiniâtreté de l’esprit rebelle, j’avoue que la fermeté qu’il montre dans l’excès du malheur et la grandeur de son courage me forcent à l’admiration malgré moi. — Quoique je n’ignore pas les malheurs dérivés de la funeste entreprise qui le conduisit à forcer les portes des enfers pour venir troubler le ménage de nos premiers parents, je ne puis, quoi que je fasse, souhaiter un moment de le voir périr en chemin dans la confusion du chaos. Je crois même que je l’aiderais volontiers, sans la honte qui me retient. Je suis tous ses mouvements, et je trouve autant de plaisir à voyager avec lui que si j’étais en bonne compagnie. J’ai beau réfléchir qu’après tout c’est un diable, qu’il est en chemin pour perdre le genre humain, que c’est un vrai démocrate, non de ceux d’Athènes, mais de Paris, tout cela ne peut me guérir de ma prévention.
Quel vaste projet ! et quelle hardiesse dans l’exécution !
Lorsque les spacieuses et triples portes des enfers s’ouvrirent tout à coup devant lui à deux battants, et que la profonde fosse du néant et de la nuit parut à ses pieds dans toute son horreur, — il parcourut d’un œil intrépide le sombre empire du chaos ; et, sans hésiter, ouvrant ses vastes ailes, qui auraient pu couvrir une armée entière, il se précipita dans l’abîme.
Je le donne en quatre au plus hardi. — Et c’est, selon moi, un des beaux efforts de l’imagination, comme un des plus beaux voyages qui aient jamais été faits, — après le voyage autour de ma chambre.
Édition disponible en ligne sur
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64952479/f24.image.texteImage
Pas de nouvelles, bonnes nouvelles
Roman Cieslewicz est connu en France pour ses affiches réalisées pour le Centre Pompidou (Paris-Berlin, Paris-Moscou, Paris-Paris) mais également pour ses couvertures pop flamboyantes de la collection 10-18. Ce Polonais émigré à Paris en 1963, ancien directeur artistique de Elle et concepteur graphique du magazine d’art contemporain Opus, auteur d’une Mona Lisa habillée à la chinoise comme le Grand Timonier (Mona Mao Tse-Tung), est un des représentants marquants de l’école d’affichistes polonaise qui marqua durablement le paysage de l’affiche. On connaît moins la série qu’il réalise, après une hospitalisation qui le confronte à la violence permanente des images télévisées : Pas de nouvelles, bonnes nouvelles. Il s’y livre à un travail d’« hygiène de la vision ». D’une série d’images issues de captation de l’actualités, accolées entre elles, il tire des photomontages grinçants qui rendent à ces images que nous absorbons quotidiennement de manière passive toute l’horreur qu’elles contiennent. Le trublion graphique révolutionnaire qu’on connaissait a aussi tout de l’homme indigné qui dénonce l’inanité de notre société. Pour plus d’informations :
Les collections photographiques du musée d’Orsay
La décision de créer une collection photographique intervient en 1978. Son ambition est d’abord de témoigner de l'évolution formelle de cet art, fortement influencée par les bouleversements techniques qui modifient en profondeur la pratique photographique. Peu de points communs en effet entre les premières chambres daguerréotypes, encombrantes, d'un maniement complexe et nécessitant de longs temps de pose, et les petits appareils instantanés qui, apparus à la toute fin des années 1880, connaissent immédiatement un succès commercial considérable.
Il s'agit également de recueillir des épreuves anciennes et originales, réalisées par les photographes à partir de leurs négatifs, ou par les éditeurs s'il s'agit d'une édition. Enfin la collection rend compte des liens étroits qui se forgent entre photographie française et anglaise dès l'origine du médium puis de sa diffusion dans de nombreux pays. https://www.musee-orsay.fr/fr/collections/histoire-des-collections/photographie.html
Pour la découverte commentée de l’ensemble des œuvres une à une : les histoires qui leur ont donné naissance ou qui les ont suivies, les secrets de fabrication, les parti-pris… https://www.youtube.com/playlist?list=PLwUa6C-N-kpYxMyuIfPifii0bNuYWQKNw
Alain Blondel à la galerie 24b (24, rue Saint-Roch – 75001 Paris)
À partir du 4 juin sur rendez-vous en présence de l'artiste (Prendre RV)
« Accéder au minuscule, au primordial, en percevoir les formes, les matières. S’y glisser, en ressentir ses états, ses textures, lentement séjourner dans cette nuit rendue à sa lumière. Ainsi effleurer le vivant, en rendant enfin visible les symbioses comme formes complexes et universelles de la nécessité amoureuse. Pour la vie. » Alain Blondel
Pour Alain Blondel, l’art n’est pas séparable de la vie. Aussi voyage-t-il pour s’imprégner du monde. Il arpente l’Afrique, le Moyen-Orient, explorant les techniques comme les supports, avant de se fixer pour retrouver la nature et reprendre le travail en atelier. Goya, Matisse et Cézanne sont pour lui des compagnons de route. L’exposition présente une sélection d’œuvres qui oscillent entre des travaux d’écriture rappelant les runes ou les plaques d’argile sumériennes, où s’inscrit un texte reconnaissable mais énigmatique comme un message crypté à déchiffrer, et une géographie céleste qui évoque des constellations qui hébergeraient oiseaux et paysages.
La Galerie se plie aux contraintes sanitaires en vigueur :
- Pas de vernissage mais des visites sur rendez-vous, séquencées par quart d'heure. Les 250 m2 de la galerie permettent d'accueillir 4 personnes simultanément
- Pour réserver votre visite : https://calendly.com/24b/alain-blondel-symbiotiks
Nouveau regard sur la préhistoire : le MOOC Orange de la semaine
Un voyage dans la préhistoire européenne, au départ des Eyzies, situé au cœur du Paléo-mésolithique, entre 400 000 et 6 000 ans, au temps des chasseurs-cueilleurs le plus souvent nomades.
Des anthropologues, des archéozoologues, des spécialistes du monde pariétal témoignent de leurs découvertes mais aussi de la manière dont ils travaillent et analysent les données recueillies. Ils évoqueront les Néandertaliens et les hommes modernes qui vécurent à cette époque, bien différents des « hommes des cavernes » qu’on a bien voulu y voir. https://mooc-culturels.fondationorange.com/enrol/synopsis/index.php?id=311&utm_source=mailing&utm_medium=mailing-mooc-allo-s2&utm_campaign=mailing-mooc-allo
À l’Opéra de Paris cette semaine
Rigoletto de Verdi, enregistré à l’Opéra Bastille : https://www.france.tv/spectacles-et-culture/1746369-rigoletto-de-verdi-a-l-opera-bastille.html
Les clefs de l’orchestre de Jean-François Zygel – Petrouchka de Stravinsky
Cette série d’émissions qui dévoile des clés de compositions de grandes pièces musicales pour orchestre est tout à fait passionnante. Le talent de pédagogie de Jean-François Zygel y est pour beaucoup, la complicité de l’Orchestre de Radio France aussi. Nous avions déjà signalé dans cette série, la Symphonie n° 41, Jupiter, de Mozart. On peut aussi voir et écouter, entre autres :
Dvořák, Symphonie n° 8 https://www.facebook.com/watch/?v=248124209963285
Stravinsky, le Sacre du printemps
https://www.facebook.com/watch/?v=634863810578842
Debussy, la Mer et Prélude à l’après-midi d’un faune
Sur France musique, concert sans public
À partir du 6 juin, 20h, le chef d’orchestre Kent Nagano dans un programme d’œuvres qui dialoguent entre elles : À la Fanfare de Britten répond le Cantus in memoriam Benjamin Britten de Pärt, également représenté par son explicite Spiegel im Spiegel (Miroir dans le miroir). Deux pages tardives de Richard Strauss sont aussi à l’affiche : le Sextuor de Capriccio, son dernier opéra représenté (1942) et les Métamorphoses, achevées en avril 1945 sous le coup de la dévastation de l’Allemagne. Mais on n’oubliera pas que Strauss est aussi l’auteur de Till Eulenspiegel, qui réunit la chouette et le miroir.
En direct puis en différé sur France Musique et Arte Concert
Spectacles de théâtre, de danse, d’opéra sur france.tv
Sur https://www.france.tv/spectacles-et-culture/theatre-et-danse/toutes-les-videos/
À la Cinémathèque française
Brasil, de Henri-Georges Clouzot (1950), une autofiction documentaire inachevée que Clouzot souhaitait tourner au Brésil à l’occasion de son voyage de noces avec Véra. https://www.cinematheque.fr/henri/film/122297-brasil-henri-georges-clouzot-1950/
À l’Institut culturel italien
Réouverture de la bibliothèque et, à partir du 22 juin, reprise des manifestations culturelles (concerts, conférences, spectacles) dans les jardins de l’hôtel de Galliffet. Du coup, la programmation en ligne s’allège…
Sur le site internet, et les comptes Facebook, Instagram Twitter de l’Institut et sur ses chaînes Viméo et YouTube, mais aussi sur la nouvelle chaîne Issuu pour lire et feuilleter les plus beaux catalogues de l’Institut..
Vendredi 5 juin
Cuisine / À table avec Maria Greco Naccarato : arancini ici
Samedi 6 juin
Théâtre / « Après la bataille » et « Vangelo » (vostf) de Pippo Delbono
voir sur la chaîne Vimeo de l’IIC jusqu’au 30 juin 2020. En collaboration avec la Fondazione Teatro Ert - Emilia Romagna. Toutes les informations ici.
Mardi 9 juin
Anthropologie / Marco Aime : La pandémie, nous et les autres
RAPPEL:
Un souvenir de Paolo Fabbri ici
Nadia Urbinati : Démocratie, peuple, populisme ici
Francesco Filidei présente « L’inondation » ici
Rachele Ferrario 7 artistes italiens à la conquête de Paris ici
#Liberidileggere avec Carlotta Clerici ici
Jusqu’au 13 juin : Teatro Elfo Puccini (Milano) / Choéphores, notes pour une Oréstie italienne d’Eschyle d’après une adaptation de Pier Paolo Pasolini, une pièce d’Elio De Capitani jusqu'au samedi pour voir la pièce cliquer ici.
Jusqu’au 20 juin : Cinéma / Autour de la nuit de la Taranta (Italie, 2001, 53', vostf) de Piero Cannizzaro, un voyage musical au cœur des Pouilles ici