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Arts-chipels.fr

Keigo Mukawa. Une approche sensible résolument personnelle.

Keigo Mukawa. Une approche sensible résolument personnelle.

Ce jeune Japonais révèle, à travers sa musique, les facettes multiples d’une personnalité déjà très affirmée et toute en nuances, qui nous fait voyager loin, sans garde-fou, sur des terres musicales à la fois surprenantes et émerveillantes.

Nous avions déjà découvert les qualités d’interprétation de ce jeune lauréat du concours Hamamatsu lors de deux précédents concerts, en mars 2019 et en janvier 2020, avec des programmes diversifiés allant de Jean-Philippe Rameau à Ravel en passant par Liszt et Rachmaninov (à deux pianos, avec Kyohei Sorita). Il revient avec Jean-Sébastien Bach, Chopin et Rachmaninov (en solitaire, cette fois), qu’il soumet à son insatiable appétit de musique et dont il livre une version qui lui appartient en propre.

Keigo Mukawa. Une approche sensible résolument personnelle.

Une Suite française toute en clarté

Jouer Bach n’a jamais été des plus simples tant la manière de l’interpréter a fait l’objet de longs débats, parfois fratricides. Fallait-il se rapprocher au plus près du son des instruments anciens, le clavecin en l’occurrence, en laissant de côté les possibilités expressives des pianos modernes ? Fallait-il mettre en évidence le jeu complexe des combinaisons comme un exercice mathématique explorant les infinies variations d’une même formule et jouer sans affect ? Fallait-il donner à Bach toute la dimension mystique de son œuvre, ou fallait-il au contraire le tirer du côté du sentiment et donner de lui une interprétation plus « romantique » ? Chaque interprète de Bach, au fil du temps, a apporté sa propre couleur et Keigo Mukawa ne déroge pas à la règle. Avec la précision de son toucher, non exempt d’emballements et de douceur, il livre de la Suite française en sol majeur n° 5 (BWV 816) une version très contrastée entre les passages lents et rapides, les mélodies ouvragées et les airs à danser. Pensif, délicat dans les parties où la dentelle musicale de Bach tisse ses harmonies fines et fragiles, il ralentit le rythme à l’envi, soucieux d’en faire entendre la moindre nuance. Comme si les notes émergeaient des eaux du piano pour s’élever, cristallines, dans l’air léger qui les porte vers les nues. Un sentiment d’élévation rêveuse presque mystique qui nous entraîne ailleurs, très haut.

Keigo Mukawa. Une approche sensible résolument personnelle.

Des oreilles neuves pour Chopin

Étrange morceau que le Boléro en do majeur op. 19 qui surfe entre le mode majeur et le mineur, le sol, le do et le la en s’ouvrant sur trois accords fortissimo d’une grande violence. Tout en contrastes, il laisse le son s’amenuiser dans le lointain, s’évader vers d’autres terres, s’atténuer jusqu’à devenir réminiscence, reflet dans l’eau éphémère et fragile, tandis que revient l’avancée triomphale et martelée qui marque le début. Mais c’est surtout dans la Ballade n° 1 en sol mineur op. 23 qu’on redécouvre la pièce de Chopin dans l’interprétation qu’en livre Keigo Mukawa. Il offre une vision dramatique et émouvante qui passe de la mélancolie la plus saisissante et de la plainte la plus déchirante aux grondements de colère rentrée et à la révolte, sans pathos inutile mais avec une dramatisation qui donne de l’œuvre une lecture « musclée », diversifiée et rebelle autant que séduisante. L’amplitude et la rondeur des liaisons, traversée de ruptures de ton, d’infimes arrêts où l’on retient son souffle donnent à la musique une vie souterraine qui court sans relâche sous l’interprétation.

Keigo Mukawa. Une approche sensible résolument personnelle.

Rachmaninov, mon âme est un paysage choisi…

L’implication du musicien est aussi totale dans les Variations en ré mineur sur un thème de Corelli (op. 42). Ces Variations, reprises d’un thème que Corelli (la Sonate op. 5 n° 12) avait lui-même emprunté à la Follia, une danse probablement d’origine portugaise, dansée en Espagne et connue comme l’un des plus anciens thèmes musicaux européens, sont comme une errance en terres de musique. Composées en 1931, dans une villa très « russe » près de Rambouillet, les Variations sont la seule œuvre « française » du compositeur et la dernière pour piano seul. Les vingt variations qui se succèdent, closes par une coda, forment comme une carte des états d’âme toute en contrastes et en alternances de styles, empruntant parfois au jazz, parfois à l’esthétique romantique. Elles nous conduisent aux frontières des genres, dans un no man’s land qui n’a plus pour cohérence que l’humeur qui les guide et les ramène comme en passant au thème d’origine. Keigo Mukawa en fait son miel. Elles charrient dans son interprétation une nostalgie poignante qui nous transperce.

À l’interprète qui ne renie pas son appartenance à la terre japonaise et revendique le droit de s’écarter de l’enseignement de ses maîtres pour tracer sa route en s’appropriant les diverses voies de sa formation musicale multiculturelle, on ne peut que souhaiter qu’il poursuive son parcours hors des sentiers battus. Pour nous, il est enchantement.

Animato, association soutenue par l’École normale de musique de Paris/Alfred Cortot, la Fondation Zygmunt Zaleski, la Bienvenue française, la Fondation Orpheus (Suisse), la Fondation Seymour Obermer et Yamaha, a pour ambition de faire découvrir les jeunes lauréats des concours internationaux de piano, des jeunes gens qui, par leur maîtrise pianistique et la qualité de leur interprétation, laissent augurer de grandes choses. Comme toutes les associations, elle a besoin de soutien financier. Si ses concerts sont gratuits, une urne est disposée à la sortie pour recevoir les dons. On peut aussi, bien sûr, adhérer à l’association.

www.animato.org

Keigo MUKAWA (Japon)lauréat du Concours Marguerite Long, Paris 2019

Jean-Sébastien bach Suite française n° 5 en sol majeur BWV816

Frédéric Chopin Boléro en do majeur op. 19, Ballade n° 1 en sol mineur op. 23, Nocturne n° 18 en mi majeur op. 62-2

Sergueï Rachmaninov Variations sur un thème de Corelli en ré mineur op. 42

Pour l’écouter : dernier tour du concours Marguerite Long 2019                            https://www.youtube.com/watch?v=bEtlsVRyVJA

Michaël Jarrel, Étude n° 2 (Réminiscences), Jean-Sébastien Bach, Partita n° 2 en ut mineur, BWV 826, Maurice Ravel, Miroirs

Prochain concert : mardi 21 avril 2020 à 20h

Salle Cortot – 78 rue Cardinet – 75017 Paris

Avec : Avery Gagliano (18 ans, Grand Prix du concours Chopin de Miami) et Mackenzie Melemed (Prix Arthur Rubinstein 2018)

Au programme : Chopin, Schumann, Scriabine, Sibelius et Bartók.

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