7 Mars 2020
Le Collège des Bernardins est un lieu architectural d’exception, marqué par l’histoire. Il fait une place de choix à la musique, avec plusieurs concerts par an. Gageons que la trilogie musicale des prochains mois sera aussi passionnante que les autres.
Le programme des prochains mois est en effet alléchant, couvrant une période allant du xviie au xxe siècle : Jean Gilles et André Campra, pour la partie la plus ancienne, le 10 mars ; puis Wagner, Strauss et Mahler, le 2 avril ; et enfin César Franck, Schumann, Stravinsky et Schubert le 28 mai.
Jean Gilles et André Campra
Maître de musique de la cathédrale Saint-Étienne de Toulouse, Jean Gilles (1668-1705) est surtout connu pour un Requiem qui eut une destinée toute particulière. Composé à la demande d’un commanditaire privé dont les héritiers refusèrent de souscrire aux volontés du compositeur qui réclamait plus de musiciens que son chapitre n’en comptait, le Requiem, sans doute la première pièce à adopter une forme concertante, ne fut finalement joué qu’à la mort du compositeur et en son honneur. Les Lamentations du prophète Jérémie qui sont au programme évoquent quant à elles la désolation provoquée par le siège, la prise et la destruction de Jérusalem en 586 avant J-C. À une époque où les compositeurs avaient pour ambition, dans un souci d'accorder une place plus importante aux sentiments, de réaliser une synthèse entre la monodie italienne du xviie siècle et l’air de cour, Jean Gilles, qui s’inspire comme nombre de ses contemporains de la musique d’André Campra, se distingue en adoptant la forme du grand motet versaillais, avec quatre chanteurs solistes, un chœur à quatre voix et un orchestre.
Quant à André Campra, qui fut maître de musique de Notre-Dame de Paris après l’avoir été à Toulon, Arles et Toulouse, sa tonsure ne l’empêchera pas de composer de nombreuses œuvres profanes, notamment dans le domaine de l’opéra-ballet dont il fut le créateur. Composé en 1723, son Requiem demeure l’une des œuvres majeures de la musique religieuse française du xviiie siècle. Il a cette particularité de ne retenir du texte sacré que les parties qui orientent la messe vers la paix et la clémence du Tout-Puissant plutôt que vers sa colère au jour du Jugement dernier. Le Dies Irae en est absent.
Le spectacle associe la Maîtrise de Notre-Dame de Paris dans ses diverses composantes, avec les musiciens du Jeune Ensemble sous la direction du chef de chœur Henri Chalet, ainsi que l’Ensemble des élèves du département de musique ancienne du Conservatoire de Paris, sous la direction de Sébastien Daucé.
Wagner, Strauss et Mahler
Le passage de la mort à la vie, l’exaltation du miracle de la création et de ce qui se situe au-delà de la finitude humaine forment le programme des trois chefs d’œuvre de la Sécession viennoise présentés par le Secession Orchestra sous la direction de Clément Mao-Takacs. À l’Enchantement du Vendredi saint, extrait de Parsifal, de Wagner, succèderont les quatre derniers Lieder de Richard Strauss. Der Abschied (l’Adieu) extrait du Chant de la Terre (Das Lied von der Erde) de Gustav Mahler terminera le programme. À la religiosité empreinte de mythologie germanique de Wagner répondront le chant du cygne de la musique romantique que constituent les Vier Letzte Lieder de Strauss. Le « Printemps », « Septembre », l’« Heure du sommeil » et le « Crépuscule », reprenant pour les trois premiers des poèmes de Hermann Hesse, et pour le dernier celui de Joseph von Eichendorff, forment un cycle où les frémissements de la nature qui renaît, les teintes plus sombres de l’automne, la douceur teintée d’érotisme du soir et l’explosion radieuse qui salue le renoncement à la vie se succèdent. Quant à l’Adieu du Chant de la Terre, de Mahler, il célèbre les splendeurs du soir et le renouvellement permanent de la beauté de la nature.
Le Secession Orchestra privilégie le répertoire des xxe et xxie siècles dans tous les types de formation, du format chambriste à l’orchestre symphonique. Les parties chantées de Wagner et Strauss seront interprétées par la soprano Axelle Fanyo, le Chant de la Terre par la mezzo-soprano Marion Lebègue.
Autour de la Truite…
Il existe peu d’œuvres pour piano de César Franck. À la fin de sa vie néanmoins, le compositeur composa pour lui de grandes œuvres. Le Prélude, choral et fugue FWV 21 (1884), inspiré des œuvres de Jean-Sébastien Bach, est de celles-là. Les trois volets de cette œuvre à la tonalité douloureuse, qui semble davantage se référer à l’orgue qu’au piano, constituent une véritable trajectoire dramatique et spirituelle qui mène de l’ombre à la lumière. L’Arabesque en ut mineur op. 18 de Schumann, composée à Vienne en 1839, qui alterne nostalgie et passages déclamatoires, exprime sans doute en partie les états d’âme du musicien, séparé de Clara Wieck par le père de celle-ci. Son appellation d’arabesque évoque les circonvolutions délicates des décorations florales tout en faisant référence au système organique de Schlegel qui transcende l’artificialité des formes classiques. L’Oiseau de feu, composé par Stravinsky en 1909-1910 pour les Ballets russes, s’inspire d’un conte russe qui met en scène un personnage, Ivan, qui dérobe l’une des plumes de l’oiseau de feu, symbole d’immortalité. Il tombe amoureux d’une princesse résidant dans un palais où poussent des pommes d’or. Emblématique de la période russe du compositeur, cette variation sur l’amour, la beauté sublime et l’immortalité reprend quatre thèmes des contes populaires traditionnels russes : l'oiseau de feu, le sorcier maléfique, la princesse captive et le prince libérateur, ainsi que les sonorités musicales des chants et musiques populaires russes. Un instrument (le cor pour Ivan) est attribué à chaque personnage pour marquer sa présence, tout comme dans la musique populaire russe.
Quant au Quintette en la majeur D 667 « la Truite », composé en 1819, qui clôt le programme, il est le seul quintette avec piano composé par Schubert et, contrairement au quatuor à cordes traditionnel, remplace l’un des deux violons par une contrebasse. La « truite » fait référence au Lied éponyme du compositeur, lui-même inspiré d’un poème du presque homonyme Christian Schubart. La légèreté de cette truite qui s’ébat en liberté dans les eaux vives sous le regard attentif de son prédateur rappelle le bonheur que traverse alors Schubert, en présence de huit jeunes filles, « presque toutes charmantes ». Les variations délicates qui forment les cinq parties de l’œuvre sont un appel à jouir du présent, sans souci de l’avenir. Parodiée par Francis Blanche, les Quatre Barbus ou les Frères Jacques, elle n’en demeure pas moins une œuvre très gracieuse et mélodique qui mérite d’être entendue pour elle-même.
Dana Ciocarli, lauréate de nombreux prix dont le Prix Cziffra et professeure à l’École normale de musique de Paris, est la pianiste de l’ensemble du programme. Le quatuor à cordes Yako, accompagné du contrebassiste Philippe Noharet, interprètent avec elle la Truite.
Collège des Bernardins – 20, rue de Poissy – 75005 Paris
Tél. : 01 53 10 74 44. Site : www.collegedesbernardins.fr
Jean Gilles - André Campra, Requiem. Le 10 mars à 20h30
Mort et transfiguration : Wagner, Strauss, Malher. Le 2 avril à 20h30