Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Arts-chipels.fr

Yeontaek Oh et Nuron Mukumi. Un concert en apesanteur.

La finesse, la sensibilité et l’intelligence étaient au rendez-vous du concert d’Animato qui rassemblait un jeune Coréen et un Germano-Ouzbek.

Il est des moments où l’esprit se prend à voguer sur des mers infinies dont l’horizon se dilue dans le lointain, ou contemple des paysages de montagne où l’on se sent en communion avec l’univers. Ces deux jeunes pianistes nous ont offert ces moments d’exception où l’on décroche du réel pour établir une mystérieuse relation avec l’ineffable.

Yeontaek Oh et Nuron Mukumi. Un concert en apesanteur.

Yeontaek Oh. La finesse du doigté et la sensibilité

Nous avions déjà entendu ce jeune pianiste en novembre 2019. Il confirme avec ce concert la très belle impression qu’il nous avait laissée. La précision de son doigté et sa finesse technique servent une interprétation inspirée et virtuose. La Barcarolle op. 60 en fa majeur de Chopin a tenu toutes ses promesses de pièce rêveuse nonchalamment balancée par le friselis caressant des vagues, parfois traversé d’accents plus tendus. Quant aux Miroirs de Ravel, ils ont été pure merveille. La « Barque sur l’océan » s’est montrée toute de fluidité délicate dans son flux et son reflux incessant que de légers remous viennent mouvementer tandis que dans les profondeurs se forme et gronde une houle tourbillonnante, comme la menace voilée d’esprits des eaux dissimulés au milieu des vagues qui grouillent sous la surface et surgissent soudain avant de refluer sous la pression des vaguelettes qui annoncent le retour au calme. À la précision millimétrée du toucher qui densifie le morceau est venu répondre le style plus heurté et hispanisant de l’« Alborada del gracioso ». Se rapprochant par certains côtés du jazz dans ses ruptures de rythme et son alternance de passages glissés et martelés, cette « espagnolade » aux motifs répétitifs sans cesse changeants, cette aube naissante du bizarre consacre l’irruption d’une sensibilité toute en notations infimes qui se chevauchent et se succèdent. La modernité est à l’œuvre dans cette pièce qu’on a qualifiée d’impressionniste et Yeontaek Ho en a livré une interprétation toute en contrastes et en nuances.

Yeontaek Oh et Nuron Mukumi. Un concert en apesanteur.

Nuron Mukumi. La musique comme une vision

Chez Nuron Mukumi, il y a quelque chose du Voyageur au-dessus d’une mer de nuages. Un ailleurs omniprésent vers lequel le regard s’évade, la contemplation de l’immensité, et la musique qui surgit, comme une vision. Le jeune homme est virtuose, sans doute possible, mais il a quelque chose de plus, d’unique. C’est son voyage dans la musique qu’il nous fait partager, avec une présence immédiatement perceptible. C’est ce qu’il voit que nous voyons, la manière dont il vit la musique qu’il joue pour nous. Et c’est absolument fascinant. Il nous entraîne sur des chemins escarpés, dépouillés, des terres mystiques de Liszt. À la vision contemplative, minimaliste et mélodieuse de la Bénédiction, il passe sans transition, du même Liszt, à la frénésie endiablée de la Tarentelle d’inspiration napolitaine dans laquelle s’insère la cansonetta romantique, comme une douce ritournelle dans son écrin. Changement de registre une fois encore pour nous faire découvrir les étonnants 18 morceaux de Tchaïkovski, ces pièces que le musicien compose à la fin de sa vie et dont le testament livre une image de ses capacités créatrices enrichie et parfois surprenante. Par son jeu qui révèle les failles dans le discours souvent trop huilé d’un Tchaïkovski sans surprise, il dévoile une facette plus intérieure, moins lisse du musicien. D’« Un poco di Chopin » à Chopin lui-même, le pas est vite franchi avec le magnifique Scherzo n° 2 op. 31 dont il livre une version complètement habitée, très contrastée et pleine de couleurs.

Yeontaek Oh et Nuron Mukumi. Un concert en apesanteur.

Un bien beau parcours que cette soirée. La prochaine, avec Keigo Mukawa qui nous promènera de Bach à Rachmaninov en passant, noblesse oblige, par Chopin ne le sera pas moins. Nous l’avons entendu à deux reprises, en mars dernier et voici quelques semaines en duo de pianos avec Kyohei Sorita, en admirant chaque fois sa finesse et ses qualités d’interprétation. Gageons que le mardi 3 mars apportera la même moisson de plaisir…

Animato, association soutenue par l’École normale de musique de Paris/Alfred Cortot, la Fondation Zygmunt Zaleski, la Bienvenue française, la Fondation Orpheus (Suisse), la Fondation Seymour Obermer et Yamaha, a pour ambition de faire découvrir les jeunes lauréats des concours internationaux de piano, des jeunes gens qui, par leur maîtrise pianistique et la qualité de leur interprétation, laissent augurer de grandes choses. Comme toutes les associations, elle a besoin de soutien financier. Si ses concerts sont gratuits, une urne est disposée à la sortie pour recevoir les dons. On peut aussi, bien sûr, adhérer à l’association.

www.animato.org

Yeontaek HO (Corée) - Premier Prix Piano Campus Pontoise 2018

Chopin Barcarolle op. 60

Ravel Miroirs, extraits : « Une barque sur l’océan » et « Alborada del gracioso »

Nuron MUKUMI (Ouzbékistan-Allemagne) – 1er Prix du London Festival for Music and Performing Arts (2019)

Liszt Bénédiction de Dieu dans la solitude et Tarentelle

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article