9 Février 2020
La Nouvelle Athènes présentait le piano Érard de 1806 qu’elle a acquis, restauré et remis en état de marche. L’occasion d’un concert présentant des pièces jouées au tournant des xviiie et xixe siècles et un voyage dans le temps où la musique pour piano, encore à ses débuts, était l’apanage des salons.
Aboutissement de près de deux ans de travail depuis son acquisition, le piano carré Érard de 1806 rencontrait enfin ceux pour qui il fut créé : les musiciens et le public. Étrange objet que ce piano qui ne compte que cinq octaves et demie (69 notes frappées par des marteaux en peau) mais quatre pédales qui permettent de modifier le son, côté luth ou basson, forte ou céleste, qui sonne peu si on le compare aux pianos à queue, paraît fragile dans les aigus mais permet cependant, du fait de son système à double pilote, de redoubler des notes très rapidement. On peut imaginer la joie pour les compositeurs et interprètes de l’époque de disposer d’un outil autorisant une plus grande liberté de la composition en même temps que l’introduction de nuances dans l’interprétation. Sébastien Érard, facteur de pianos de génie, dans un va-et-vient entre la France et l’Angleterre, fut l’un des artisans majeurs de cette révolution. Haydn, Beethoven et Liszt utilisaient ses pianos.
Un programme de concerts lié à l’instrument
Faire sonner la musique sur les pianos avec lesquels elle fut composée implique de revenir aux pièces qu’on jouait à l’époque. Le programme « romantique » de la Nouvelle Athènes reprend donc les morceaux dont l’instrument fut le contemporain, sur une période qui couvre essentiellement l’Empire et la Restauration pour ce piano du tout début du xixe siècle. Faire revivre cette effervescence musicale impliquait de retrouver ce qu’on jouait à l’époque et les conditions dans lesquelles ces pièces étaient jouée. C’est ainsi que Mozart, quoique décédé en 1791, y trouve place. Une Mozartomania saisit la société de l’époque. On reprend ses airs des grands opéras, la Flûte enchantée, Dom Juan, les Noces de Figaro, la Clémence de Titus, pour les adapter sans vergogne. Les Mystères d’Isis, sorte de pot-pourri qui les mêle, est un véritable succès. Ils auréolent Mozart, pourtant mal accueilli à Paris quelques décennies auparavant, d’une aura enchanteresse. À Mozart « ressuscité » répondent de petites pièces « légères » de Beethoven, adaptées à ce type de piano : la Bagatelle WoO52, l’Allegretto WoO53 et le Rondo op. 51 en sol majeur.
Un parcours de découvertes
Connus des spécialistes mais ignorés du grand public, d’autres compositeurs trouvent leur place dans ce programme, tels Hélène de Montgeroult, Jan Ladislav Dussek, Jean-Louis Adam (le père d’Adolphe Adam, qui fut un compositeur lyrique d’opéra-comique, mais à qui l’on doit également la musique du ballet Giselle), Louis-Joseph Ferdinand Hérold ou Daniel Steibelt. Certains sont connus par les méthodes de pianoforte qu’ils mirent au point, tous, en ces périodes troublées de la fin de la Révolution, de l’Empire et de la Restauration furent des voyageurs, parcourant l’Europe au fil des péripéties historiques et de leurs besoins de survie. Steibelt, qui n’avait pas hésité à remanier légèrement des partitions pour les vendre comme neuves, kleptomane à ses heures, finit sa carrière auprès du tsar de Russie Alexandre Ier après avoir fêté le retour triomphal de Napoléon de retour d’Austerlitz... Le Tchèque Dussek qui rejoint la France avant de gagner Londres au moment de la Révolution, s’associe avec John Broadwood, un facteur de pianos avant de reprendre sa route vers Prague, menacé de faillite, puis vers Paris. On lui attribue d’avoir apporté sur le sol français un jeu plus profond, plus expressif, porté par un charme certain et une présence remarquable. Adam, qui compose des variations sur le thème du Bon roi Dagobert, célèbres en leur temps, pianiste virtuose, est surtout connu pour ses écrits théoriques : Méthode ou principe général du doigté pour le pianoforte (1798) avec Ludwig Wetzel Lachnith, qui arrangea les Mystères d’Isis empruntés à Mozart, et Méthode nouvelle pour le piano (1802). Quant à Hérold, qui fut le professeur de piano des filles du roi de Naples, Joachim Murat, et obtint le Prix de Rome en 1812, c’est dans l’opéra qu’il fera une carrière en dents de scie à partir de 1815.
Une femme, qui représente le chaînon manquant entre Mozart et Chopin
Le paysage musical est marqué par la présence féminine d’Hélène de Montgeroult. Cette femme a une destinée peu banale. Sous l’Ancien Régime, ses qualités d’interprète la font remarquer dans les salons d’Élisabeth Vigée-Lebrun, de Germaine de Staël et de Madame de Genlis. Au cours de la Révolution française, la marquise de Montgeroult et son époux fréquentent les cercles de révolutionnaires modérés, partisans d’une monarchie constitutionnelle. En 1792, accompagnant le nouvel ambassadeur de France à Naples, ils sont capturés par les Autrichiens. Le marquis décède. Le retour d’Hélène à Paris en pleine Terreur, en avril 1794, n’est possible qu’en raison de l’« assassinat » de son mari par les Autrichiens, qui lui vaut l’indulgence du Tribunal, et de la contribution qu’on attend d’elle pour les fêtes patriotiques. La légende – peut-être fondée – veut qu’elle aurait sauvé sa tête de la guillotine en improvisant au pianoforte, devant le Tribunal révolutionnaire, une musique sur le thème de la Marseillaise. Après la promulgation de la loi du 16 thermidor de l’an III (3 août 1795), créant un conservatoire de musique à Paris, Hélène de Montgeroult, qui passe le concours, est nommée professeur de première classe de la classe de piano hommes. Elle est à l’époque la seule femme de sa catégorie mais quittera son poste deux ans et demi après. Elle rédigera plus tard un Cour complet pour l'enseignement du fortepiano comprenant 114 études, comportant, entre autres, des conseils pour élargir la tessiture du piano et l’apparition de la notation des pédales.
Une femme peu banale en vérité, et dont la musique ne l’est pas moins. Pour ses qualités d’interprète, d’abord. Elle combat avec force l’un des défauts de l’école pianistique française de l’époque, « celle de taper sur les touches ». Quarante ans avant Chopin, elle préconise de faire du chant le modèle du jeu pianistique pour « exprimer les diverses émotions de l’âme ». Grande improvisatrice qualifiée de « meilleure pianiste de son temps », elle crée de belles pièces qui la rapprochent de Schubert, Schumann, Chopin, Mendelssohn et Liszt, romantiques avant la lettre. Une musique inspirée, singulière et pleine de couleurs.
Des programmes-promenades
Composés par d’excellents musiciens qui sont aussi chercheurs, les programmes des concerts que propose la Nouvelle Athènes sont plus qu’une agrégation de morceaux choisis. Ils nous permettent de pénétrer dans l’esprit d’une époque, de percevoir la relation qui unit le chant et la musique, le climat d’effervescence qui imprègne le monde musical à cette époque, tant à travers l’innovation qu’introduit le piano dans la conception même de la musique que dans les thèmes et mélodies que l’instrument inspire. Un nouvel état d’esprit qui succède à la rationalité des Lumières. Un bien joli voyage, passionnant, à travers le temps, qui nous transporte vers d’autres sons et une autre manière de percevoir la musique.
La Nouvelle Athènes – 19, rue du Banquier – 75013 Paris
L’association La Nouvelle Athènes – Centre des pianos romantique s’attache à restaurer des pianos anciens pour favoriser une relecture du répertoire romantique sur les pianos d’époque. Son ambition est de permettre aux pianistes d’accéder à des pianos originaux dans des lieux emblématiques de l’histoire du romantisme tout en partageant les savoirs et les pratiques entre ses membres (clavecinistes, pianistes spécialisés et modernes, collectionneurs, restaurateurs, musicologues et mélomanes) et vers le public.
Tél. 06 70 20 67 34. Site : www.lanouvelleathenespianosromantiques.com
■ Vendredi 7 février 2020, 20h : « Dans les salons parisiens sous le Ier Empire », salle Cortot (78 rue Cardinet – 75017 Paris)
Découverte de Mozart à Paris, Beethoven et les pianos Erard 1800, le rôle des pianistes virtuoses Dussek, Steibelt, des professeurs du Conservatoire Louis Adam & Hélène de Montgeroult. Instrument : Inauguration du Piano Carré Erard 1806, collection La Nouvelle Athènes, restauré par le Maître d’Art Christopher Clarke
Avec : Piet Kuijken, Eloy Orzaiz piano, Marta Ramirez violon, Ensemble Hexameron (Nicolas Bouils, flûte, Roldán Bernabé, Violon, Amaryllis Jarczik, violoncelle, Marianne Croux, soprano, Luca Montebugnoli piano et direction).
■ 8 & 9 février 2020 – Reid Hall (4 rue de Chevreuse - 75006 Paris)
Conférences, master classes publiques et concerts avec Piet Kuijken, Luca Montebugnoli, Eloy Orzaiz, Daria Fadeeva, Bénédicte Harlé... et Christopher Clarke, Jérôme Dorival...
Discographie
« Dans un salon de la Nouvelle Athènes » : des enregistrements live des concerts du Petit Palais réalisés à l’occasion de l’exposition Paris romantique en 2019 (Son An Ero).