18 Janvier 2020
Denis O’Hare retrouve dans ce spectacle l’art des conteurs pour nous livrer sa version de l’Illiade, une épopée fumante du fracas des batailles aux accents très contemporains.
Sur un plateau nu que viennent meubler, pour tout décor, des projecteurs pendus à une barre et un amas de câbles attendant leur usage, un homme chargé d’une grosse valise marquée du poids des ans entre. Gabardine longue fatiguée sous laquelle apparaît un pull à grosses mailles qui semble en avoir vu, pantalon sans âge, chapeau vissé sur la tête, l’homme apparaît dans une assourdissante cacophonie de sons. Nous sommes sur un champ de bataille et l’homme – il se présentera comme incarnant Homère – va nous livrer sa version de la malheureuse histoire de Troie. Une interprétation qui traverse l’espace et le temps.
Une Illiade revisitée
Les lumières de la salle se sont allumées. Nous spectateurs, sommes les destinataires du spectacle. Nous formons le cercle des auditeurs qui se pressent autour du conteur pour entendre une histoire sanglante mainte et mainte fois racontée. Ce récit en zigzag ne commence pas avec la pomme d’or de la discorde attribuée par Pâris à Aphrodite qui lui donne Hélène en récompense, mais se situe en plein cœur de la guerre de Troie. Neuf ans se sont écoulés. Denis O’Hare énumère la liste des petites villes grecques dont les hommes sont partis depuis tant d’années. Ils n’ont pas vu grandir leurs enfants, pas accompagné leurs proches vers leur dernière demeure. Ils se sont parfois vu remplacer dans leur foyer, sont eux-mêmes devenus autres. La guerre dure et dure et dure, et tout cela pour quoi, pour qui. Un bellâtre plutôt lâche qui refuse d’aller au combat et laisse les autres mourir à sa place. Une guerre qu’on n’a pas voulue, qui s’éternise sous les remparts de Troie, où tous seront, au bout du compte, perdants.
La mort d’Hector, un court moment d’humanité en plein cœur de la barbarie
Sur la plaine de Troie où la guerre s’éternise, les querelles éclatent. Agamemnon, le chef des Grecs, revendique comme tribut l’esclave d’Achille, Briséis. Achille se met en grève et refuse de combattre. Patrocle endosse son armure et se lance dans la bataille. Il est tué par Hector, réveillant la fureur d’Achille qui retourne au combat. On connaît la suite. Achille tue Hector et, animé d’une ivresse sanguinaire inextinguible, le traîne derrière son char devant Troie, lui refusant une sépulture. Priam en personne vient réclamer la dépouille de son fils. Retrouvant son humanité, Achille plie devant la douleur d’un père. Il lui rend le corps de son fils afin de l’honorer comme il se doit et suspend les hostilités le temps des funérailles.
Une réflexion sur la violence
Notre Homère à nous, Denis O’Hare, ne se contente pas du récit de l’Illiade. D’Achille il retient l’homme qui doute de sa fureur et de la justification de la guerre. À travers la longue énumération des zones de conflits dans le monde actuel, il nous livre une réflexion sur notre propre violence, cette lumière rouge qui s’allume en fond de scène et gronde en chacun de nous. Il s’étend sur les quelque cent-quarante guerres qui encombrent le paysage d’aujourd’hui. La longue litanie des lieux que déroule notre aède contemporain donne le vertige. Il parle de Troie, de Constantinople, de Dresde, de Sarajevo ou d’Alep, mais aussi de la liberté de disposer d’une arme qui fait chaque année quarante mille morts aux États-Unis. Il s’interroge sur les raisons de cette violence que nous portons en nous.
Un one-man-show époustouflant
Figure en vue du cinéma et de la télévision, Denis O’Hare éprouve le besoin de se produire sur scène. Le théâtre, pour lui, est là pour « faire bouger les choses, pour changer le monde ». « Funambule sur un fil », il a quelque chose du clown avec sa mobilité incessante de mimiques et sa gestuelle exagérée mais sans excès, une manière inimitable de s’emparer du plateau pour en faire son terrain de jeu en prenant le public à partie. Un certain génie. Un petit grain qu’il fait partager. Il y a aussi dans ce spectacle l’art consommé avec lequel quelques lumières et un peu de bruit évoquent des armées qui s’affrontent, des massacres sans nom, recréent un univers et assistent l’expression de la parole nue. Là est sans doute la magie du théâtre et la source de notre fascination.
An Illiad. Texte : Lisa Peterson, Denis O’Hare, d'après l'Iliade d’Homère.
Texte en anglais, surtitré. Traduction : Robert Fagles
Mise en scène : Lisa Peterson
Avec : Denis O'Hare
Musique originale et son : Mark Bennett. Bassiste : Brian Ellingsen
Décor : Rachel Hauck. Costumes : Marina Dragighi. Lumière : Scott Zielinski
Production : Davison Scandrett. Régie : Lucy Kennedy. Régie son : Charles Coes
Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris
Du 14 au 26 janvier 2020, tlj à 18h30 sauf les jeudis, les 19 et 20 janvier
Tél : 01 44 95 98 00. Site : www.theatredurondpoint.fr