9 Novembre 2019
L’association Animato, qui nous offre la possibilité d’entendre de jeunes pianistes prometteurs, enrichit cette année sa formule en invitant des « anciens » à revenir dans l’écrin boisé de la salle Cortot. Du plaisir en perspective.
Pour l’ouverture de la saison, hommage au jeune pianiste coréen Yeontaek Oh et à son aîné chinois Siheng Song.
Yeontaek Oh est un jeune concertiste qui vient d’obtenir en 2019 le Diplôme supérieur d’Exécution décerné à l’unanimité et avec les félicitations du jury de l’École Normale de Musique de Paris. La finesse de son doigté, alliée à sa maîtrise technique, en font déjà un interprète remarquable. Il fait entendre chaque note de la partition avec une précision qui pourrait sembler presque sèche n’étaient les infinies et infimes différences d’intensité qu’il fait entendre. Cette interprétation millimétrée sert admirablement la Sonate n° 30 op. 109 de Beethoven où alternent choral, contrepoint, fugue et variations, dans un ensemble qui synthétise un siècle de musique. La délicatesse de la partition en gouttelettes d’eau, traversée d’accélérations soudaines, d’emballements subits cédant la place à des accalmies peuplées de réminiscences se termine en suspension dans l’air d’un soir de vie finissant. La musique plus apaisée qui caractérise les dernières sonates pour piano de Beethoven s’éloigne des emportements passés et touche directement la sensibilité de l’auditeur. Yeontaek Oh complète son programme par un clin d’œil à Vladimir Horowitz pour qui fut composée la Sonate pour piano en mi bémol mineur de Samuel Barber (1950) dont il interprète le finale. Avec son chromatisme étendu et sa référence aux séries tonales du XXe siècle, cette œuvre qui nécessite une grande virtuosité d’interprétation a donné à entendre une autre facette du talent de Yeontaek Oh qui a conclu son programme par la primesautière Étude en forme de valse de Saint-Saëns dans laquelle transparaissait tout son bonheur de jouer.
Siheng Song. Quinze ans après…
Autre invité du concert de novembre : celui qui fut en 2004 le Grand Prix du Concours Marguerite Long-Jacques Thibaud qui a consacré des pianistes aussi prestigieux que Samson François ou Aldo Ciccolini : le Chinois Siheng Song qu’une suite ininterrompue de concerts partout dans le monde a épuisé et contraint à un retrait temporaire. « Ancien » d’Animato revenant sur ses traces, l’un des jurés les plus jeunes des compétitions internationales de piano nous a offert quelques pièces composées par lui durant cette pause forcée, qui combinent la préciosité des musiques millénaires asiatiques et les leçons de l’Occident où Satie aurait laissé son empreinte sautillante et anticonformiste. Avec eux, les 24 préludes op. 28 de Chopin. Ces Préludes qu’éclaire le Clavecin bien tempéré de Bach – la partition qu’emporte Chopin dans ses bagages pour Majorque et dont il reprend le principe d’une structure en vingt-quatre parties – peuvent semble déroutants tant leur durée est variable, moins d’une minute pour la moitié d’entre eux. Surgit à l'esprit un parallèle dans la littérature avec les haïkus japonais, forme ramassée qui représente chaque fois comme une synthèse, une condensation intense qui ramène à l’essentiel. Chopin ne connaissait pas cette forme poétique introduite en Europe au début du XXe siècle. Il adopte cependant ce même esprit de densité liée à une contrainte de forme. Les Préludes en effet, même si on peut penser qu’ils n’ont pas été composés pour être joués dans leur intégralité – Chopin, en tout cas, ne l’a jamais fait –, ont entre eux un lien structurel. Vingt-quatre correspond à l’ensemble des tonalités possibles, majeures et mineures. Mais là où Bach les explore à travers les préludes et les fugues en montant à chaque étape d’un degré chromatique, Chopin joue les enchaînements sur le principe majeur-mineur avant de passer à la quinte supérieure. Les notes de la fin de chaque prélude annoncent celles du prélude suivant… Et en matière de mélodies, il y en a pour tous les états d’âme et toutes les oreilles. Une danse charmante peut se transformer en récitatif et un paysage calme se teinter d’hallucinations… Chaque prélude est une œuvre en soi et il faut chaque fois vider son esprit pour aborder le prélude suivant. Une tâche pas si facile si on veut faire échapper les Préludes à l’exercice de style. Siheng Song y parvient admirablement. Ce « Fils du Ciel » tel que l’a qualifié le Monde de la musique allie compréhension, passion et technique Lenteur et vélocité , douceur et noirceur, légèreté et pesanteur de glas alternent, quand ce ne sont pas des sautes d’humeur qui traversent les morceaux. Elles vont de pair avec une exécution qui s’enfièvre au fil des pages et donne de l’ampleur au mouvement. Siheng Song excelle dans cette montée progressive du patchwork des Préludes. Et lorsqu’il clôt le concert, sa variation virtuose sur la Marche turque exprime un jeu libre de toute entrave.
… Et un prochain concert le mardi 26 novembre sur le thème de Chopin. L’ambiance sera chinoise avec un jeune interprète de quatorze ans, Shuhang Zhao, et l’un des candidats aux concours Chopin de Varsovie et de Paris ; Dongjun Miao. Le romantisme a-t-il droit de cité dans l’Empire du Soleil Levant ?
Animato – 65, quai Branly – 75007 Paris
Tél. 06 03 49 12 28. Site : www.animato.org
Le concert est gratuit mais une urne disposée à la sortie permet de recueillir vos dons. Les sommes récoltées financent les voyages des artistes.