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Arts-chipels.fr

Letter to a Friend in Gaza. Les chants d’espoir désespérés sont souvent les plus beaux…

Letter to a Friend in Gaza. Les chants d’espoir désespérés sont souvent les plus beaux…

Amos Gitai n’a cessé de plaider pour une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens à travers sa pratique artistique. La journée que lui a consacrée le Théâtre de la Ville le 7 septembre 2019 fait le lien de trente années de création.

En 1989, à travers Berlin-Jérusalem, Amos Gitaï évoquait l’arrivée au pouvoir du nazisme en Allemagne en parallèle avec l’installation des premiers juifs en Palestine. Ces pionniers, pétris d’idées socialistes, avaient créé une forme nouvelle de société : le kibboutz. Avec Letter to a Friend in Gaza, il traverse l’histoire d’Israël en partant de la prise de Jérusalem par les Romains pour arriver à l’époque contemporaine. C’est dans l’entrecroisement des histoires que se définit le présent.

Amos Gitaï - Berlin Jérusalem

Amos Gitaï - Berlin Jérusalem

L’expérience d’une vie

Amos Gitaï intègre son histoire personnelle dans son œuvre. Elle est un résonateur du monde. Dans Berlin-Jérusalem, les deux femmes mises en scène renvoient à sa famille. La première est russe. Combattante pour la cause de la classe ouvrière à l’époque tsariste, Mania Shohat arrive en Palestine où vivent déjà deux de ses frères en 1904 et décide de créer une implantation juive où les juifs vivront de leur travail en défrichant leurs propres terres. La seconde est allemande. Poétesse expressionniste, Else Lasker-Schüler vit une existence protégée, entourée par ses amis. Effrayée par la montée du nazisme et les exactions à l’encontre des juifs, elle prend la route de Zurich puis de la Palestine. Ces deux personnages emblématiques forment, pour Amos Gitaï, comme un reflet de sa propre famille. Son père, architecte du Bauhaus, avait fui l’Allemagne nazie. Sa mère, Efratia Luria, venait d’une famille d’origine russe qui avait émigré en Palestine au début du xxe siècle. Quant aux images de la guerre du Kippour de Letter to a Friend in Gaza, elles renvoient à l’expérience de l’auteur, mobilisé en 1973 durant la guerre.

Amos Gitaï - Berlin Jérusalem

Amos Gitaï - Berlin Jérusalem

L’art comme moyen d’action

Chez Amos Gitaï, l’art et l’esthétique sont indissociables de l’engagement politique. Dans Berlin-Jérusalem, les textes d’Else Lasker-Schüler, qui disent la volonté de la poétesse d’enchanter la vie, mais aussi le désespoir et l’effroi qui la saisissent, ponctuent le cours du film. L’auteur-réalisateur évoque le Berlin des années folles à travers les figures grimaçantes à la Otto Dix et les femmes outrageusement fardées que Pina Bausch – implantée à Wuppertal, lieu de naissance d’Else – déplace dans un décor de fin du monde. Lorsqu’il évoque le présent avec Letter to a Friend…, c’est l’histoire qui est convoquée dans un montage où les figures se superposent, parfois en ombre chinoise, pour évoquer l’invasion romaine, les incendies et les massacres qui s’ensuivent. Les plans cinématographiques du film comme du spectacle où ils viennent ponctuer le parcours, qu’il s’agisse des visions radieuses de la « Terre promise » comme des traces laissées par les chars dans la boue qui dessinent d’erratiques figures sur la platitude d’un terrain parsemé de chars et de véhicules lors de la guerre du Kippour, sont d’une grande force. Les textes lus par les comédiens sur scène ont pareille puissance : le Verbe n’est jamais absent et avec lui la poésie. Ils disent la nécessité de l’attention à l’Autre pour conserver un sens à la vie ou interpellent les Israéliens sur la manière dont ils pourront justifier leur attitude face à leurs enfants.

Amos Gitaï - Letter to a Friend in Gaza

Amos Gitaï - Letter to a Friend in Gaza

Éclairer le présent

Déjà dans Berlin-Jérusalem, Amos Gitaï prolongeait son propos jusqu’à son époque en posant la question de l’éviction par la force des populations arabes vivant sur les terres rachetées par les juifs et celle de la justification de l’utilisation de la force. Son questionnement se trouve amplifié dans Letter to a Friend… À l’occupation romaine répondent les manifestations palestiniennes ou le spectacle de cette vieille femme assise dans un « chez-soi » formé d’une tente de plastique transparent, emblème des deux millions de Palestiniens vivant dans des camps. À l’oppression subie par les juifs renvoie l’oppression dont ils sont la cause. Au spectacle des maisons détruites s’additionnent les hautes parois de béton dressant un mur infranchissable entre les cultures. Si la dénonciation est intacte, le discours laisse cependant percer en creux une certaine désillusion. La table qui sépare les comédiens qui disent en hébreu et en arabe textes littéraires et extraits de presse est immense, comme si sa longueur érigeait un mur invisible, comme si communiquer était devenu une épreuve, comme si ne restaient plus aujourd’hui que la possibilité de monologues que le spectacle distille, entrecoupés d’une musique à la mélancolie poignante, mêlant passé et présent, instruments traditionnels, accordéon et clarinette. Il faut dire que l’actualité est passée par là. Les attentats qui ont frappé le monde entier ont faussé la donne, infléchi le regard sur le monde arabe et engendré des amalgames. Et en Israël, la pensée de gauche de l’esprit des pionniers a perdu de sa force et cédé la place à une expansion sans états d’âme des implantations. Pourtant Amos Gitaï veut croire encore qu’on peut tendre la main à l’autre. En faisant entendre sur une même scène ces langues considérées comme ennemies et qui pourtant ont une même source et par sa présence même sur le plateau, il s’implique et s’inscrit dans la volonté de paix et de compréhension mutuelle qui forme un fil conducteur de son œuvre. Fasse le futur qu’en dépit des écueils il soit exaucé et que demain tombent les murailles…

Une saison avec Amos Gitaï

Théâtre de la Ville, Espace Cardin – 1, avenue Gabriel – 75008 Paris

En septembre 2019, puis en juin 2019

Tél : 01 42 74 22 77. Site : theatredelaville-paris.com

Du 4 au 30 septembre 2019 : exposition de photographies d’Amos Gitaï

Voir aussi l’annonce des manifestations :

http://www.arts-chipels.fr/2019/08/letter-to-a-friend-in-gaza.amos-gitai-electron-libre.html

 

Letter to a Friend In Gaza

Mise en scène & scénographie Amos Gitaï

Texte Makram Khoury & Amos Gitaï, inspiré par Mahmoud Darwich, Yizhar Smilansky, Emile Habibi, Amira Hass, Albert Camus

Musique Alex Claude

Costumes Moïra Douguet

Lumières Jean Kalman

Assistante à la mise en scène Ayda Melika

Directeur de production Laurent Truchot

Avec Yael Abecassis, Amos Gitaï, Clara Khoury, Makram Khoury & Les musiciens Bruno Maurice (accordéon),Vahid Mazdeh (târ & setâr), Kioomars Musayyebi (santour), Madeleine Pougatch (chant), Louis Sclavis (clarinette).

 

Berlin Jérusalem

Scénario Amos Gitaï, Gudie Lawaetz

Image Henri Alekan, Nurith Aviv

Son Antoine Bonfanti

Musique Markus Stockhausen

Montage Luc Barnier

Décors Marc Petit Jean, Emanuel Amrami

Costumes Gisela Storch

Avec Liza Kreuzer, Rivka Neuman, Markus Stockhausen, Benjamin Levy, Vernon Dobtcheff, Veronica Lazare, Bernard Eisenschitz, Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

Prix de la critique – Biennale de Venise 1989

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