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Arts-chipels.fr

Le Gorille. Animalement vôtre !

Le Gorille. Animalement vôtre !

Un zeste d’humour froid de Kafka, plutôt acide, une dose du sang chaud d’Alejandro Jodorowky, plutôt bouillant. Secouez le tout, côté grinçant, et vous obtenez une fable animalière qui n’a rien de « Nos amies les bêtes »…

À l’ombre de grands hommes dont les portraits occupent le fond de scène, un pupitre est dressé. Au centre trône Dieu le père : Darwin. Un personnage apparaît. Proprement vêtu – guêtres blanches sur pantalon gris et redingote, cravate et haut de forme. Mais quelque chose cloche dans sa démarche légèrement chaloupée, dans ses bras arrondis quand il avance, dans sa façon de se mouvoir un peu gauche. Il a une manière bien particulière de passer d’un visage imperturbable à une expression grimaçante, bouche arrondie, frémissement des traits, comme si une mouche l’agaçait. Celui qui va prendre la parole n’est pas un humain. C’est un gorille.

© DR

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De l’animalité à l’humanité : le grand saut

Ce gorille a été invité par une docte assemblée d’académiciens à conter comment il est devenu humain – ou presque. Il raconte sa capture, ses blessures, l’apprentissage qui lui fait quitter « la grande porte que fait le ciel au-dessus de la terre ». Bonjour, merci, serrer la main, surveiller ce qu’on dit, ne pas montrer tous les détails de son anatomie, cracher, fumer la pipe, singer les bonnes manières, apprendre à parler… rien d’impossible à ce représentant de la gent simiesque dont la gestuelle dérape par moments et le ramène à ses origines. De toute façon il n’avait guère le choix pour échapper à la cage. « Seulement une issue, à droite, à gauche, n’importe où ».

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Une humanité dérisoire

Avec une frénésie d’apprendre pour parvenir au niveau des humains, le gorille progresse à pas de géant. Il lui faut mériter son succès de phénomène de foire, qu’on exhibe, et tous les avantages afférents : un appartement confortable, un impresario à la botte, un rocking chair pour se reposer, une bouteille sur la table et même une petite femelle chimpanzé pour satisfaire ses besoins élémentaires – tout de même, il reste du singe qui sommeille en lui, même s'il ne la regarde pas. Mais, alors qu’il a atteint le niveau de culture moyen d’un Européen, quoique satisfait, il ne trépigne pas de joie, ne sent pas fier d’avoir joué les hommes et de s’être joué d’eux. Il a seulement réussi ce qu’il s’était proposé de faire et ce dont il témoigne dans son Rapport. Il s’est adapté.

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De Kafka à Jodorowsky

Ainsi s’achève le Rapport de Kafka. Mais Alejandro Jodorowsky n’en reste pas là. Son gorille pousse à l’extrême sa « formation » humaine. Au bout de son apprentissage, il se perd. Il ne sait plus qui il est. Ni tout à fait homme puisqu’objet d’étude et de spectacle, de moins en moins bête, car la porte vers le ciel s’est rétrécie. Il n’est plus rien. Il ne sait plus comment se définir, ni quelle est son identité. À la satisfaction ironique de s’être fait une place en adoptant le comportement qu’on attendait de lui succède le désespoir de n’être plus personne… Alejandro Jodorowsky pointe les incohérences de notre système social, les mensonges, les faux-semblants, et son fils, Brontis, les joue. Son Gorille a la figure tragique d’un clown triste. Il s’agite en pure perte et offre au public la grimace d’un sourire pour masquer le vide qui l’habite. Le regard halluciné, il se débat contre les fantômes de son passé, contre son impossibilité à être lui-même, à se reconquérir. La société a broyé les individualités.

 

Le Gorille d’après Rapport pour une académie de Franz Kafka

Texte et mise en scène : Alejandro Jodorowsky

Traduction : Brontis Jodorowsky

Avec : Brontis Jodorowsky

Du 4 septembre au 3 novembre 2019, du mardi au samedi, 21h, dimanche 18h

Théâtre Le Lucernaire – 53 rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris

Tél. 04 42 22 66 87. Site : www.lucernaire.fr

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