Grand Magasin. Lost in translation.

17 Septembre 2019

La performance de François Hifler et Pascale Murtin qui prend pour thème les difficultés de la langue française a des allures de cadavre exquis où se mêlent citations poétiques et langue des rues.

Quand on emploie « Je, tu, il, elle » pour désigner des personnes identifiées, tout va bien, mais pourquoi utilise-t-on « vous » pour une seule et plusieurs personnes ou « ils » quand dans une longue énumération de femmes ne se trouve qu’un seul homme ? Pourquoi dit-on « avant-hier » et « après-demain mais pas « avant-demain » pour qualifier aujourd’hui ? Pourquoi n’en peut-on mie s’il n’est question ni de pain ni de croûte ? Pourquoi « rien » est-il néant et « un rien » quelque chose ? Il y a bien d’autres questions de la même eau dans cette « leçon » que nous tiennent les deux personnages, armés, pour tout bagage, de cahiers et de livres, d’un petit carillon et autres accessoires sonores. Nous voilà lancés par les deux compères sur les sentiers buissonniers, errant de-ci de-là à la recherche d’ici ou là et d’un ailleurs qui se dérobe sans cesse, d’ailleurs.

Le français, une langue d'ailleurs

Explorant la gamme des complexités de la langue française, Grand Magasin, sur l’air de « Tout ce que nous vous disons vous le savez déjà », projeté sur un écran en fond de salle, nous entraîne à considérer la langue française, notre langue, comme une langue étrangère. À la saveur des rapprochements entre les homophones – au sou qu’on dépense renvoie celui qu’on glisse sous la pile de draps – s’ajoute la valse des antonymes. Le « sur » lui répond. Mais son utilisation n’est pas aussi sûre qu’on le voudrait. Elle se fait fuyante et oscille entre « sur la table », « sur mes conseils » et « quatre sur sept ». « Où » prend possession de l’espace et du temps, achevant de semer la confusion d’un sens qui se dérobe sans cesse et où l’on a toutes les raisons de s’embrouiller autour de « Pourquoi », « Parce que », « puisque » et « car ».

Non lieu, non-lieu

À écouter ces deux personnages aligner des citations qui vont de Verlaine à Lady Gaga et de Wittgenstein aux perles des magazines et aux anonymes décidément fâchés avec la pureté de la langue, on mesure la difficulté de la langue française. Le français mettra un seul mot là où l’anglais ou l’espagnol en indiqueront autant qu’il y a de sens distincts. Pas étonnant qu’on se perde parfois en route et que le chemin soit pavé d’embûches ! Le français sera pour toujours – ou à jamais – ce labyrinthe cocasse où se perdent les apprenants et dont nous-mêmes nous dépatouillons à grand-peine.

En présentant une forme humoristique et pince-sans-rire de manuel de français dans des espaces détournés de leur fonction première de lieu d’enseignement – amphithéâtre d’université, salle de conférence, conservatoire – Grammaire étrangère trouble volontairement les codes et les détourne. Dans ces temples du savoir par essence « sérieux », Grand Magasin introduit avec malice une dimension ludique. Distribuant bons points et mauvaises notes, le spectacle nous fait rire de notre terrifiante langue en nous enseignant, l’air de rien, comment l’approcher. Un sympathique et réjouissant apprentissage.

Grammaire étrangère (en 6 leçons)

Leçon 1 : maintenant et ici. Le 16 septembre.Sorbonne Université / Campus Pierre et Marie Curie
Leçon 2 ; Il pleut. Le 23 septembre, lycée Louis-le-Grand, amphithéâtre Chéreau.
Leçon 3 : comme quoi. Le 14 octobre, École supérieure du professorat et de l’éducation / Batignolles
Leçon 4 : l’été. Le 4 novembre, Conservatoire à rayonnement régional d’Aubervilliers – La Courneuve
Leçon 5 : traité des passions. Le 18 novembre. Sorbonne Université, théâtre Richelieu
Leçon 6 : révisions. Du 28 novembre au 1^er décembre, Centre Pompidou. Le 4 décembre, !POC ! / Alfortville.