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Arts-chipels.fr

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Le film de Michela Occhipinti dresse un portrait nuancé mais sans complaisance de standards sociaux qui contraignent le corps des femmes et l’enferment dans un modèle obligé.

Nouakchott, de nos jours. Le désert est à la porte, le sable envahit les rues. Des chiens errent dans les rues, les chèvres en liberté cherchent quelque chose à manger, les voitures sont défoncées, les ordures sèchent sur les toits. Nous sommes en Mauritanie. Sur une terrasse, une jeune fille, les cheveux soigneusement dissimulés sous un voile, contemple en se cachant la vie en contrebas. Elle, c’est Verida. Ses parents viennent de lui trouver un époux. Plus riche qu’eux car son père, chercheur d’or, peine à gagner de quoi faire vivre sa famille. Pour se marier, Verida doit grossir. Beaucoup. Pour attester de la richesse de son nouveau « propriétaire ». Comme un scribe qui exhiberait les plis de son ventre pour montrer sa prospérité. Bien sûr Verida ne connaît pas son promis. Bien sûr elle ne l’a pas choisi…

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Gavage des oies ? Non, des femmes.

Commence alors la ronde infiniment répétée des bols de lait à avaler et de la nourriture en abondance où viande et céréales offrent leur consistance roborative. Dès l’aube, encore dans les brumes du sommeil, il lui faut avaler sa pitance, plusieurs fois par jour puis de plus en plus fréquemment. Ce retour inlassable des bols l’un après l’autre, jour après jour, est ponctué par les séances de pesage pour vérifier sa prise de poids. Mais Verida n’est jamais assez grosse. Alors elle suit les conseils des autres femmes qui sont passées par là. Elle achète sous le manteau des pilules, nocives pour le rythme cardiaque, mais qui l’aideront à satisfaire aux exigences de sa future famille. Peu à peu cependant, l’obéissance se mue en révolte. Elle rue dans les brancards mais la pression est là, et pour éviter pire encore, elle continue. La caméra s’attarde sur le visage de la jeune femme sur lequel le sourire laisse peu à peu place à la résignation puis au dégoût…

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Et l’amour dans tout ça ?

À intervalles réguliers, un jeune homme apporte la balance sur laquelle la famille va pouvoir constater les « progrès » de Verida. Il est jeune, beau, et son regard plein d’intensité se pose sur Verida. Malgré les obstacles, ils vont se rencontrer, même s’ils savent l’un et l’autre que rien n’est possible. Leur monde n’est pas d’un autre temps et le forfait de portable qu’il lui offre pour s’entretenir avec elle est la porte aux échappées belles. Rendez-vous clandestins et repentirs jalonnent le film. Lorsque Verida décide de mettre fin à l’idylle, elle aura pour Sidi ces paroles terribles : « Merci pour m’avoir regardée ».

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Un portrait de la société mauritanienne qui échappe aux poncifs

Michela Occhipinti nous laisse voir d’autres dimensions de la coercition infligée au corps des femmes telle la question de la couleur de peau dans ce pays voisin de l’Afrique noire. Elle montre l’appétence de certaines femmes pour les crèmes destinées à éclaircir la peau, voire même l’usage de l’eau de javel. Mais la réalisatrice ne juge pas. Elle montre. Des situations complexes. Les parents de Verida ne sont pas de grands méchants sans cœur. Ils aiment leur fille et ne visent que son bonheur. Verida de son côté les chérit et voudrait leur faire plaisir. Elle n’est pas non plus une fille complètement cloîtrée dans la maison. Elle travaille comme esthéticienne dans un salon de beauté. Elle rencontre ses copines, qui incarnent d’autres aspects de l’univers féminin. L’une refuse de se plier au diktat de la grosseur, l’autre cherche à s’échapper, à partir à l’étranger, à faire des études. Verida participe à des dîners de femmes où la pression se relâche, où leur vraie vie se donne libre cours. Certaines ont été mariées, comme Verida va l’être, puis elles ont divorcé. Et se sont remariées. Leur vie ne s’est pas arrêtée avec le mariage…

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Une fiction qui aurait pu être un documentaire

Le point de départ du film, c’est la volonté de Michela Occhipinti de montrer comment la contrainte sociale s’exerce sur les femmes dans leur corps même : masquage des rides , obsession de la minceur-maigreur, ou au contraire comme dans le film rondeur… Lorsqu’elle découvre la tradition du gavage – qui ne touche qu’une partie des femmes en Mauritanie – suit un travail d’enquête destiné à créer un documentaire sur le sujet. Le Mariage de Verida en est issu. Même si quelques entorses ont été faites à l’histoire initiale, que certains des protagonistes endossent d’autres rôles que ce qu’ils sont dans la réalité, les personnages de la fiction rejoignent les portraits de ceux qui leur ont donné naissance. Verida s’est mariée, puis a divorcé. Partie en Turquie, elle est revenue dans son pays. Une forme de liberté est possible…

Film exemplaire, le Mariage de Verida ouvre un débat qui n’est pas près de s’achever sur le sort réservé aux femmes dans toutes les sociétés. Il est en même temps clairement un appel à changer l’ordre des choses.

Le Mariage de Verida. Grossir pour être « vendable »

Le Mariage de Verida. Film de Michela Occhipinti.

Sortie : 4 septembre 2019

Scénario - Michela Occhipinti et Simona Coppini

Production - Marta Donzelli et Gregorio Paonessa

Image - Daria D’Antonio

Musique originale - Alex Braga

Avec : Verida Beitta Ahmed Deiche (Verida), Amal Saab Bouh Oumar (Amal), Aichetou Abdallahi Najim (Aichetou), Sidi Mohamed Chighaly (Sidi)

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