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Arts-chipels.fr

Bernard Frize. Un plasticien sur les terres de l’OuLiPo

Bernard Frize. Un plasticien sur les terres de l’OuLiPo

Le Centre Pompidou offre une promenade rétrospective sur 40 ans de peinture et de création de Bernard Frize. Un parcours plastique autant que philosophique placé dans une confrontation permanente de l'artiste avec la matière et l’accident.

Hasard et nécessité. C’est entre ces deux pôles qu’oscille l’œuvre de Bernard Frize. Il choisit des éléments dotés chacun d’une identité et de caractéristiques propres, les met à l’épreuve dans une facture accidentelle puis en explore les hasards, les agence et les reconstruit dans une patiente alchimie qui développe le champ infini des possibles.

LedZ, 2018

LedZ, 2018

Une œuvre conceptuelle

Le travail de Bernard Frize s’articule chaque fois autour d’une problématique. Il peut peindre plusieurs toiles (LedZ, 2018) à longs coups de brosses passés horizontalement jusqu’à ce que le mélange se décompose en infinités de nuances que le passage de la brosse révèle progressivement, puis les assembler horizontalement et verticalement en sorte de fabriquer « deux escaliers face à face » ne débouchant sur rien en veillant à ce que les toiles ne se joignent pas pour éprouver « la faillite [qui] travaille de long en large ». Il peut passer des heures et des semaines à saturer chaque week-end, avec le pinceau le plus fin, une toile de traits innombrables d’une infinité de couleurs, formant, de loin, un magma de couleur indéfinissable qui ne prend forme que lorsqu’on s’approche, posant la question du point de vue et de la relation entre l’infiniment grand et l’infiniment petit (st 77 n°2, 1977). Il peut fabriquer une brosse extra-large composée de plusieurs brosses enduites chacune d’une teinte différente qu’il promène dans un dessin psychédélique (Standard and Poor’s, 1987) ou au contraire travailler au pistolet pour former un labyrinthe de chemins comme dilués dans le brouillard (Oma, 2007) formés de rectangles dont le quatrième côté ouvre chaque fois sur une autre couleur et un nouveau rectangle.

Suite Segond, 120F, 1980

Suite Segond, 120F, 1980

Le chaos et son organisation

À chaque fois, Bernard Frize choisit un matériau. Il le laisse travailler. Il l’aide aussi. Du film de peinture qui se forme à la surface des pots de peinture ouverts à l’air libre, il fait matière à peindre, agençant les cercles colorés obtenus par le séchage sur la verticalité du tableau. Ce faisant, il renverse la perspective, transforme l’horizontale en verticale et brouille les repères. La réalité devient abstraction, le hasard une forme organisée, le tableau un objet dialectique. Lorsqu’il déroule ses bandes colorées sur la surface de la toile, le début et la fin se rejoignent comme dans ces labyrinthes à la Escher où monter revient à descendre dans une sorte de mouvement perpétuel où tout est dans tout et réciproquement, où l’estompage de la matière se réalimente en permanence et régénère la forme qui revient à son point de départ pour recommencer son mouvement d’affadissement et de renaissance.

Opale, 2001

Opale, 2001

Lorsqu’il s’intéresse aux propriétés de la peinture, à la capacité de certaines d’entre elles à couler ou au contraire à demeurer à l’endroit où on les a posées, il fait naître des formes abstraites qui créent sur la toile des irisations. Par un renversement, une fois encore, de la position de la toile, il crée des paysages japonisants ouvrant sur un monde fantastique, une forêt des origines, des pays où la terre et le ciel se rejoignent, où l’esprit vogue, libéré des amarres.

Rami, 1993

Rami, 1993

Le hasard et le coup de dés…

On l’aura compris: sous l’apparente simplicité d’un procédé, décrit chaque fois avec un soin maniaque sur les cartouches de l’exposition, se révèle autre chose. Tel un oulipien se confrontant à une contrainte comme l’absence du « e » dans la Disparition de Georges Perec, Bernard Frize crée l’accident qui va conditionner l’œuvre. Il se met dans la situation d’accueillir le hasard. Une attitude paradoxale – un hasard, provoqué, est-il toujours le hasard ? Mais dans le même temps, cette liberté accordée au matériau va donner au spectateur la liberté d’inscrire sa propre vision, au hasard de la rencontre. Avec une maîtrise plastique qui force l’admiration, dans la dynamique d’un mouvement imprimé par l’artiste qui trace sans repentir, d’un seul jet, l’essence d’une forme, habite une matière à rêver, mouvante, insaisissable, qui nous tourne vers le dedans en même temps qu’elle ouvre le chemin vers une infinité de mondes.

Bernard Frize. Sans repentir

Centre Georges Pompidou, Place Georges Pompidou – 75004 Paris

29 mai– 26 août 2019

Ouvert tous les jours sauf le mardi 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu’à 23h

Tél. 01 44 78 12 33. Site : www.centrepompidou.fr

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