6 Juin 2019
Une scène dénudée éclairée qui irradie de blancheur et qui semble flottait dans un univers noir. On est en plein dans la transfiguration du Yin et du Yang Taoïste, sans jeu de mots … quoique…
Tout d’abord, 9 danseurs, habillés tous identiques de couleurs grises se mettent en mouvement sur une musique chantée de Xiao He. C’est un mouvement complètement dans le paradoxe taoïste, très fluide, insaisissable, désordonné et hasardeux mais au final tous à l’unisson. On est dans le Yang, dans l’énergie vitale. C’est un mouvement qui roule, qui coule, qui glisse, qui plie. Il pourrait être associé à l’eau, à cette incroyable plastique que l’eau prend partout en s’insinuant, en se coulant dans les moindres interstices. C’est une ondulation, une vague, chaotique, extrêmement complexe dans sa simplicité, désordonnée mais si précise, désynchronisée mais tous ensembles. Les danseurs sont remarquables. Tous identiques mais tous différents, tous calés sur un même modèle avec chacun sa particularité. Si magnifiques et si souples qu’on les croirait parfois sans ossature. Ils interprètent chacun leur partie indépendamment avec comme par magie, des moments à l’unisson comme des respirations.
9 et 8 puisque l’on commence par le 9 sont deux mouvements, deux compositions parfaitement opposées. Et vues sous l’angle taoïste ce sont bien les deux faces d’une même composition, l’une en regard de l’autre, l’une en creux face à l’autre, l’une à l’horizontale et l’autre à la verticale.
Dans la tradition chinoise, le 9 représentant l'accomplissement, la fin du cycle on peut s’étonner donc de commencer par cette composition. Mais le 8 représente la dimension du mystère. Et donc peut être qu’ainsi Tao Yé le chorégraphe veut nous laisser sur un questionnement spirituel et non sur une fin définitive qui, comme pour cette philosophie de Lao Tseu, rien ne finit mais tout recommence différemment.
Ainsi dans la deuxième partie 8 (créée en 2015) avec 8 danseurs le mouvement se passe au sol. On est dans le Yin. Tous à l’unisson, tous remarquablement ensembles. On n’est plus dans le chacun pour soi mais bien dans le chacun pour tous. Chaque danseur est juste une infime partie du grand tout. C’est très hypnotique, intensément hypnotique car ces corps ou plutôt ces représentations de morceaux du corps que l’on aperçoit, que l’on devine et qui petit à petit avancent avec toujours les mêmes enchaînements sont fascinants. On ne sait pas vraiment comment ils bougent, avec une extrême économie de moyens, un immense désir de lenteur mais ils bougent c’est un fait et ils se déplacent tous, extrêmement implacablement ensemble.
Cette chorégraphie m’a évoqué irrémédiablement les chorégraphies minimalistes de Anne Teresa De Keersmaeker et plus particulièrement Fase. On pense également et certains l’affirment, que cette manière de composer se rapproche de la danse de Cunningham. Il n’y avait pas de sens caché dans les chorégraphies de Cunningham et c’était à chacun de trouver son chemin dans son œuvre. Le spectateur était appelé à être actif, puisqu’il n’y avait pas de sens qui lui soit donné, il était libre de voir ou d’entendre ce qu’il voulait selon son propre désir. On pourrait dire que la danse de Tao Ye part de la même veine et est une danse qui tient l’émotion à distance. Ainsi, Tao Ye est la parfaite jonction entre la « modernité » de la danse contemporaine et les valeurs « philosophiques » traditionnelles chinoises.
Elle en a la valeur hypnotique et la qualité artistique. Je n’ai malheureusement pas vu les autres chorégraphies de cet ensemble. Car ces deux mouvements s’inscrivent dans une série allant de 2 à 9. 8 et 9, sont les avant-dernier et dernier maillons de cette Série numérique, chorégraphies de Tao Ye, initiée avec le duo 2 en 2011 et poursuivi depuis avec 7 pièces, dont le titre indique à chaque fois le nombre d’interprètes.
Depuis sa création en 2008, Tao Dance Theater fait sensation en Chine en se produisant dans tous les festivals de danse du pays. La compagnie collabore avec de nombreux artistes chinois et est également invitée à l’étranger : Europalia / Belgique, Culturescapes / Suisse, M.A.D.E Festival / Suède, Festival de Singapour, l’ADF et Fall for Dance / Etats-Unis, Théâtre de Bellevue a Amsterdam / Pays Bas, DanceXchange a Birmingham et au Sadler’s Wells / Grande-Bretagne.
Ils représentent cette nouvelle génération qui tout en s’appuyant sur le socle des « valeurs traditionnelles » a intégré parfaitement la liberté conceptuelle de la danse contemporaine actuelle. Ils sont le juste milieu, le pont entre ces deux civilisations, ces deux philosophies et cela leur donne une incroyable inventivité et une immense liberté.
La compagnie axe aussi son travail sur des actions pédagogiques, soucieuse de la formation du danseur en Chine, en collaborant avec les grandes écoles et universités.
crédit photo : 9, Tao Dance Theater © Fan Xi.
Chorégraphie Tao YE
Musique Xiao HE
Lumières Tao YE, Ma YUE
Costumes Tao YE, Duan NI
Danseurs 8 : Huang LI, Ming DA, Guo HUANSHUG, Zhang QIAOQIAO, Fan MIN, Liu XICHAO, Xie YUJING
Danseurs 9: Huang LI, Ming DA, Yan Yuling, Guo HUANSHUG, Zhang QIAOQIAO, Fan MIN, Liu XICHAO, Xie YUJING, Yi YI, Hua TING
Théâtre de la Ville Hors les murs / La villette
du 5 au 8 juin 2019