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Arts-chipels.fr

Scipione Sangiovanni. Vivre dans la musique

© Vincent Dargent

© Vincent Dargent

Il n’est pas seulement un virtuose précoce. Il a de la musique une vision très personnelle, parfois iconoclaste, qui ne laisse pas indifférent.

Un jeune homme mince, un peu lunaire, est apparu sur la scène. Il semble timide – ou peut-être déjà ailleurs – quand il s’installe au piano. Et le concert démarre. En douceur. Une jolie pièce nostalgique de Haendel. Beauté délicate du baroque. La mélodie court avec fluidité quand se produisent de subtils décalages : un accord un peu plus appuyé, des allers-retours entre accélération du rythme et ralentissements, de légères suspensions introduites dans la mélodie. On s’éloigne du convenu, on entre dans un monde dont on ne perçoit pas encore bien la nature. Les morceaux s’enchaînent et on perd les repères. Ou plutôt on les reconnaît au passage mais ils s’éloignent comme un air connu qu’on laisserait résonner dans sa tête tout en le modulant à l’infini, en le modifiant au gré de nos rêveries, à la poursuite incessante d’un imaginaire ondoyant, multiforme, qui s’échappe sans cesse.

Scipione Sangiovanni. Vivre dans la musique

Quand sonne l’air dans la tiédeur de l’air du soir…

Telle est la vertu de la musique que joue Scipione l’Italien, général sans armée à l’assaut d’un monde de notes. Il joue et on voyage parce que lui aussi voyage, au mépris de la « fidélité » supposée qu’on doit à une œuvre. Il ne s’agit point ici de retrouver l’égalité d’intensité des notes du clavecin pour lequel ces partitions ont été écrites, d’ignorer les effets de la résonnance, de privilégier le côté lisse de la musique. Il ne s’agit pas non plus de se rapprocher de l’interprétation traditionnelle de la musique baroque, gracieuse, légère, aérienne, enlevée. Nous entrons dans la tête de Scipione Sangiovanni. C’est sa manière de voir qu’il installe en nous, nous entendons à travers ses accents, nous percevons les inflexions qu’il donne à la parole musicale – et ce garçon-là a des choses à nous dire. Il n’est pas seulement ivre de musique, utilisant avec brio toutes les ressources de son instrument, virtuose tant dans la vélocité sans anicroche de son interprétation que dans les nuances qu’il apporte à l’intensité de son jeu. Il nous transmet une émotion, réelle, tangible, parce qu’il est dedans. Il n’est pas seulement habité par la musique. Il habite la musique, fait de chaque note un engagement de l’être. Nombreux sont les jeunes interprètes qui déploient la même fougue, et légion ceux qui cherchent à imprimer leur marque sur la musique des autres, mais peu sont capables de créer cette transmutation mystérieuse qui échappe en partie à son auteur et établit une réelle communion au-delà des mots.

Scipione Sangiovanni. Vivre dans la musique

Du lyrisme avant toute chose

De l’Italie, Scipione Sangiovanni a retenu un lyrisme qui l’entraînerait plutôt vers les rives du romantisme que sur les voies du baroque. Un lyrisme plus tourmenté qu’élégiaque. La proposition qu’il fait de la Totentanz de Liszt en témoigne. Vibrante, avec des accès de violence soudains, en ruptures permanentes, en lourds accords martelés dans les graves alternant avec des plages d’accalmie et de légèreté, cette mélodie funèbre sans cesse remodelée offre, derrière l’aspect très sombre de la musique, le paysage tourmenté qui passe dans la tête de son interprète. En matière de baroque, son approche est mouvement, décentrement, pleins et déliés délaissant les tracés linéaires, développement tous azimuts dans l’espace, comme l’est la peinture du même nom. Cependant, lorsqu’il fait gronder l’orage dans la musique de Jean-Sébastien Bach, qu’une colère dont on ignore la cause malmène la musique, on reste plus pensif. La proposition n’en interpelle pas moins, elle ne laisse pas indifférent. On se promet de réécouter d’une oreille neuve, pour voir si… Peut-être aussi faut-il laisser du temps au temps. La très grande jeunesse de Scipione Sangiovanni, en dépit d’un parcours de jeune prodige et des nombreux prix qu’il lui a valus, a besoin d’un peu de la pondération et du sens de la modulation qu’apporte la maturité. La manière dont la musique vit et palpite chez ce jeune interprète laisse en tout cas augurer un futur passionnant…

Scipione Sangiovanni – Récital de piano

Georg Friedrich Haendel : Suite en ré mineur HWV 437, Suite en si bémol mineur HWV 434, Passacaille en sol mineur HWV 432

Jean-Sébastien Bach : Chaconne en ré mineur BWV 1004

Franz Liszt : Totentanz (version pour piano solo)

Mais aussi Jean-Philippe Rameau et Astor Piazzola

« Classiques en suite »

11 juin 2019

Goethe Institut, 17, avenue d’Iéna – 75016 Paris

Tél. 01 44 43 92 30

www.goethe.de/paris

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