2 Avril 2019
Le thème du harcèlement est devenu un drapeau de la cause féministe brandi pas toujours de manière opportune. Loin du féminisme « chic », le film de Michal Aviad vient nous rappeler qu’au-delà des manifestations ostentatoires et des prises de position, le harcèlement est avant tout une blessure que les femmes portent à l’intérieur et dont les conséquences peuvent être destructrices.
Orna et Ofa vivent petitement avec leurs trois enfants. Ils ont ouvert un petit restaurant qui marche cahin-caha . Un revenu supplémentaire permettrait de payer les traites de la banque et de faire face au quotidien. Aussi, lorsqu’Orna trouve un emploi d’assistante auprès d’un promoteur, elle est ravie, même si ses horaires rendent la gestion des enfants difficile. Très vite, son intelligence et son sens commercial la propulsent plus haut dans la hiérarchie. Mais son patron a une attitude équivoque. Proximité trouble, regards appuyés, effleurements discrets qui en deviennent obscènes aboutissent à une tentative de l’embrasser. Elle recule, lui dit son refus. Il s’excuse, ils reprennent leur relation de travail. Il l’emmène à Paris pour négocier une affaire. Un succès arrosé qui lève pour lui les interdits. Il l’entraîne dans sa chambre et tente de la violer…
De l’histoire vraie à la fiction
Cette histoire est née d’une rencontre de la réalisatrice et co-auteure avec une femme, harcelée par son patron pendant trois ans, jusqu’à ce qu’elle craque et fasse une dépression nerveuse. Cette femme permet à Michal Aviad de comprendre de l’intérieur le mécanisme du harcèlement, tant psychologiquement qu’économiquement, de mieux percevoir la complexité de la « proximité des corps d’un homme et d’une femme qui travaillent ensemble avec toutes les nuances de leur gestuelle, [d’]explorer l’éventail de ces émotions contradictoires. ». Si choisir une actrice apte à interpréter Orna, avec son mélange de force et de fragilité, s’avère de l’ordre du possible, trouver le comédien qui accepte d’interpréter le rôle du harceleur relève de la gageure : deux des acteurs israéliens les plus célèbres sont, durant le casting, accusés de harcèlement sexuel ; certains refusent le rôle et l’un d’entre eux propose même de le réécrire. « Cela ne pose donc aucun problème d’interpréter un meurtrier, un homme violent, mais un harceleur, si ? » souligne la réalisatrice.
Une vision de l’intérieur
Loin des grands plaidoyers manichéens et bien-pensants sur le sujet, le film s’attache à nous faire percevoir à travers les yeux d’Orna ce que celle-ci ressent. C’est d’abord une gêne, la distance qu’elle met avec son patron, une manière de rester sur ses gardes, aux aguets en permanence. Une surveillance de tous les instants. Ne pas le laisser s’approcher, s’éloigner quand il est trop près. Éviter de lui demander un service sinon poussée à la dernière extrémité. Parce que ce boulot, elle en a besoin. Et puis il y a le silence envers sa famille, une manière d’être moins ouverte, une irritation devant les petits tracas du quotidien, le malaise qui reste là, présent, et dont elle ne parle pas… Ses proches sentent bien qu’il se passe quelque chose mais elle ne dit rien pour ne pas inquiéter son mari, déjà atteint dans sa dignité de ne pouvoir subvenir par son travail aux besoins de sa famille et de devoir compter sur sa femme.
Une histoire tout en nuances
La force du film tient à la finesse avec laquelle la situation est évoquée. Le patron harceleur n’est ni mieux ni pire que les autres patrons. Il éprouve une réelle estime et de l’admiration pour cette femme, s’excuse de son comportement lors des premières avances. Point de portrait du gros porc uniquement préoccupé de sa satisfaction sexuelle. Un être humain, comme beaucoup d’autres, mais dont l’obsession irrépressible va croissant, jusqu’à lui faire dépasser les limites. Le mari lui-même n’évite pas les réactions de petit coq. Lorsqu’Orna lui avoue la vérité, il est plus préoccupé par son orgueil de mâle, qui veut savoir jusqu’où on a utilisé son jouet et qui voudrait casser la gueule de son adversaire, que par l’aide qu’il devrait apporter, en ces circonstances, à cette femme qui souffre et qui craque. Quant à Orna, imprégnée malgré elle de siècles d’idées toutes faites qui veulent qu’une femme violée l’est, d’une certaine manière, parce que son comportement l’a provoqué, elle présente cette tentative de viol comme si elle était coupable. C’est elle qui a « commis une erreur ».
La force des femmes
Liron Ben Shlush livre un portrait sensible de cette femme blessée qui continue de se battre, envers et contre tout, pour préserver sa dignité d’être et ses choix amoureux. Elle ne se plaint pas, ne se raconte pas, trouve en elle l’énergie de supporter l’appréhension quotidienne de devoir retourner au travail, d’approcher l’homme qu’elle sait prédateur. Et lorsqu’après la tentative de viol elle craque et lâche tout et que son patron lui refuse les certificats lui permettant de trouver du travail ailleurs, elle puise néanmoins dans ses ressources le moyen de le contraindre à s’exécuter. Elle a appris à se battre avec les mêmes armes que lui. La dernière image du film, positive, montre le sourire qui s’ébauche sur ses lèvres, comme un message d’espoir pour toutes ces femmes qui sont au fond du trou…
Working Woman. Un film de Michal Aviad - Israël 2018.
Scénario : Sharon Azulay Eyal, Michal Vinik, Miachal Aviad
Directeur de la photographie : Daniel Miller
Avec : Liron Ben Shlish (Orna), Menashe Noy (Benny), Oshrie Cohen (Ofer)
Sortie en salles : 17 avril 2019