11 Avril 2019
Il a cette voix étrange venue des profondeurs Il chante Brahms, comme il sait le faire, c’est-à-dire à sa manière. Insolite. Inusitée. Personnelle. Il suffit d’accepter de se laisser porter par la poésie teintée de nostalgie qu’il nous donne à écouter.
Pas de jeu de lumière complexe qui introduise du mouvement dans l’espace et crée une distraction mais un éclairage fixe, concentré sur le grand piano à queue et l’interprète qui s'en empare. Il ne se déplace pas sur la scène, ne se livre pas à un show de bonimenteur qui cherche à vendre sa salade. Tout de noir vêtu, en sandales, il est, simplement, au piano, il raconte en même temps qu’il joue et chante.
Un amour de Brahms
Ce « travailleur de la chanson populaire » comme il se qualifie lui-même dit. La fidélité qui court tout au long sa vie pour ce musicien né en 1833, son attirance permanente vers la musique de celui qui incarna le romantisme. « Comme la matière est aspirée dans un trou noir, je me laisse avaler par Brahms. » Le lien fait de respect et de liberté qu’il a vis-à-vis de cette musique, les raisons, à l’incitation de son entourage, de montrer comme un spectacle présenté en public ce qui était une longue camaraderie personnelle, une proximité qui traverse le temps. Il mêle son histoire à celle du musicien, revendique une liberté de composer à partir de la musique de Brahms comme Brahms composait à partir des airs et chants populaires de son époque, édifie des passerelles entre les musiques populaires d’hier et d’aujourd’hui, évoquant Swing Low, Sweet Chariot de Wallace comme Paul McCartney et Elton John.
De l’anachronisme comme un des beaux-arts
Anachronique, dans un aller-retour permanent entre ce qu’il retient de Brahms et ce qu’il dit de lui-même, les échanges de Brahms avec Clara Schumann dont le compositeur fut éperdument amoureux, la musique de Brahms, la mélodie que dégagent les titres allemands qu’il cite – Wie Melodien zieht es mir (Comment la mélodie se révèle à moi, op. 105 #1, Just a Feeling), Ein Wanderer (Un voyageur, op. 106 #5, Crossroads), Dämmrung senkte sich von oben (Le crépuscule sombre du haut du ciel, op. 59 #1, Sweet Surrender) – les résonnances contemporaines et les chansons elles-mêmes dont le texte apparaît sur un écran, il nous fait voyager dans le temps et l’espace avec une poésie qui affleure à chaque instant. Il appelle en écho les noms de ces « entendeurs de voix » qui ont traversé l’histoire, d’Abraham à Gandhi, de Moïse à William Blake, de Dickens à Virginia Woolf ou Anthony Hopkins. Passant du récitatif à la parole chantée, avec cette voix de gorge, très basse, âpre, qui puise dans les profondeurs la matière qu’elle arrache au silence, à l’opposé des voix mélodiques des chanteurs d’opéra, interprètes traditionnels des Lieder, Lewis Furey distille une mélancolie profonde qui se nourrit des absences de l’aimée, des errances du voyageur solitaire, de la pluie qui tombe sur un cœur brisé. La magie surgit de cet étrange assemblage, de cette disparate association dans laquelle on baigne, tous repères perdus, comme on largue les amarres.
Lewis Furey - Haunted by Brahms autour des Lieder de Johannes Brahms
Textes, voix et piano : Lewis Furey
Théâtre du Rond-Point (salle Jean Tardieu), 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris
Du 9 au 20 avril, à 21h00, relâche 14 et 15 avril
Tél. 01 44 95 98 00. www.theatredurondpoint.fr