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Arts-chipels.fr

Langue fourchue. Meurtre dans l’indécision bifide des cultures.

Langue fourchue. Meurtre dans l’indécision bifide des cultures.

Un homme, enfermé hors de la parole, se met tout à coup à parler. Dans un monologue puissant, les mots qui déferlent nous content le fond de la désespérance.

Les phrases sortent difficilement de la bouche de celui qui choisit pour s’exprimer l’obscurité, la mise à l’écart des regards. Peu à peu, il fait la lumière et il dit. Ce qui l’a rendu muet. Des années de côtoiement de la violence. Un père qui exerçait sur sa mère une terreur sans fin. Une mère martyrisée murée dans le silence, qui n’avait pour vocabulaire que le cri, auquel répondaient les cris de son époux. Une langue, issue de l’immigration, qui se perdait car elle était duelle et donc dépourvue de sens de quelque côté que la balance penchât. Cette double langue qui n’était plus celle du pays d’origine et pas celle du pays d’adoption n’était pas non plus les deux à la fois et ne débouchait que sur le vide. Dans cette désespérance bifide et nue, l’homme avait puisé une énergie noire, la posture d’un démon à la langue fourchue énonçant avec une ironie amère la constatation d’un no future. À la violence silencieuse, il avait répondu par une égale violence verbale qui s’était incarnée dans des actes. Cette privation de la vie qu’on lui avait imposée, cette absence de communication et cette solitude immense, le monstre qu’il était devenu l’avait exercée à son tour sur les autres. Dans ce no man’s land sans passé ni avenir où se situe la pièce, l’homme porte fièrement son inexistence. Et sa manière de dire « je t’aime » passe par le meurtre.

En ombres et en lumière

Le personnage, on le découvre peu à peu au fil du spectacle. Il passe de l’ombre à la lumière, se mettant en scène lui-même, tenant le projecteur qui éclaire son visage de manière expressionniste, accentuant les ombres et les lumières, marquant les angles, découpant les volumes de manière contrastée. Il s’empare de l’espace et sa parole s’enfle, revendiquant la noirceur dont il a hérité. À la barbarie qui a été son lot, il répond à son tour par la même barbarie. Matéo Cichaki fait entendre ce texte, lui donne la clarté d’un délire bien éloigné de la folie, comme un lent et inéluctable dérèglement issu du désespoir. Sa jeunesse néanmoins le fait manquer d’un peu de l’épaisseur qu’on attend de cet homme au bout d’une vie dépouillée du passé et marquée au fer par l’absence d’avenir. Il semble un peu trop frais, trop tendre, trop juvénile pour un rôle dont on attend un poids physique, une manière de mâcher les mots qui alourdit chacun d’entre eux. Son audace de se confronter à la difficulté d’un pareil texte et la manière intéressante dont il s’en tire n’en demeurent pas moins remarquables.

Langue fourchue de Mario Batista

Mise en scène : Matéo Cichaki

Musique : Rebecca Baby

Avec : Matéo Cichaki

Du 24 au 28 avril 2019 à 19h00

Au Lavoir moderne parisien, 35 rue Léon – 75018 Paris

Tél. 01 46 06 08 05. Site : www.lavoirmoderneparisien.com

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