8 Avril 2019
C’est la tragédie implacable de Shauba, une naufragée sur un canot de 700 réfugiés qui traversent la Méditerranée pour Lampedusa. Et bien sûr rien ne se passe comme elle l’avait imaginé, fantasmé plutôt, avant le départ. Et ce récit fictionnel est une interpellation désespérée à nos consciences d’Européens nantis, face à un drame quotidien qui nous dépasse mais devrait cependant nous concerner tous.
C’est une création de Helène Poitevin d’après le monologue choc de l’auteure italienne Lina Prosa sur la tragédie des naufragés en Méditerranée, « Lampedusa beach ». En Italie, Lampedusa Beach a reçu le prix national Annalisa Scafi pour le théâtre engagé (à Rome en 2005) et le prix national Anima pour le théâtre (à Rome en 2007). A la différence de l’intention originale, Hélène Poitevin met en scène ce texte avec quatre comédiennes qui jouent en cinq langues « européennes », le français, parce que joué en France et ensuite l’italien, l’espagnol Argentin, le portugais / brésilien et l’anglais. Chacune des interprètes maitrisant parfaitement les deux langues dans laquelle elle joue et chacune ayant choisi les moments interprétés dans la deuxième langue en fonction de son feeling. Elle raconte que pour elle ce discours à plusieurs voix a été dès le début, comme une évidence, Elle a toujours imaginé cette interprétation en plusieurs langues par de multiples interprètes, une façon de sortir ce cri de désespoir de son particularisme et de lui donner une dimension universelle. Et pour mieux illustrer cette démultiplication une installation sonore avec une amplification et une multidiffusion donne une résonnance étrange à ce cri de Shauba. Grâce à cette installation sonore particulière et une spatialisation du son (installation en 7 points : 1 hexaphonie et 1 point supplémentaire de diffusion) le spectateur est « à l’intérieur du dispositif » qui vise à créer une expérience sensorielle et spatiale inédite.
Ainsi quatre femmes en impers, en talons noirs et foulards « des années 50 » se lèvent en début de spectacle et chacune à son tour prendra la parole tout au long du récit de Shauba. Chacune tour à tour sera la voix de Shauba qui nous raconte son calvaire et celui de ses compagnons d’infortune. Une pyramide de chaises trône au milieu du plateau, petit à petit les comédiennes investissent cet espace. Et lorsque l’une des comédiennes chapeaute le haut de cette pyramide d’un de ces vêtements l’image du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault nous traverse l’esprit. Et si on pousse la comparaison un cran plus loin, on est dans le naufrage oui mais on est aussi dans le scandale à l’image de celui provoqué à l’époque par ce drame.
Altérité et empathie
On est plongée dans l’horreur des faits. Chaque année des milliers de réfugiés se noient en Méditerranée sans que rien, ni personne ne bouge ni même que les médias relèvent les faits, comme si c’était une fatalité, un fait banal contre lequel on ne peut rien. La multiplication de l’horreur l’a rendue invisible comme si cette invisibilité était nécessaire pour pouvoir continuer à vivre tranquillement. Lina Prosa et Hélène Poitevin font partie de ces gens que ces drames dérangent profondément et empêchent de dormir. Elles ont donc décidé de réagir et d’agir avec chacune sa propre sensibilité et c’est la force de cette interprétation/ adaptation qui prolonge le cri de l’une et lui donne un écho pour qu’il ne cesse pas de venir perturber nos consciences et nous rappeler que seule la solidarité nous permettra de survivre et d’accéder à notre humanité.
Les notions d’altérité et d’empathie en ces temps de populismes et de brexit me semblent essentielles et nécessaires au vivre ensemble. Il est urgent de nous reposer des questions sur nos valeurs d’humanité et de tolérance et de faire en sorte que solidarité ne soit pas un vain mot.
La migration aux fondements de notre culture.
Hélène Poitevin cite également Virgile et son Eneide. Ainsi, Enée fuyant Troie en emportant ses Pénates est le symbole, l’un des plus grands mythes fondateurs de notre civilisation et c’est finalement l’histoire d’un migrant. Ainsi, comme Enée fuyant Troie, Shauba quitte son village pour un rêve de richesse et de bonheur. Et si on va encore plus loin, on ne peut que constater que les humains de tout temps même préhistorique ont migré et ont cherché un ailleurs plus radieux toujours plus loin. Et cette migration « perpétuelle », cette quête universelle les ont façonnés et leur ont permis de conquérir la terre entière et de devenir ce qu’ils sont aujourd’hui.
Création de la compagnie Petits Formats d'après un texte de Lina Prosa.
Mise en scène Hélène Poitevin.
Avec Chloé Bonifay, Màrcia de Castro, Marie-Laudes Emond et Benedetta Zonza
Conception et mise en scène Hélène Poitevin,
Création sonore et interprétation Julien Podolak et Paul Alkhallaf
Scénographie Claire Chavanne,
Lumière Juliette Labbaye,
Assistanat à la mise en scène Armelle Pauliat
Costumes : Anaïs Maurette de Castro
Lien vers le site de la Cie et teaser :https://petitsformats.wixsite.co/accueil