15 Mars 2019
Quand un Argentin monte une comédie « américaine », iconoclaste et déjantée, avec des acteurs italiens sur le territoire napolitain, il détourne les codes « culturels » de l’Amérique pour nous proposer, entre théâtre et variétés, une farce décalée, drôle et grinçante.
L’épouse d’un chirurgien-dentiste amoureux de son métier s’ennuie dans sa belle maison tout comme elle se rase avec son mari. Elle voudrait voir la vie en rose, changer de nom, devenir Madame Pink pour réenchanter sa vie. Rien d’anormal, donc, à ce qu’elle adopte un caniche de la même teinte : Roxie. Mais l’animal – qui parle et chante – se révèle bien vite une plaie. Mi-femme mi-bête, il pourrit la vie du couple, mord le mari, cherche à émasculer l’amant, évince même sa maîtresse auprès de ses amants. Bref il provoque des catastrophes en cascade avec des péripéties jubilatoires qui convient Broadway, Hollywood et Walt Disney au bal des références. Jusqu’au happy end final avec son coup de théâtre, comédie américaine oblige… Alfredo Arias s’amuse, et nous avec…
Un spectacle chanté et en musique live
Quelques bribes de dialogue ou de monologue seulement meublent le spectacle. Les personnages ne parlent pas, ou si peu. Mais ils chantent, des airs pop, rock et variétés en toute occasion tandis que les musiciens, en fond de scène se dépensent avec une énergie bruyante, soulignant le socle sur lequel le spectacle repose : l’artifice. « C’est une comédie avec chansons plus qu’une comédie musicale » précise Alfredo Arias. Ça n’en déménage pas moins sur le plan musical et l’Amérique prend des couleurs légèrement napolitaines à se voir traduire dans la langue de Dante. Changements de costumes rapides, tape-à-l’œil coloré des costumes, chorégraphie de mouvements esquissant parfois des pas de danse renvoient à l’univers du music-hall, à son clinquant de mauvais goût, à son esthétique de pacotille, à sa superficialité triomphante. Le téléphone est rose, comme il se doit, le rideau de scène composé d’os peints en teintes acidulées. Les palmiers sont artificiels, leurs feuilles lumineuses et les néons en forme de tête de caniche ou en tête d’os soulignent le triomphe de l’univers canin.
Une galerie de personnages hauts en couleur
Dans ce monde factice, qui brille de mille feux pour épater la galerie, étaler en public l’artificialité, les personnages ne sont pas en reste. Madame Pink appelle à tout bout de champ son psychanalyste, qui apparaît vêtu d’un habit de lumière « drippé » façon Pollock. Mariage, divorce, amants, problèmes de chien – de chienne à plus forte déraison – sont autant d’occasions de conseils tarifés au prix fort pour cette dinde qui ne cesse de se faire abuser. Goodman et Badman – bonjour la référence ! – se disputent les faveurs de la belle dans cette Amérique de comics et de séries télé. Entre le dentiste obsédé par son métier, l’affairiste money-money et le gigolo qui hésite entre être bi- et homo, la chienne, en agent destructeur et revanchard qui ne recule devant aucun excès, ne dépare pas dans le paysage. Elle règne sur la destinée de Madame Pink avant de s’enfuir avec un Corgis Pembroke – rien moins que le chien de la reine d’Angleterre, mazette !
Une satire de la société américaine
On est dans l’esthétique de la vulgarité chic, où le clinquant remplace le bon goût, où paraître importe plus qu’être. Tout est « trop » dans le spectacle d’eux-mêmes que nous offrent les personnages. Ils sont en état d’excitation permanente, avec leurs moumoutes et leurs fanfreluches, dans leur manière de nous prendre à parti. Miami et les plages où on s’ennuie, Hollywood et son vide sidéral, tous les éléments du rêve américain sont mis sur la sellette, accentués pour mieux en dénoncer l’inanité. Quant au happy end, il reprend les codes du genre : après bien des errances, les personnages retrouvent le droit chemin, celui que la morale approuve, et les affligés perdent le motif de leur affliction…
Tout ceci forme un spectacle divertissant, plutôt caustique, bien dans la manière à laquelle nous ont habitués ces Argentins de Paris, Alfredo Arias en particulier.
Madame Pink – en italien surtitré
Livret : Alfredo Arias, René de Ceccatty
Musique : Mark Plati, Mauro Gioia
Mise en scène : Alfredo Arias
Avec : Gaia Aprea, Flo, Mauro Gioia, Gianluca Musiu, Paolo Serra
Musiciens : Giuseppe Burgarella, Johan Dalgaard, Maxime Garoute, Mark Plati
Dialogues : Stefano Tummolini
Paroles des chansons : Alfredo Arias, Mauro Gioia
Masque : Erhard Stiefel
Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris
Du 13 au 31 mars 2019, à 20h30, dim à 15h00, sauf lundi.
Tél : 01 44 95 98 00. Site : www.theatredurondpoint.fr