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Arts-chipels.fr

Le Cubisme, acte fondateur de la modernité

Le Cubisme, acte fondateur de la modernité

Le cubisme, né de la volonté de deux artistes d’en finir avec les représentations du passé s’inscrit comme le point de départ de la longue série de remises en cause de l’art qui traverse le XXe siècle. À l’heure où le XXIe siècle commence et où les incertitudes restent entières quant à l’évolution de l’art, cette exposition nous parle d’un moment où révolutionner le monde semblait possible.

L’exposition très didactique du Centre Pompidou, qui sera ensuite présentée au Kunstmuseum de Bâle, traverse toute l’histoire du cubisme, de 1907, avec la création des Demoiselles d’Avignon, jusqu’aux lendemains de la Première Guerre mondiale, en 1919. Sur la route, certains seront entrés dans le mouvement, d’autres déjà sortis ou en partance. Il n’en demeure pas moins que la rupture inaugurée par le cubisme s’inscrit comme une remise en cause fondamentale des canons de l’art et une ouverture vers un monde nouveau qui croisera sur sa route de nombreux « ismes »

Au point de départ, Braque et Picasso

« Le cubisme authentique, si l’on veut s’exprimer de manière absolue, serait l’art de peindre de nouvelles constellations avec des éléments formels empruntés, non à la réalité, mais à celle de la conception. », déclare Apollinaire dans « La Peinture moderne » (Der Sturm, février 1913). Il n’empêche que dans un premier temps, le cubisme s’affirme comme un moyen de récrire la réalité, de réinventer le monde. Par la stylisation extrême qu’il induit, par sa manière de décomposer les volumes en formes simples, géométriques, dans un espace à deux dimensions. Nous sommes loin ici des préoccupations de l’impressionnisme et, dans un autre registre, de celles des Fauves dont le propos visait non plus à traduire une forme de réalité mouvante mais le point de vue non naturaliste, contrasté, qu’en avait l’artiste. Les sources résident, comme l’exposition le montre, dans le « primitivisme » avant la lettre d’un Gauguin, dans l’art naïf d’un Douanier Rousseau, dans la statuaire ou les masques africains et dans les géométries des natures mortes de Cézanne.

Lorsqu’en 1907, Picasso réalise les Demoiselles d’Avignon et que, fidèle à sa manière de fixer à travers des portraits de lui-même ses recherches sur la peinture, il réalise son Autoportrait la même année, le cubisme n’existe pas encore – les Demoiselles ne seront en fait révélées au public qu’en 1916, chez Paul Poiré, à l’occasion de l’exposition « L’art moderne en France ». Le cubisme émerge publiquement en novembre 1908 à la Galerie Kahnweiler et doit son nom à la définition ironique que Matisse accole aux paysages de Georges Braque : des « petits cubes ». Braque et Picasso mènent, chacun de leur côté, des recherches analogues, Braque à l’Estaque avec ses paysages et natures mortes d’inspiration cézanienne, Picasso dans l’Oise où il travaille dans le même esprit. De 1907 à 1914, ils ne cesseront d’innover, montrant la voie à une autre manière de concevoir la peinture et l’art.

Picasso, buste de femme (juin-juillet 1907)

Picasso, buste de femme (juin-juillet 1907)

Du cubisme analytique au cubisme synthétique

Entre 1907 et 1912, Picasso et Braque s’éloignent de plus en plus du modèle naturaliste, qui se divise et s’éparpille jusqu’à contaminer le fond et envahir la totalité de la surface du tableau. Il peut sembler difficile de différencier les deux œuvres tant elles reprennent les mêmes thèmes avec une approche similaire. La musique est présente chez Braque comme chez Picasso (violon, guitare), les teintes se conjuguent dans des combinaisons assez terreuses de bruns, de beige et d’ocres. Mais au simple jeu des formes, ramenées à des tracés géométriques décomposant le dessin, l’éclatant en arêtes vives et en formes circulaires s’ajoutent bientôt d’autres éléments, directement issus du réel, comme pour accentuer l’opposition entre cet hermétisme formel et la réalité. Ce sont des chiffres et des lettres apposés au pochoir, quelques mots reconnaissables : « Nîmes », « torero » (Picasso, l’Aficionado, 1912), « bal » (l’Émigrant, Braque, 1912), du sable mêlé à la peinture pour introduire une épaisseur, une troisième dimension. La même année, Picasso colle sur le chassis ovale d’une toile un morceau de toile cirée reproduisant le cannage d’une chaise (Nature morte à la chaise cannée, 1912), Braque invente le papier collé dont les variations conduiront ensuite à un cubisme en volume, fait d’éléments divers assemblés ensemble tel Mandoline et clarinette (Picasso, 1913) ou aux sculptures d’Henri Laurens, dans les années 1915. Le journal introduit dans la peinture un rapport au réel qui l’ancre dans son temps. On qualifiera ce cubisme de « synthétique ». Il sera développé par Braque dans l’entre-deux guerres mais abandonné par Picasso, qui revient au portrait avant de se rapprocher des surréalistes.

Braque, Broc et violon (1909-1910, détail)

Braque, Broc et violon (1909-1910, détail)

Les « salons » cubistes

Pour tous les artistes épris de nouveauté et soucieux de faire entrer le monde moderne dans l’univers un peu compassé de l’art, c’est l’engouement. Fernand Léger, Robert et Sonia Delaunay, Duchamp, Gleizes, Metzinger, Juan Gris participent aux « salons cubistes » qui se tiendront annuellement au Salon des indépendants entre 1912 et 1914. Même Chagall est de la partie (la Noce, 1912). Les sculpteurs ne sont pas en reste : Modigliani, dans l’épurement des formes, Brancusi, dans le travail des matériaux ramenés à leur force de matériau brut, Lipchitz qui développe le principe de la forme éclatée dans les trois dimensions de l’espace ou Archipenko qui pousse la stylisation vers une abstraction combinant des formes, tel ce Combat de boxe (1914) où les deux adversaires, définis par des volumes sans ressemblance humaine, sont engagés dans un corps à corps qui les lie indissolublement, et Laurens, bien sûr. Raymond Duchamp-Villon, l’un des trois frères, y propose un projet d’hôtel dit « Maison cubiste » (1912) tandis que Gleizes contraint Marcel Duchamp à retirer son Nu descendant l’escalier, jugé trop proche des futuristes… Ni Braque ni Picasso ne participent à ces Salons qui révèlent l’impact que cette mise à nu, cette reconsidération du réel dans la peinture a de révolutionnaire. Quand en 1918, Ozenfant et Jeanneney – qui deviendra Le Corbusier – publient le manifeste du purisme, celui-ci a pour titre Après le cubisme.

Jacques Lipchitz, Marin à la guitare (1917)

Jacques Lipchitz, Marin à la guitare (1917)

Le cubisme et son temps

L’un des intérêts de l’exposition est de montrer la relation qu’entretint le cubisme avec son époque. Poètes et critiques fréquentent en effet peintres et sculpteurs. Blaise Cendrars est proche de Delaunay et Léger, Max Jacob de Picasso qui a affiché sur la porte du Bateau Lavoir « Au rendez-vous des poètes », Pierre Reverdy de Braque. Quant à Guillaume Apollinaire, il est au croisement des nouveautés qui éclosent un peu partout et qui sont défendues par les galeristes Daniel-Henry Kahnweiler et Léonce Rosenberg, Ambroise Vollard pour Picasso.

La machine, avec ses formes géométriques réduites à une épure, s’accorde avec la recherche cubiste. Elle est un objet de fascination et un sujet d’inspiration pour ceux qui, plus tard, formeront l’Union des artistes modernes. Pour l’heure, avec la guerre qui éclate, les leçons du cubisme se rapprochent des champs de bataille, où les armements en tout genre développent une esthétique de formes simples et géométriques. Selon Jean Paulhan, le peintre officiel chargé du camouflage, Lucien-Victor Guirand de Scevola, affirmait avoir employé les moyens cubistes de déformation de l’objet pour dénaturer certaines formes et les fondre dans le décor. Si la guerre signe l’arrêt d’activité de bien des peintres, mobilisés au combat, et l’exil de certains pour fuir la possible occupation allemande, elle inspire à Fernand Léger, devenu brancardier et dessinateur, une réflexion sur la proximité de la guerre et du cubisme. « Il y a, dit-il, des sujets tout à fait inattendus et bien faits pour réjouir mon âme cubiste. ». L’exposition souligne cette parenté à travers la sculpture monumentale de Raymond Duchamp-Villon, le Cheval majeur (1914-1976), un monstre de métal canonnier qui développe ses volumes inquiétants et parfaitement huilés.

Cette exposition qui fait en quelque sorte suite, pour Picasso, à celle du musée d’Orsay (Picasso bleu et rose), révèle, au-delà du parti-pris des éclatements géométriques et de leurs succédanés qui peuvent apparaître aujourd’hui comme un peu mécaniques plastiquement, la manière dont le cubisme ouvre la voie aux tendances qui se développeront tout au long du XXe siècle. L’abstraction n’est qu’un stade supplémentaire dans l’affranchissement par rapport au réel, dans cette exploration de la pensée que saluait Apollinaire. Piet Mondrian et Kazimir Malevitch peuvent s’installer…

Kazimir Malevitch, Croix [noire], 1915

Kazimir Malevitch, Croix [noire], 1915

Le Cubisme

Commissaires : Brigitte Léal, Christian Briend, Ariane Coulondre, assistés de Maximilien Theinhardt (Paris), Josef Helfenstein, Eva Reifert, Claudia Bank et Charlotte Gutzwiller (Bâle).

Centre Georges Pompidou, Galerie 1 – Place Georges Pompidou – 75004 Paris

17 octobre 2018 – 25 février 2019

Ouvert tous les jours sauf le mardi 11h-21h, nocturne le jeudi jusqu’à 23h

Tél. 01 44 78 12 33. Site : www.centrepompidou.fr

Kunstmuseum Basel, Bâle (Suisse)

Du 30 mars au 4 août 2019

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