13 Décembre 2018
Elles sont musiciennes toutes les quatre. L’une chante, les autres jouent. Toutes s’amusent de la musique dans laquelle elles s’ébattent comme poissons dans l’eau. Elles nous amusent aussi en nous baladant aux quatre coins d’un répertoire qui mêle Rameau aux expériences limites d’un John Cage et Ricet Barrier à Granados et à Saint-Saëns.
Le spectacle nous mène, comme à travers une carte du Tendre, sur l’échelle d’un alphabet musical qui convie toutes les musiques, la savante comme la populaire, en retrouvant ces airs qu’on fredonne, ces ritournelles qui nous reviennent et nous entraînent. C’est le pari que font ces drôles de drôles de dames en nous emmenant du « Ah ! » inaugural à la ronde XY des spermatozoïdes se bousculant sur le seuil de l’ovule sans grand espoir de devenir l’heureux élu qui aura droit au « ze » final. Dans ces stations alphabétiques qui donnent lieu à autant de numéros qu’il y a de lettres, on croise aussi bien les chansons d’amour que le Déluge, la Toccata que le sabbat, Rameau que Jean Wiener et Kurt Weill qu’Astor Piazzola.
Une énergie et un humour communicatifs
Il faut dire que nos quatre souris sont de tous les coups. Elles dansent le tango avec leur contrebasse, grimpent sur le piano pour faire le show, jouent sur tous les registres de la langue en se riant des exercices de diction qui mêlent poches plates et plates poches, les jeux de mots qui découlent du quinquennat à quai, nous narrent les démêlés d’un chameau et d’un dromadaire pour des histoires de bosses ou nous risquent un quatuor vocal savoureux, alignées en rang d’oignon. Elles nous font remonter aux beaux temps des intermèdes du cinéma muet, nous chantent la môme Néant, nous emmènent légères comme l’oiseau sur la branche ou se grippent en une gestuelle saccadée de mécanique de boîte à musique. Elles se répondent sur Cabaret, portent sur la musique qu’elles maîtrisent parfaitement un regard décalé, distancié, clownesque. Elles connaissent la musique et montrent qu’elles savent mais en même temps elles s’en amusent, pirouettent et virevoltent dans ce montage bigarré et malin où se côtoient musique classique, cabaret, tango, jazz, valse et musique contemporaine. Le spectateur y retrouve ses points de repère, ses vieux souvenirs, déviés de leur statut d’origine tout en s’aventurant en terre inconnue.
Elles ont la pêche et nous la transmettent, et ce n’est pas rien, par les temps plutôt moroses de ce début d’hiver. Ça fait du bien de lâcher prise, de laisser au vestiaire les propos « sérieux » et les grands débats pour simplement rire et s’amuser. Et elles s’y entendent à nous y entraîner, ces quatre greluches pleines d’entrain qui rient de tout. Ne reste qu’à pénétrer dans des assemblages à la Prévert, à faire siens les rangements d’armoires un peu absurdes à la manière de Perec et à se laisser glisser sans chercher les notes en bas de page dans l’enchaînement sans queue ni tête qu’elles nous proposent, un jeu oulipien qui n’a pour loi que le plaisir de la musique passé au filtre de l’alphabet.
ABC D’airs, spectacle musical conçu sur une idée d’Anne Régnier
Mise en scène : Gérard Rauber
Avec : Anne Baquet (voix), Claude Collet en alternance avec Christine Fonlupt (piano), Amandine Dehant ou Caroline Lekeux (contrebasse), Anne Régnier ou Violaine Dufès (hautbois et cor anglais)
Du 12 décembre 2018 au 27 janvier 2019, du mardi au samedi, 19h, le dimanche à 16h